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Justice ordinale : Analyse de trois décisions récentes

Le droit des ordres professionnels continue de faire l’objet d’un contentieux soutenu, révélateur des tensions entre accès à la profession, exigences déontologiques et contrôle juridictionnel. Voici une sélection de trois décisions récentes rendues par les juridictions administratives et ordinales, mettant en lumière les grands enjeux du contentieux ordinale, notamment dans les professions de médecin et de notaire.

 

Refus d’inscription au tableau de l’Ordre des médecins : la rigueur du contrôle déontologique

 

Dans une affaire récente (CE, Ord.,, 13 mai 2025, n°503966), un médecin radié d’un tableau départemental a tenté de s’inscrire auprès d’un autre conseil départemental. Le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) a refusé sa demande, en se fondant sur des sanctions disciplinaires antérieures et des manquements à la déontologie.

Le praticien a saisi le juge des référés du Conseil d’État, invoquant l’urgence et un doute sérieux quant à la légalité de cette décision. Il soulevait notamment une potentielle violation du principe de prohibition de la reformatio in pejus (le fait d’alourdir la perte de l’appelant en cause d’appel).

Le juge des référés a rejeté la demande, considérant que les griefs invoqués ne permettaient pas de créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision. L’antériorité des sanctions disciplinaires justifiait pleinement le refus d’inscription.

Il a particulièrement retenu que :

« D’une part, si M. B soutient que la formation restreinte du CNOM, en ajoutant des motifs à ceux retenus par la formation restreinte du CROM d’Ile-de-France pour confirmer l’annulation de son inscription au tableau de l’ordre des Hauts-de-Seine prononcé par ce dernier, a méconnu le principe général selon lequel une sanction ne peut être aggravée sur le seul recours de l’appelant qui en fait l’objet (« reformatio in pejus »), un tel moyen, formulé à l’encontre d’une décision administrative qui n’a pas le caractère d’une sanction et dont, au demeurant, le dispositif a exactement le même effet que celui de la décision à laquelle elle se substitue, n’est manifestement pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. D’autre part, eu égard au nombre et à la nature des manquements, sanctions et procédures, dont la plupart touchent à la déontologie médicale, que la formation restreinte du CNOM a retenus pour estimer que M. B ne remplit pas la condition de moralité exigée pour être inscrit à l’ordre des médecins, le moyen tiré de ce que cette formation aurait fait une inexacte application des dispositions de l’article L. 4111-2 du code de la santé publique, qui prévoient cette condition, n’est manifestement pas plus de nature à justifier la suspension de l’exécution de la décision contestée. »

À retenir : Le Conseil d’État confirme la position stricte du CNOM face à des antécédents disciplinaires, et valide la robustesse des exigences ordinales en matière de déontologie.

 

Publicité illicite d’un médecin : contestation de la norme déontologique et responsabilité de l’État

 

Dans une décision du 29 juin 2023 (CAA Lyon, 6e ch., n°21LY04261), un médecin ophtalmologiste sanctionné pour publicité prohibée par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a contesté la légalité de l’article R. 4127-19 du Code de la santé publique, estimant qu’il serait contraire au droit de l’Union européenne.

Il a également sollicité une indemnisation au titre de la responsabilité de l’État.

La cour a rejeté cette demande, estimant que l’illégalité invoquée n’était pas manifeste au moment de la sanction, et que la responsabilité de l’État ne pouvait être engagée dans ces conditions.

Plus précisément, la juridiction retient que :

« 3. En vertu des principes généraux régissant la responsabilité de la puissance publique, une faute lourde commise dans l’exercice de la fonction juridictionnelle par une juridiction administrative est susceptible d’ouvrir droit à indemnité. Si l’autorité qui s’attache à la chose jugée s’oppose à la mise en jeu de cette responsabilité dans les cas où la faute lourde alléguée résulterait du contenu même de la décision juridictionnelle et où cette décision serait devenue définitive, la responsabilité de l’Etat peut cependant être engagée dans le cas où le contenu de la décision juridictionnelle est entaché d’une violation manifeste du droit de l’Union européenne ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Il y a lieu, pour le juge administratif saisi de conclusions tendant à ce que la responsabilité de l’Etat soit engagée du fait d’une violation manifeste du droit de l’Union à raison du contenu d’une décision d’une juridiction administrative devenue définitive, de rechercher si cette décision a manifestement méconnu le droit de l’Union au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de cette décision.

