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Le secret professionnel et ses limites

Aujourd’hui, le cabinet vous propose un point sur trois affaires illustrant les problématiques régulières en matière de contentieux ordinaux des médecins.

Le secret professionnel est traversé de lourdes tensions à l’ère numérique et des obligations d’informations ou d’alertes existantes. Dès lors, ces plaintes devant les conseils régionaux de l’Ordre des Médecins ne sont plus rares.

Dans une première affaire, la Chambre Nationale de l’Ordre des Médecins a eu à connaître de la publicité effectuée par un médecin via Instagram. Il y publiait ses injections sur des patientes en vidéo et les faisait témoigner. Cela s’apparentait donc tant à de la publicité illégale qu’à une infraction du secret professionnel puisque le praticien informait, via Instagram, d’une partie du dossier médicale des patientes.

La Chambre a ainsi jugé que :

« Aux termes de l’article R. 4127-3 du code de la santé publique : « Le médecin doit, en toutes circonstances, respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine ». Sont interdits l’usurpation de titres, l’usage de titres non autorisés par le Conseil national ainsi que tous les procédés destinés à tromper le public sur la valeur de ses titres. Aux termes de l’article R. 4127-4 du même code : « Le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi ». Aux termes de l’article R. 4127-19 du même code : « La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce ». Aux termes de l’article R. 4127-19-1 du même code : « I. – Le médecin est libre de communiquer au public, par tout moyen, y compris sur un site internet, des informations de nature à contribuer au libre choix du praticien par le patient, relatives notamment à ses compétences et pratiques professionnelles, à son parcours professionnel et aux conditions de son exercice. / Cette communication respecte les dispositions en vigueur et les obligations déontologiques définies par la présente section. Elle est loyale et honnête, ne fait pas appel à des témoignages de tiers, ne repose pas sur des comparaisons avec d’autres médecins ou établissements et n’incite pas à un recours inutile à des actes de prévention ou de soins. Elle ne porte pas atteinte à la dignité de la profession et n’induit pas le public en erreur (…) »

Il résulte de l’instruction que le Dr A a publié sur la page Instagram du Centre ABC des photos le montrant pratiquant des injections sur des patientes avec des témoignages de ces dernières, sur lesquelles le visage des patientes concernées est reconnaissable en l’absence de tout floutage. Ces faits sont constitutifs de manquements graves aux principes de moralité et de secret professionnel, ainsi qu’aux règles selon lesquelles un médecin peut communiquer à destination du public sur son activité, rappelées au point 7 » (Ch. Disc. Nationale Ordre des Médecins, 28 décembre 2023, n° 14813).

Deux autres affaires méritent d’être mentionnées.

Tout d’abord celle concernant un Médecin spécialiste qualifiée en psychiatrie, option enfant et adolescent, qui a rédigé en moins d’une année trois signalements relatifs au même jeune patient pour des faits de violences sexuelles de la part de son père, les deux premiers étant adressés au juge des enfants d’ores et déjà saisi, en application de l’article 375 du code civil, de la situation de ce mineur et le dernier étant adressé au procureur de la République avec copie au même juge des enfants. Saisie, la Chambre Disciplinaire Nationale avait retenu que le manquement au secret professionnel était caractérisé et qu’une interdiction temporaire d’exercice s’imposait (Ch., Disc., Nationale Ordre des Médecins, 4 avril 2019).

Le Conseil d’Etat vient ici répondre en considérant que :

« En vertu de l’article 226-14 du code pénal et de l’article 4127-44 du code de la santé publique, la circonstance que ces signalements, contenant des éléments couverts par le secret professionnel, aient été adressés au juge des enfants, qui n’est pas au nombre des autorités mentionnées au 2° de l’article 226-14 du code pénal, ne saurait, à elle seule, alors que le juge des enfants était, en l’espèce, déjà saisi de la situation de cet enfant, caractériser un manquement aux dispositions du I de l’article L. 1110-4 et de l’article R. 4127-4 du code de la santé publique de nature à justifier une sanction disciplinaire. En se fondant sur cette seule circonstance pour juger qu’il devait être infligé au praticien, pour avoir méconnu l’obligation déontologique de secret professionnel, la sanction de l’interdiction d’exercer pendant un mois, la chambre disciplinaire nationale a inexactement apprécié les faits qui lui étaient soumis » (Conseil Etat, 19 mai 2021, n° 431352).

