
Les dernières actualités contentieuses de l’instruction en famille (IEF)
La période estivale est propice aux différents contentieux afférents à l’instruction en famille.
En effet, d’une part, en raison du calendrier de dépôt des demandes d’autorisation, lesquelles doivent être déposées, hors circonstances exceptionnelle, entre le 1er mars et le 31 mai et, d’autre part, de la chronologie des contrôles académiques prévus à l’article L. 131-10, lesquels peuvent aboutir à une mise en demeure, l’essentiel des contentieux concernant l’école à la maison à lieu entre le mois de mai et le mois de septembre.
En juin, dans une multitude de décisions, les tribunaux administratifs ont eu l’occasion de rendre plusieurs décisions qui méritent d’être relevées. Les jugements censurant les refus d’autorisation ne seront pas repris en ce qu’ils ne font que confirmer une ligne jurisprudentielle déjà tranchée et en raison du fait que cela aboutit à un simple réexamen, conduisant le plus souvent à un refus.
Sur les demandes d’autorisation
Tout d’abord, un point procédural inédit a été tranché concernant la présence de personnes non prévues lors de la Commission de RAPO. La jurisprudence avait déjà explicité que le quorum devait être atteint, sous peine de priver les familles d’une garantie légale. Toutefois, elle n’avait pas encore eu l’occasion de trancher le cas où des personnes additionnelles étaient présentes.
En ce sens, le tribunal administratif de Rennes a jugé que :
« 5. En l’espèce, si le recteur de l’académie de Rennes justifie que la commission académique qui s’est réunie le 26 juin 2024 pour examiner le recours administratif préalable formé par M. D et Mme F était régulièrement composée et que le quorum était atteint, même en déduisant la présence de M. H, qui siégeait sans voix délibérative, compte tenu de la présence de M. C, dont il est le suppléant, il n’apporte aucune précision sur les conditions dans lesquelles les membres présents ont voté sur la demande des requérants. Dans ces conditions, et alors en outre, que ne sont pas précisées les modalités arrêtées permettant à la commission académique de recourir aux délibérations collégiales à distance, en application de l’ordonnance n° 2014-1329 du 6 novembre 2014 relative aux délibérations à distance des instances administratives à caractère collégial, les requérants sont fondés à soutenir qu’il n’est pas établi que la commission académique se serait prononcée sur leur situation à la majorité des membres présents, conformément aux exigences précitées de l’article D. 131-11-2 du code de l’éducation, et qu’en conséquence, la décision contestée est illégale. » (TA Rennes, 3e ch., 26 juin 2025, n° 2404556).
Sur le terrain du silence de l’administration, le juge administratif rappelle que, notamment en cas de fratrie, l’administration doit pouvoir justifier de la notification de la décision de refus pour chaque enfant concerné, à défaut de quoi il ne peut qu’être retenu que le rejet non établi comme ayant été notifié est, en réalité, une décision implicite d’acceptation :
« 6. En l’espèce, M. et Mme D ont déposé une demande d’instruction en famille pour leur fils B le 4 mars 2024, dont le rectorat a accusé réception par un courrier du 5 mars 2024. Le rectorat produit en défense la décision du DASEN du 29 avril 2024 portant refus d’autorisation d’instruction en famille pour l’enfant B. Toutefois, le rectorat ne justifie pas, ainsi qu’il l’allègue, que cette décision ait été effectivement notifiée aux intéressés le 6 mai 2024, alors que ceux-ci affirment que le pli recommandé avec accusé de réception qu’ils ont reçu à cette date contenait uniquement la décision prise sur la demande déposée au profit de leur fille A et n’était pas accompagnée de la décision de refus du 29 avril 2024 concernant leur fils B. Par ailleurs, l’administration n’est pas non plus en mesure de justifier d’un accusé de réception propre à cette décision. Au demeurant, le rectorat ne justifie pas davantage la réception effective par les requérants de son courrier du 16 mai 2024, adressé par lettre simple, évoquant l’intervention de ce refus exprès, que les requérants contestent également avoir reçu. Dans ces conditions, l’administration doit être regardée comme ayant conservé le silence pendant deux mois sur la demande dont elle était saisie, au sens de l’article L. 231-1 du code des relations entre le public et l’administration cité au point 5, faisant ainsi naître une décision implicite d’acceptation de la demande d’instruction en famille déposée par les requérants pour leur fils B. Dès lors, M. et Mme D, étaient titulaires d’une autorisation implicite d’instruction en famille pour l’enfant. Il s’ensuit que M. et Mme D sont fondés à soutenir que le DASEN de la Haute-Saône ne pouvait les mettre en demeure de scolariser leur fils B dans un établissement scolaire au motif qu’ils n’étaient pas titulaires d’une autorisation d’instruction en famille ». TA Besançon, 1re ch., 17 juin 2025, n° 2402155.
