Suspension de la décision de fermeture d’une librairie qui vendait des ouvrages incitant à la haine
Un préfet de police peut il fermer une librairie pour trouble à l’ordre public résultant de livres dangereux ? C’est une question digne de fahrenheit 451 qui était posée au juge administratif de Nice.
Le premier grief concernait la vente d’ouvrages incitant à la haine, à la violence ou à la discrimination. Le préfet des Alpes-Maritimes avait considéré, dans l’arrêté de fermeture administrative en date du 28 février 2024, que l’établissement proposait à la vente des ouvrages incitant ou faisant appel à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle, et de leur origine. Il a estimé que ces ouvrages fondamentalistes, accessibles au public et notamment aux jeunes, étaient vecteurs de prosélytisme et qu’ils pouvaient nuire à l’épanouissement physique, moral ou mental de leurs lecteurs, portant ainsi atteinte à la dignité de la personne humaine et à la moralité publique.
Le juge relève cependant que l’établissement a retiré de la vente deux des ouvrages incriminés, « à savoir, d’une part, « Les dix péchés capitaux », de l’imam Shams Ad-Dîn Al-Dhahabi (1274-1348) et, d’autre part, « Notre devoir vis-à-vis des savants et ceux qui détiennent le pouvoir » écrit par le cheikh Salih Al Fawzan, du comité permanent de la délivrance des fatwas (Arabie Saoudite) « .
Le juge relève que ces ouvrages sont au demeurant toujours disponibles dans nombre de librairies de France en ligne (dont notamment la FNAC et Amazon). Le juge considère que pour les autres ouvrages litigieux, la préfecture n’a pas démontré qu’ils comporteraient des passages pouvant être regardés comme susceptibles de générer un risque de trouble à l’ordre public.
Le second grief correspondait à la présence d’un système de vidéoprotection non déclarés. En effet, selon l’article L. 253-4 du code de la sécurité intérieure : « A la demande de la commission départementale de vidéoprotection, ou de sa propre initiative, le représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent fermer pour une durée de trois mois, après mise en demeure non suivie d’effets dans le délai qu’elle fixe, un établissement ouvert au public dans lequel est maintenu un système de vidéoprotection sans autorisation. Lorsque, à l’issue du délai de trois mois, l’établissement n’a pas sollicité la régularisation de son système, l’autorité administrative peut lui enjoindre de démonter ledit système. S’il n’est pas donné suite à cette injonction, une nouvelle mesure de fermeture de trois mois peut être prononcée. ».
Cependant, le juge relève que si lors d’un contrôle, les fonctionnaires de la police nationale ont relevé l’installation, au sein de l’établissement d’un système de vidéoprotection qui n’avait pas fait l’objet d’une autorisation préfectorale. Cependant le juge relève que antérieurement à la signature de l’arrêté contesté, le conseil de la SARL Trust Company a informé les services de la préfecture que la gérante de l’établissement avait retiré l’intégralité des caméras de surveillance de son établissement et avait renoncé à la mise en œuvre de la vidéoprotection dans l’attente de pouvoir trouver un prestataire efficace et diligent. Si l’autorité administrative ne conteste pas le retrait des caméras, elle fait valoir que la société n’a pas procédé à l’enlèvement des caméras de vidéoprotection à la suite immédiate du contrôle opéré, ni même avant l’échéance du délai fixé par le courrier de mise en demeure.
Le juge considère cependant qu’une mesure de police n’est légale que si elle est nécessaire au regard de la situation de fait existant à la date à laquelle elle a été prise. Il ressort des dispositions de l’article L. 253-4 du code de la sécurité intérieure et des pouvoirs qu’il confère au préfet que cette autorité agit dans le cadre d’un pouvoir de police destiné à faire cesser le trouble à l’ordre public constitué par l’exploitation sans autorisation d’un système de vidéoprotection. Dans la mesure où le système de vidéoprotection n’avait pas été « maintenu » au sens des dispositions précitées de l’article L. 253-4 du code de la sécurité intérieure et où, par suite, l’objet de la mesure de police n’était plus constitué le 28 février 2024, le préfet des Alpes-Maritimes ne pouvait légalement ordonner la fermeture de l’établissement.
Le juge considère que la fermeture de la librairie pour une durée de trois mois constituait une mesure disproportionnée. L’arrêté portant fermeture est donc suspendu.
TA Nice, 5 mars 2024, n° 2401143.