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Nuisances sonores et pouvoir de police municipale : l’exigence d’une évaluation adaptée aux conditions réelles d’exploitation

Le jugement rendu par le tribunal administratif de Dijon le 27 novembre 2025 illustre avec clarté les limites du pouvoir discrétionnaire du maire en matière de police des bruits de voisinage. En annulant deux arrêtés autorisant l’utilisation d’une sonorisation pour un établissement de loisirs, cette décision rappelle que l’autorité municipale ne peut se contenter de prescriptions générales lorsque les nuisances sonores sont susceptibles de porter atteinte à la tranquillité et à la santé des riverains.

Un contentieux né de nuisances répétées

L’affaire concernait la « Guinguette on Loire », établissement situé quai des Eduens à Nevers, dont l’exploitant avait obtenu du maire les autorisations nécessaires pour utiliser une sonorisation lors de soirées organisées les jeudis, vendredis, samedis et dimanches des mois de septembre et octobre 2023. Ces autorisations permettaient la diffusion de musique de quinze heures à minuit, avec un niveau sonore maximal fixé à 102 décibels.

Deux riverains dont les habitations jouxtent l’établissement ont contesté ces arrêtés, faisant valoir que les nuisances sonores étaient devenues insupportables malgré les multiples plaintes adressées à la mairie et aux forces de l’ordre. Le contentieux s’inscrivait dans une série de recours, puisque des arrêtés similaires pris en 2021 avaient déjà été annulés par le tribunal administratif. Cette persévérance de l’autorité municipale dans une réglementation insuffisante constitue un élément contextuel important de l’affaire.

Le cadre juridique applicable : une articulation complexe de textes

Le tribunal devait articuler plusieurs corpus normatifs. D’une part, les dispositions du code général des collectivités territoriales confèrent au maire, au titre de ses pouvoirs de police générale, la mission de réprimer les atteintes à la tranquillité publique, notamment les bruits et troubles de voisinage, et d’assurer le bon ordre dans les lieux de rassemblement public comme les cafés et les spectacles.

D’autre part, le code de la santé publique établit un régime spécifique pour les bruits de voisinage issus d’activités professionnelles, culturelles, sportives ou de loisirs organisées de façon habituelle ou soumises à autorisation. Ce régime repose sur la notion d’émergence, c’est-à-dire la différence entre le niveau de bruit ambiant incluant le bruit litigieux et le niveau de bruit résiduel sans ce bruit particulier.

Les articles R. 1336-6 et R. 1336-7 du code de la santé publique fixent des valeurs limites précises : l’émergence globale ne doit pas excéder 5 décibels en période diurne et 3 décibels en période nocturne, ces seuils étant modulés par un terme correctif fonction de la durée cumulée du bruit. Pour des nuisances dépassant huit heures, aucun correctif ne s’applique, rendant les limites particulièrement strictes.

Le vice d’une étude acoustique inadaptée

Le cœur du litige portait sur la validité de l’étude d’impact des nuisances sonores réalisée le 19 avril 2022 et sur laquelle le maire s’était fondé pour délivrer ses autorisations. Cette étude concluait que l’émergence globale, lorsque la sonorisation était réglée à son maximum, demeurait inférieure aux valeurs limites réglementaires.

Le tribunal a cependant relevé un vice méthodologique majeur : les mesures du bruit résiduel avaient été effectuées en matinée, entre 8h30 et 10h30, ou en fin d’après-midi, entre 17h00 et 17h30, en semaine, à des moments où la circulation automobile était décrite comme importante dans le quartier. Le bruit résiduel avait ainsi été évalué à 50 décibels.

Or, les soirées durant lesquelles la guinguette était autorisée à diffuser de la musique se déroulaient dans des conditions radicalement différentes : en fin de semaine, le soir et jusqu’à minuit, lorsque la circulation diminue considérablement. Les requérants produisaient des relevés acoustiques établissant que le bruit résiduel dans ces conditions réelles d’exploitation se situait entre 30 et 35 décibels, soit 15 à 20 décibels de moins que la valeur retenue par l’étude.