Enfin, concernant le motif 3 (itinérance de la famille en France ou éloignement géographique), une nouvelle décision, déjà commentée, est à relever.
Par un jugement du 5 juin dernier, le Tribunal administratif de Bordeaux a eu l’occasion de rendre une décision importante à cet égard. Dans cette décision, il a ainsi considéré que :
« Pour justifier la situation d’itinérance fondant leur demande d’instruction en famille, M. X et Mme Y indiquent qu’ils ne sont ni issus de la communauté des gens du voyage, ni forains ni marchands, et qu’ils ont choisi pour des raisons personnelles et familiales de s’orienter vers une vie en camping-car pour faire découvrir la France et l’Union européenne à leurs enfants. Ils précisent qu’ils souhaitent changer de ville tous les trois ou quatre jours et que les lieux de séjour, dont seuls quelques-uns étaient définis à la date de leur demande, seront choisis au gré de leurs envies. Contrairement à ce qu’a estimé l’administration, de telles conditions de déplacement, eu égard à l’incertitude quant au lieu de destination et à la très brève durée de séjour dans chacun des lieux fréquentés, qui auraient pour effet de conduire les requérants à changer leur enfant d’école tous les trois ou quatre jours, établissent qu’il sera impossible à leur enfant de fréquenter assidument un établissement d’enseignement public ou privé et que sa scolarisation par l’intermédiaire du centre national d’enseignement à distance est la plus conforme à son intérêt. M. X et Mme Y sont en conséquence fondés à soutenir que c’est à tort que la commission académique a rejeté leur demande d’instruction en famille de leur enfant et que sa décision du 21 juillet 2023 doit être annulée. ».
Le tribunal retient donc une approche libérale du motif 3 puisqu’il retient, explicitement, que la circonstance que les lieux de séjour ne soient pas tous déterminés (et donc prouvés) n’est pas de nature à faire obstacle à la délivrance de l’autorisation
Sur les contrôles académiques :
Dans une première décision, le juge a rappelé que le délai de mise en demeure est un délai effectif. En effet, l’article L. 131-10 du code de l’éducation prévoit que les parents ayant subi deux contrôles défavorables sont mis en demeure de scolariser leurs enfants sous quinze jours. Cependant, ces quinze jours, qui constitue une garantie légale, court à compter de la date de notification de la mise en demeure et non de la date de celle-ci.
Ainsi, la décision n’ayant pas pris de précaution en intégrant le délai de notification est annulée par le juge :
«7. Aux termes de l’article L. 131-10 du code de l’éducation : « () Si les résultats du second contrôle sont jugés insuffisants, l’autorité de l’Etat compétente en matière d’éducation met en demeure les personnes responsables de l’enfant de l’inscrire, dans les quinze jours suivant la notification de cette mise en demeure, dans un établissement d’enseignement scolaire public ou privé et de faire aussitôt connaître au maire, qui en informe l’autorité de l’Etat compétente en matière d’éducation, l’école ou l’établissement qu’elles auront choisi. ().
En l’espèce, à l’issue du second contrôle, qui s’est déroulé le 24 mai 2024, le DASEN du Doubs a mis en demeure M. et MmeA de scolariser leur fille dans un établissement scolaire avant le 7 août 2024, par un courrier en date du 16 juillet 2024 reçu le 24 juillet 2024. Dès lors, en imposant aux intéressés de scolariser leur enfant dans un délai inférieur à quinze jours, la décision attaquée a méconnu la disposition citée au point 7 » TA Besançon, 1re ch., 17 juin 2025, n° 2401771.
