
Annulation d’un refus de délivrance de carte d’agent de sécurité pour le fait d’avoir giflé un enfant
Le Tribunal administratif de Paris vient de rendre une décision nuancée concernant les conditions de refus d’une carte professionnelle d’agent privé de sécurité. Cette affaire illustre la proportionnalité qui doit présider à l’appréciation du comportement d’un candidat à cette profession réglementée.
Dans cette affaire, le requérant sollicite auprès du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) la délivrance d’une carte professionnelle d’agent privé de sécurité. Le 28 juillet 2022, le CNAPS refuse sa demande en se fondant sur un incident survenu le 29 février 2020 à Aubervilliers : le requérant a donné deux claques à sa belle-fille, âgée de 15 ans, après lui avoir demandé à quatre reprises d’éteindre sa console de jeux et de débarrasser son assiette. Ces faits, portés à la connaissance de la police par le père de l’enfant, ont donné lieu à un rappel à la loi.
Le requérant conteste ce refus.
Le cadre juridique : les conditions de moralité pour exercer
Le tribunal rappelle le fondement légal du contrôle exercé par le CNAPS. L’article L. 612-20 du code de la sécurité intérieure dispose que nul ne peut exercer une activité de sécurité privée « s’il résulte de l’enquête administrative que son comportement ou ses agissements sont contraires à l’honneur, à la probité, aux bonnes mœurs ou sont de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État et sont incompatibles avec l’exercice des fonctions susmentionnées ».
Ce texte confère au CNAPS un large pouvoir d’appréciation, mais celui-ci doit s’exercer de manière proportionnée et tenir compte de l’ensemble des circonstances.
L’analyse du tribunal : la proportionnalité avant tout
Les éléments factuels établis
Le tribunal relève les faits suivants, issus de l’enquête administrative :
- L’incident a eu lieu dans un contexte familial
- Le requérant avait demandé à quatre reprises à sa belle-fille d’éteindre sa console
- Il a reconnu avoir giflé l’enfant lors de son audition
- Il n’avait jamais eu de comportement violent auparavant
- Le requérant justifie son geste par le besoin de calme pour son autre enfant autiste qui éprouve des difficultés à s’endormir
La minimisation par le requérant
Le tribunal note que M. B. tente de relativiser les faits en les qualifiant de « tape à sa belle-fille pour lui demander de faire moins de bruit ». Cette tentative de minimisation n’échappe pas au juge, qui retient néanmoins le caractère de « claques » tel qu’établi dans l’enquête.
Le raisonnement du tribunal
Le juge reconnaît la matérialité des faits reprochés : des violences sur mineur ayant donné lieu à un rappel à la loi. Toutefois, il applique un raisonnement en deux temps :
- Le caractère isolé : les faits « présentent un caractère isolé »
- La proportionnalité : ils « ne suffisent pas à considérer que le comportement de M. B. serait incompatible avec les fonctions d’agent de sécurité privée »
Conclusion : le CNAPS a commis une erreur manifeste d’appréciation en refusant la carte professionnelle.
Une annulation suivie d’une injonction exceptionnelle
Le tribunal ne se contente pas d’annuler la décision de refus. Il prononce une injonction de délivrance, mesure relativement rare en contentieux administratif.
L’article 2 du dispositif enjoint au CNAPS de délivrer à M. B. la carte professionnelle sollicitée dans un délai de deux mois.
Cette injonction positive est justifiée par le fait que « le motif d’annulation retenu » implique « nécessairement » la délivrance de la carte. En d’autres termes, dès lors que le tribunal estime que les faits ne justifient pas le refus, aucun réexamen n’est nécessaire : la carte doit être délivrée.
Les frais d’instance : une précision procédurale
Le tribunal condamne l’État à verser 1 500 euros à M. B. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Point technique : le requérant demandait également l’application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 (relatif à l’aide juridictionnelle). Le tribunal rejette cette demande au motif que M. B. n’a pas sollicité le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Ce dispositif ne peut donc pas être mobilisé pour rémunérer son avocat.
De même, les conclusions en « dépens » sont rejetées car l’instance n’a donné lieu à aucun dépens au sens de l’article R. 761-1 du code de justice administrative (les dépens concernent principalement les frais d’expertise, de traduction, etc.).
Les enseignements pratiques
Pour les candidats à une carte professionnelle
Cette décision apporte plusieurs enseignements rassurants :
- Un incident isolé n’est pas rédhibitoire : même des faits ayant donné lieu à une mesure pénale (rappel à la loi) peuvent être considérés comme insuffisants pour justifier un refus
- Le contexte compte : la nature familiale de l’incident, les circonstances particulières (enfant autiste), et l’absence d’antécédents sont pris en compte
- La proportionnalité s’impose : le juge vérifie que la sanction administrative est proportionnée à la gravité des faits
- L’injonction est possible : en cas d’erreur manifeste d’appréciation, le juge peut directement ordonner la délivrance de la carte
Attention toutefois : cette jurisprudence ne signifie pas que toute violence, même isolée, sera excusée. Le tribunal souligne le caractère unique de l’incident et l’absence de tout antécédent violent.
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence administrative classique qui exige que les restrictions à l’accès à une profession soient strictement proportionnées aux objectifs de sécurité publique.
Elle rappelle que le juge administratif opère un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur les décisions du CNAPS, sans se substituer à l’autorité administrative, mais en vérifiant que l’appréciation portée n’est pas manifestement excessive au regard des faits.
Conclusion
Ce jugement illustre l’équilibre délicat que doit trouver l’administration entre exigence de moralité dans les professions de sécurité et respect du principe de proportionnalité.
Un incident familial isolé, même ayant donné lieu à un rappel à la loi, ne suffit pas automatiquement à justifier un refus de carte professionnelle. Le juge vérifie que les faits sont réellement incompatibles avec l’exercice de la profession envisagée, en tenant compte de leur gravité, de leur contexte, et de l’absence ou non de récidive.
Cette décision, favorable au requérant, ne doit pas faire oublier que la profession d’agent de sécurité reste soumise à des exigences morales strictes, justifiées par les missions de protection des personnes et des biens. Elle rappelle simplement que ces exigences doivent s’apprécier au cas par cas, sans automatisme excessif.
TA Montreuil, 9e ch., 19 juillet 2024, n° 2213609.