Placement en congé d’office : la notion de « danger immédiat » strictement encadrée
Une ordonnance du tribunal administratif de Guyane (TA Guyane, 25 mars 2025, n° 2500297) rappelle que le congé d’office ne peut être prononcé qu’en cas de danger immédiat pour les élèves, et non pour gérer des conflits entre fonctionnaires.
En février 2025, un professeur certifié d’histoire-géographie exerçant au collège Reeberg Neron de Rémire-Montjoly se voit notifier par le recteur de la Guyane un arrêté de placement en congé d’office pour une durée d’un mois. Cette mesure conservatoire, qui écarte l’enseignant de ses classes, est prise alors que des relations conflictuelles sont constatées entre collègues au sein de l’établissement.
L’enseignant concerné réagit immédiatement en saisissant le juge des référés du tribunal administratif de Guyane. Il demande la suspension de cette décision, estimant qu’elle porte gravement atteinte à sa réputation professionnelle et à ses conditions de travail, sans justification légale suffisante. Il conteste notamment l’absence de danger immédiat pour les élèves, condition pourtant essentielle pour légitimer un tel placement en congé.
Par une ordonnance du 25 mars 2025, le juge des référés a suspendu l’exécution de l’arrêté et ordonne la réintégration immédiate de l’enseignant. Cette décision rappelle avec fermeté les conditions strictes d’application du congé d’office et les limites du pouvoir disciplinaire déguisé de l’administration et nous donne l’occasion de refaire un point sur le cadre juridique des placements en congé d’office d’un fonctionnaire.
Le cadre juridique du placement en congé d’office
Le placement en congé d’office constitue une mesure administrative d’une gravité particulière. Elle permet d’écarter temporairement un enseignant de ses fonctions pour protéger les élèves, mais son usage est strictement encadré par la loi.
L’article R. 911-36 du code de l’éducation définit précisément les conditions dans lesquelles un enseignant peut être placé en congé d’office. Le directeur académique des services de l’éducation nationale, agissant sur délégation du recteur d’académie, peut prendre cette mesure lorsqu’il estime, sur le vu d’une attestation médicale ou sur le rapport des supérieurs hiérarchiques, que l’enseignant, par son état physique ou mental, fait courir aux enfants un danger immédiat.
La durée initiale du congé d’office est limitée à un mois. Pendant ce délai, l’administration doit réunir le comité médical afin de recueillir son avis sur la nécessité d’un congé de plus longue durée. L’enseignant continue à percevoir l’intégralité de son traitement durant cette période, ce qui distingue cette mesure d’une sanction disciplinaire entraînant une suspension de rémunération.
Le juge des référés rappelle dans son ordonnance que le placement en congé d’office ne peut être pris que dans l’intérêt du service et uniquement en vue de prévenir un danger immédiat auquel peuvent être exposés les élèves. Cette précision est fondamentale car elle exclut toute utilisation détournée de cette procédure pour d’autres finalités.
La notion de danger immédiat revêt un caractère objectif et doit être appréciée au regard de la situation concrète des élèves. Il ne suffit pas d’invoquer des tensions professionnelles, des difficultés relationnelles entre adultes ou une atmosphère conflictuelle au sein de l’établissement. Le danger doit directement menacer la sécurité physique ou psychologique des enfants et présenter un caractère d’immédiateté justifiant une mesure d’urgence.
Bien que le congé d’office soit une mesure conservatoire pouvant être prise rapidement, elle doit reposer sur des éléments objectifs. L’administration doit s’appuyer soit sur une attestation médicale établie par un médecin, soit sur un rapport circonstancié des supérieurs hiérarchiques de l’enseignant. Ces documents doivent décrire précisément les comportements ou l’état de santé justifiant la mesure et démontrer l’existence du danger immédiat pour les élèves.
L’arrêté de placement en congé d’office doit être motivé, conformément aux principes généraux du droit administratif. La motivation doit permettre à l’enseignant de comprendre les raisons pour lesquelles il est écarté de ses fonctions et de pouvoir contester utilement cette décision devant le juge.
Dans l’affaire jugée en mars 2025, le juge des référés procède à une analyse méthodique des deux conditions cumulatives permettant de suspendre l’exécution de l’acte administratif contesté. Il doit d’abord vérifier l’existence d’une urgence, puis constater l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
La caractérisation de la condition d’urgence
Le juge commence par examiner si la situation présente un caractère d’urgence justifiant une suspension immédiate de la décision. Il rappelle que l’urgence s’apprécie concrètement en fonction de l’atteinte portée à la situation du requérant et des intérêts en présence.
En l’espèce, le juge constate que le placement en congé d’office porte incontestablement atteinte à la réputation professionnelle de l’enseignant, aux conditions d’exercice de ses fonctions et à son droit à la formation. Ces atteintes présentent une gravité certaine malgré le maintien de l’intégralité du salaire. L’enseignant se trouve en effet écarté de sa classe, privé du contact avec ses élèves et placé dans une situation susceptible d’être interprétée comme un dysfonctionnement grave de sa part.
Face à ces atteintes, le juge constate que le recteur de la Guyane ne justifie ni dans ses écritures ni lors de l’audience de l’existence d’un intérêt public commandant l’exécution immédiate de la mesure. Aucun élément objectif ne démontre que l’état physique ou mental de l’enseignant ferait courir aux enfants un danger immédiat. Cette absence de justification de l’intérêt public fait basculer la balance en faveur de la reconnaissance de l’urgence.
L’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la décision
Le juge examine ensuite si la décision de placement en congé d’office respecte les conditions légales fixées par l’article R. 911-36 du code de l’éducation. Son analyse est sans appel. Certes, des relations conflictuelles entre collègues au sein de l’établissement sont attestées par les pièces du dossier. Néanmoins, ces tensions entre adultes ne suffisent pas à caractériser un danger immédiat pour les élèves.
Le juge relève qu’il n’est ni démontré ni établi que l’enseignant, par son état physique ou mental, fait courir aux enfants un danger immédiat. L’administration n’apporte aucun élément probant permettant d’établir que les élèves seraient exposés à un risque concret et actuel du fait de la présence de cet enseignant dans ses classes. Cette carence probatoire est déterminante.
Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article R. 911-36 du code de l’éducation apparaît donc propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. Le juge n’a pas besoin d’examiner les autres moyens soulevés par le requérant, notamment ceux relatifs à la compétence du signataire, à l’insuffisance de motivation ou aux vices de procédure. Le seul constat de l’absence de danger immédiat suffit à justifier la suspension de la mesure.
Le juge des référés évoque explicitement dans son analyse le risque que le placement en congé d’office constitue un détournement de procédure permettant de qualifier la mesure de sanction déguisée. Cette qualification aurait des conséquences juridiques majeures car les sanctions disciplinaires obéissent à des règles procédurales protectrices très strictes.
Avant toute sanction disciplinaire, l’enseignant doit être convoqué devant une instance disciplinaire, bénéficier de la communication de son dossier, pouvoir se faire assister par un défenseur de son choix et présenter ses observations. Le prononcé d’une sanction sans respect de ces garanties entraîne son annulation par le juge administratif. Si le placement en congé d’office est utilisé pour contourner ces règles, il encourt la même annulation avec des conséquences potentiellement lourdes pour l’administration.
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