Cette différence n’était pas anodine : alors que l’étude concluait à une émergence globale de 5 à 5,5 décibels, déjà à la limite des valeurs autorisées voire au-delà en période nocturne le samedi, la prise en compte du bruit résiduel réel aurait conduit à constater un dépassement manifeste des seuils réglementaires. Le tribunal a ainsi censuré une méthodologie qui ne s’était pas placée dans des conditions identiques à celles observables lors de l’exploitation effective de la sonorisation.

L’insuffisance des prescriptions municipales

Au-delà du vice affectant l’étude acoustique, le tribunal a examiné le contenu même des arrêtés contestés. Le maire s’était contenté de rappeler à l’exploitant que le niveau des émissions sonores devait être modéré afin de ne pas causer de gêne dans le voisinage, et avait fixé le niveau sonore maximal à 102 décibels.

Cette prescription apparaissait largement insuffisante au regard des exigences du code de la santé publique. Le juge a souligné que les arrêtés autorisaient l’établissement à faire usage d’une sonorisation dans un quartier résidentiel, toutes les fins de semaine pendant deux mois, dimanches inclus, et ce pendant plusieurs heures en soirée, notamment jusqu’à minuit le samedi.

Eu égard à la durée, à la répétition et à l’intensité sonore maximale des manifestations autorisées, les prescriptions imposées ne permettaient pas d’assurer la protection de la santé auditive et de la tranquillité des riverains. Le maire avait ainsi commis une erreur d’appréciation en méconnaissant tant l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales que les articles R. 1336-6 et suivants du code de la santé publique.

Les limites de l’office du juge de l’excès de pouvoir

Le tribunal a rejeté le surplus des conclusions des requérants, qui demandaient notamment qu’il soit enjoint à l’exploitant de faire réaliser une nouvelle étude acoustique et à la préfète d’exercer ses pouvoirs en matière de lutte contre les nuisances sonores. Le juge a considéré que l’annulation des arrêtés n’impliquait aucune mesure d’exécution particulière justifiant de telles injonctions.

Cette position peut surprendre dans la mesure où l’annulation laisse subsister un vide juridique : l’exploitant se trouve sans autorisation, mais rien ne garantit qu’une nouvelle réglementation plus protectrice sera adoptée. Le juge ne s’est pas estimé compétent pour imposer à l’exploitant, personne privée, la réalisation d’une étude, ni pour enjoindre au préfet d’user de ses prérogatives.

Les enseignements de cette jurisprudence

Cette décision rappelle plusieurs principes essentiels. Premièrement, les études acoustiques doivent impérativement être réalisées dans des conditions représentatives de l’exploitation effective de l’activité génératrice de nuisances. Mesurer le bruit résiduel en semaine et en journée pour autoriser des soirées de week-end constitue un vice méthodologique rédhibitoire.

Deuxièmement, le maire ne peut se contenter de prescriptions générales et d’un simple plafonnement du niveau sonore maximal. Il doit s’assurer que les émergences globale et spectrale respecteront effectivement les valeurs limites réglementaires compte tenu de la durée, de la fréquence et des horaires des nuisances.

Troisièmement, la répétition de réglementations insuffisantes, malgré des annulations juridictionnelles antérieures et des plaintes nombreuses, expose la collectivité à voir systématiquement censurés ses arrêtés. Cette affaire illustre les risques d’une approche trop complaisante envers les établissements de loisirs au détriment de la protection des riverains.

Pour les communes confrontées à des situations similaires, cette jurisprudence impose une rigueur accrue dans l’évaluation préalable des nuisances et dans la définition des prescriptions applicables aux établissements générateurs de bruit. L’équilibre entre le dynamisme économique local et la tranquillité des habitants ne peut être trouvé qu’au prix d’une analyse sérieuse et adaptée des conditions réelles d’exploitation.

TA Dijon, 1re ch., 27 nov. 2025, n° 2302983

Louis le Foyer de Costil

Nausica Avocats 

12 Rue des Eaux, 75016 Paris

09 78 80 62 27

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