Ainsi, le juge retient une visée finaliste dans son approche de l’infraction relative au manquement au secret professionnel ; l’information révélée en l’enfreignant étant déjà connue, il n’y a pas de violation du secret professionnel.

L’évolution du droit liée à la prise en compte des violences faites aux femmes a crée une obligation, pour les équipes de soins, de s’assurer lorsqu’un doute apparaît raisonnablement lors d’un examen clinique de l’absence de violences subies. En cas de réponse positive à cette question, le praticien doit alors faire un signalement.

Comme toute exception spécifique en matière déontologique, elle est une brèche légale dans le secret professionnel et doit être assurer dans l’intérêt le plus conforme de la cliente. Dans une telle situation, ne pas dépasser le secret professionnel apparaît comme étant une faute déontologique.

Naturellement, faire obstacle à cette obligation, en refusant explicitement de dresser un certificat médical et en n’examinant pas la patiente, augmente le nombre d’infraction déontologiques pour le praticien.

La Chambre Nationale avait ainsi pu juger que :

« 4. Il ressort, d’autre part, de l’audition du Dr A par le rapporteur du conseil départemental de la Gironde de l’ordre des médecins, tel que figurant au procès-verbal du 4 décembre 2019, que celui-ci n’a pas établi de certificat médical de coups et blessures eu égard à la connaissance qu’il avait de l’environnement familial de C et plus précisément de ses relations avec sa belle-famille, certificat qui n’aurait pas manqué d’être considéré comme à charge contre le mari de celle-ci. Il ajoutait dans son audition avoir dit à cette dernière que si elle voulait un tel certificat, il lui fallait voir un autre médecin et qu’elle devait bien réfléchir avant de porter plainte.

Alors même que C ne s’est pas associée à la plainte de ses parents contre le Dr A et a fait part de son souhait au conseil départemental de ne pas le voir inquiété, il résulte des éléments figurant ci-dessus que les premiers juges étaient fondés à retenir à l’encontre du Dr A un manquement aux dispositions précitées des articles R. 4127-44 et R. 4127-76 du code de la santé publique. D’une part, en ne rédigeant pas un certificat de coups et blessures, qui aurait été requis en cas de poursuite pénale qu’il était loisible au ministère public de diligenter au lieu et place de la victime, le Dr A a omis de manière délibérée de mettre en œuvre le moyen le plus approprié pour prémunir sa patiente des violences de son mari en ménageant la preuve médicale de leur réalisation. D’autre part, en établissant un certificat de prolongation d’arrêt de travail pour « surmenage et burn-out » dont l ‘adéquation à la réalité n’est pas établie, le Dr A a sciemment méconnu la prescription déontologique d’établissement par un médecin d’un certificat conforme aux constatations médicales qu’il est en mesure de faire. 5

[…] Il ressort, d’autre part, de l’instruction que les coups violents portés au visage de sa patiente appelaient de la part du Dr A la prescription d’examens complémentaires en particulier au regard d’une fracture nasale potentielle voire une orientation vers un service des urgences ; en s’abstenant d’y procéder, l’intéressé n’a pas prodigué à sa patiente des soins consciencieux au sens du second de ces articles. La décision de première instance sera réformée sur ce point » (Ch. Disc. Nationale Ordre des Médecins, 19 avril 2023, n° 15227).

 

Ces trois décisions montrent bien la tension qui peut exister pour les praticiens entre protéger le secret professionnel et l’enfreindre sous injonction légales. En cas de difficultés sur la déontologie, ou plus largement en droit ordinal, n’hésitez pas à nous contacter.