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Locations de courte durée de type Airbnb : légalité d’un règlement très strict

Le tribunal administratif de Rennes a confirmé la légalité des mesures adoptées par la commune de Saint-Malo pour encadrer les locations de meublés touristiques de courte durée. Cette décision valide l’un des règlements municipaux les plus contraignants de France en la matière.

Une réglementation particulièrement stricte

Par des délibérations, le conseil municipal de Saint-Malo avait instauré un système d’autorisation temporaire pour la transformation d’un logement en location meublée touristique. Ce régime se caractérise par deux restrictions majeures :

La limitation à un seul bien par propriétaire : Chaque personne physique propriétaire ne peut obtenir d’autorisation que pour un unique logement destiné à la location touristique de courte durée.

Une sectorisation du territoire communal : La ville a été divisée en quatre zones géographiques distinctes (secteur intra-muros, secteur littoral, secteur urbain rétro-littoral, autres secteurs urbains et ruraux), chacune se voyant attribuer un quota maximal de logements pouvant être simultanément autorisés à la location touristique, calculé en pourcentage du nombre total de logements de la zone concernée.

Le cadre juridique applicable

Le Livre VI du Code de la construction et de l’habitation (CCH) établit les dispositions destinées à préserver ou accroître le parc de logements.

Les articles fondamentaux :

  • L’article L. 631-7 impose une autorisation préalable pour convertir l’usage d’un local d’habitation dans les communes de plus de 200 000 habitants et dans la petite couronne parisienne
  • L’article L. 631-7-1 A permet à ces communes d’instaurer un régime d’autorisation temporaire pour les locations de courte durée par des particuliers
  • L’article L. 631-9 étend cette possibilité à d’autres communes selon une procédure spécifique

Les exigences européennes : Conformément à la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (dite « directive Services »), toute restriction à la libre prestation de services doit répondre à deux conditions :

  • Être justifiée par un motif impérieux d’intérêt général
  • Être proportionnée à l’objectif visé

Cette exigence a été rappelée par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 22 septembre 2020 (affaires C-724/18 et C-727/18).

L’analyse du tribunal : validation d’un objectif d’intérêt général

Les magistrats ont reconnu que la politique communale vise à combattre la pénurie de logements, objectif qualifié d’intérêt général par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 mars 2014 (n° 2014-691 DC).

La ville poursuit un but de cohésion sociale nécessitant la stabilisation démographique de sa population et le maintien d’une offre résidentielle attractive dans le centre urbain pour accueillir des habitants permanents.

La proportionnalité des mesures adoptées

La limitation à un seul bien par propriétaire personne physique

Le tribunal a jugé que cette restriction, bien que très contraignante, n’est pas discriminatoire compte tenu :

  • Des particularités du système d’autorisation mis en place
  • Des objectifs recherchés visant à atténuer les tensions sur le marché locatif résidentiel
  • De l’absence d’interdiction légale d’une telle limitation

Cette position s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la cour administrative d’appel de Lyon qui avait validé un dispositif similaire limité aux biens de moins de 60 m² par personne physique (CAA Lyon, 1er juin 2021, n° 19LY03470).

La sectorisation géographique du territoire

Le tribunal a validé la division de la commune en quatre secteurs avec des quotas différenciés, estimant que cette différenciation repose sur des critères objectifs et transparents :

Les données utilisées : La municipalité s’est appuyée sur des éléments factuels (nombre de numéros d’enregistrement pour la taxe de séjour, nombre de demandes antérieures de changement d’usage) pour constater la concentration géographique de l’offre touristique.

La finalité poursuivie : Cette modulation territoriale vise à préserver le caractère résidentiel de l’ensemble des secteurs tout en tenant compte de la pression plus intense qui s’exerce dans les zones intra-muros et littorales.

La conformité au droit : La loi autorise expressément que la localisation des locaux figure parmi les critères de l’autorisation temporaire, tout en laissant aux collectivités une importante marge d’appréciation pour définir les modalités de cette sectorisation.

La portée de cette jurisprudence

Cette décision s’inscrit dans un mouvement d’ensemble d’encadrement renforcé des locations touristiques de courte durée en France. Elle illustre la marge de manœuvre dont disposent les communes pour réguler ce phénomène, à condition de respecter les principes de non-discrimination et de proportionnalité.

La cour administrative d’appel de Bordeaux a d’ailleurs adopté une position similaire dans un arrêt du 30 janvier 2024 (n° 21BX04629), confirmant la possibilité pour les communes d’instaurer des réglementations restrictives si elles sont justifiées et proportionnées.

Les évolutions législatives

La loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024 renforce encore les instruments de régulation à disposition des communes :

De nouveaux outils :

  • Possibilité de fixer des quotas d’autorisations de meublés touristiques
  • Faculté de réserver certains secteurs dans le PLU aux constructions destinées aux résidences principales
  • Réduction possible de la durée maximale annuelle de location des résidences principales de 120 à 90 jours

Une extension du champ d’application : Les communes disposant d’un règlement de changement d’usage peuvent désormais l’appliquer à tous les locaux qui n’ont pas initialement un usage d’habitation.

L’articulation des différentes réglementations

La location meublée de courte durée est encadrée par trois corpus juridiques distincts :

Le Code de l’urbanisme (art. R. 151-27) : Il régit le changement de destination qui concerne l’immeuble dans sa structure même.

Le Code de la construction et de l’habitation (art. L. 631-7) : Il organise la procédure de changement d’usage du local.

Le Code du tourisme (art. L. 324-1-1) : Il impose une déclaration auprès du maire pour toute mise en location d’un meublé touristique.

Ces trois mécanismes coexistent et peuvent se cumuler selon les situations, créant un cadre juridique complexe mais de plus en plus structuré.

Les enseignements pratiques pour les propriétaires et les communes

Pour les propriétaires

À Saint-Malo : Il n’est plus possible de développer un parc locatif touristique de courte durée composé de plusieurs biens. Seul un logement par personne physique peut être autorisé.

La sectorisation compte : L’obtention d’une autorisation dépend également de la localisation du bien et du quota disponible dans le secteur concerné.

L’anticipation est nécessaire : Face à la multiplication des réglementations locales restrictives, il convient de se renseigner précisément sur les règles applicables avant tout projet d’investissement.

Pour les communes

Une large marge de manœuvre : Cette décision confirme la possibilité d’adopter des réglementations très restrictives, à condition qu’elles soient justifiées par des données objectives.

L’importance des études préalables : La solidité du règlement repose sur la qualité des éléments factuels démontrant la tension sur le marché du logement et la concentration géographique des locations touristiques.

Le respect des exigences européennes : Toute réglementation doit être proportionnée et non discriminatoire, ce qui nécessite une motivation précise des choix effectués.

Conclusion

Cette jurisprudence valide la possibilité pour les communes confrontées à une forte tension sur leur marché du logement d’adopter des mesures particulièrement restrictives en matière de location touristique de courte durée. Elle confirme que la lutte contre la pénurie de logements constitue un objectif suffisamment important pour justifier des limitations significatives à la liberté d’entreprendre et à la libre prestation de services, dès lors que ces mesures sont fondées sur des critères objectifs et proportionnées aux difficultés constatées.

Dans un contexte de multiplication des locations via les plateformes numériques et de tensions croissantes sur les marchés immobiliers résidentiels, cette décision devrait encourager d’autres communes touristiques à développer des réglementations similaires pour préserver leur attractivité résidentielle.

Tribunal administratif de Rennes 17 octobre 2023 n° 2104171 2202102