4. D’une part, à la date de la décision ordinale en litige, aucune décision n’avait établi l’incompatibilité du second alinéa de l’article R. 4127-19 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable, avec le droit de l’Union. Au contraire, [la CJUE et le Conseil d’Etat avaient jugés en sens inverse entre 2008 et 2016].

5. D’autre part, ce n’est que par l’arrêt préjudiciel C-339/15 du 4 mai 2017 que la cour de justice de l’Union européenne a fait évoluer sa jurisprudence. […] L’interprétation finalement retenue par cet arrêt, qui a été rendu sur conclusions contraires de l’avocat général indiquant être « d’avis que les États membres sont en droit d’interdire aux prestataires de soins dentaires de faire de la publicité auprès du public pour leurs prestations, dès lors que cette interdiction se limite effectivement à la promotion de celles-ci », n’était donc pas manifestement prévisible et ne s’inscrivait pas dans une jurisprudence bien établie de la cour de justice de l’Union européenne en la matière.

6. Il ressort de l’ensemble des éléments qui viennent d’être exposés qu’à la date où la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a infligé à M. A la sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pendant une durée d’un an, l’inapplicabilité du second alinéa de l’article R. 4127-19 du code de la santé publique, en raison de sa contrariété avec un article utilement invocable du TFUE, n’était pas manifeste. M. A n’est dès lors pas fondé à soutenir que l’Etat aurait engagé sa responsabilité en raison de cette décision juridictionnelle devenue définitive« .

 

À retenir : L’affaire illustre les limites de la remise en cause des règles déontologiques, même face à des arguments tirés du droit européen, ainsi que les obstacles à l’engagement de la responsabilité de l’État en cas de sanctions disciplinaires devenues définitives. Il ne faut pas seulement avoir eu raison avant le juge suprême, communautaire ou national, mais que cela ait encore été prévisible.

 

Refus de nomination dans un office notarial : l’honneur et la probité comme conditions incontournables

 

Dans un arrêt du 19 décembre 2024 (CAA Bordeaux, 2e ch., n°23BX00003), la cour administrative d’appel a validé le refus de nomination à un office notarial opposé par le garde des Sceaux à un candidat, en raison de faits contraires à l’honneur et à la probité.

Ce refus intervenait après une première annulation de la décision ministérielle par le tribunal administratif. Néanmoins, le ministre a repris une décision identique, cette fois jugée légale par la cour d’appel. Elle a estimé que les faits en cause étaient d’une gravité suffisante pour justifier le refus, et qu’aucun droit à la nomination ne pouvait être revendiqué.

La Cour a, pour ce faire, retenu que :

 » Pour rejeter la candidature de M. C à sa nomination en qualité de notaire dans un office à créer à la résidence de Bordeaux (zone 7204 – Bordeaux), le ministre de la justice a relevé d’une part que M. C avait perçu des honoraires non justifiés en sus d’émoluments, en méconnaissance de l’article 9.1 du règlement national des notaires, faits à raison desquels le tribunal de grande instance de Saint-Etienne a prononcé la sanction disciplinaire de rappel à l’ordre et, d’autre part, qu’il avait falsifié les documents d’une succession en faisant mention d’une clause inexacte, faits ayant donné lieu à sa mise en accusation le 28 mai 2020 devant la cour d’assises de Lyon du chef de faux en écriture publique ou authentique. Le ministre de la justice a considéré que ces faits étaient contraires à l’honneur et à la probité.

[…] En tout état de cause, alors que les faits contraires à l’honneur et à la probité ne se limitent pas à ceux ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou pénale, la circonstance qu’il ait, en connaissance de cause, signé et authentifié des actes comportant une mention erronée, était suffisante pour caractériser à elle seule, un manquement à la probité. Dans ces circonstances, eu égard à la gravité et au caractère récent des faits retenus par le garde des sceaux, et alors que celui-ci ne pouvait porter aucune appréciation sur le comportement postérieur de M. C dès lors que celui-ci n’exerçait plus les fonctions de notaire depuis son retrait de son office notarial le 24 mai 2016, c’est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la décision contestée n’était pas entachée d’erreur d’appréciation au regard du 2° de l’article 3 du décret du 5 juillet 1973. »

À retenir : Cette décision rappelle que la nomination à un office notarial reste conditionnée à une intégrité personnelle sans faille, et que l’administration bénéficie d’une marge d’appréciation importante en matière d’éthique professionnelle.

Si vous êtes professionnel de santé, officier ministériel ou acteur institutionnel, ces évolutions vous concernent directement. Elles soulignent la nécessité de sécuriser vos démarches ordinales et contentieuses dès les premières étapes. N’hésitez pas à consulter nos avocats en droit des professions règlementées.