Enfin, de manière plus traditionnelle, mais avec de petites précisions, la prise en compte de l’état de santé a fait l’objet de deux décisions remarquables (non publiées pour l’heure).
Dans une première décision, le juge administratif a rappelé une chose relativement inédite mais rencontrée fréquemment, à savoir que l’évaluation exhaustive des compétences de l’enfant constitue une garantie légale.
Concrètement, il n’est pas rare que des contrôles soient particulièrement orienté sur des matières « faibles » de l’enfant contrôlé et que l’inspecteur ne cherche pas effectivement à évaluer l’ensemble.
Le juge rappelle ici que l’administration doit être objective et contrôler l’ensemble des matières afin de pouvoir déterminer si l’instruction pratiquée en famille permet, ou non, à l’enfant d’atteindre les attendus de fin de cycle. En l’espèce, il retient que des difficultés en lecture, pour difficiles qu’elles soient, n’entrainent pas, par principe, un contrôle défavorable :
« 6. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie.
- Les requérants soutiennent que l’inspecteur de l’éducation nationale n’a pas apprécié la progression de Z. en vue d’acquérir en fin de cycle les attendus légaux et qu’il n’a pas évalué l’ensemble des domaines de compétences lorsqu’il a procédé aux deux contrôles pédagogiques réalisés les 19 décembre 2023 et 14 février 2024. Il ressort en effet des deux rapports de contrôle que l’inspecteur de l’éducation nationale a considéré que les difficultés rencontrées par Z en lecture empêchaient toute validation des domaines 1 et 2 des acquis du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, et bloquaient les progrès dans les autres domaines de ce socle commun que, pour ce motif, il n’a pas évalué. Il ressort toutefois du contrôle favorable effectué au cours de l’année scolaire 2022-2023 que les compétences en mathématiques de l’enfant ont été jugées satisfaisantes et que les difficultés rencontrées en lecture ne font pas obstacle à l’acquisition progressive, en utilisant des méthodes d’apprentissage adaptées, des connaissances et compétences attendues. Dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir que les contrôles sont irréguliers en ce qu’ils ne vérifient pas que l’instruction en famille de Z permettait l’acquisition progressive des connaissances et des compétences dans chacun des domaines du socle commun défini à l’article L. 122-1-1 du code de l’éducation. Cette irrégularité a privé les intéressés de la garantie que constituent ces contrôles et a nécessairement été de nature à exercer une influence sur le sens de la décision.» (TA Poitiers, 5 juin 2025, n° 2400859.
Dans une ultime décision, le juge rappelle que l’administration doit apprécier le niveau d’évolution de l’enfant au regard de son état de santé ou de son handicap, sans prendre référence sur un niveau abstrait ou scolaire.
En l’espèce, l’enfant disposait d’un retard import dans de nombreux domaines ; toutefois, il sortait d’une scolarisation et c’est donc à cette dernière que le retard était au-demeurant imputable. Dès lors, l’inspecteur qui ne tient pas compte du trouble handicapant de l’enfant pour procéder au contrôle le prive d’une garantie légale.
« 6. La requérante soutient que l’inspecteur de l’éducation nationale n’a pas tenu compte des troubles de son fils lorsqu’il a procédé aux deux contrôles pédagogiques réalisés les 28 novembre 2023 et 25 mars 2024. Il ressort effectivement des bilans orthophoniques des 2 novembre et 5 décembre 2023 que N présente un trouble spécifique du langage écrit, de type dyslexie dysorthographie et que son trouble des apprentissages concerne la maîtrise du sens du nombre et le raisonnement mathématique. Le compte-rendu de suivi en psychomotricité du 13 mars 2021 indique qu’il souffre notamment d’un défaut d’attention soutenue auditive, d’une immaturité affective, d’une instabilité psychomotrice, d’une fatigabilité liée à l’effort de concentration et des fragilités dans la structuration visuo-spatiale. Il ressort également des pièces du dossier que N, qui bénéficie d’une allocation d’éducation de l’enfant handicapé, a, par le passé, était scolarisé dans un établissement d’enseignement, sans grand succès malgré la présence d’un accompagnant des élèves en situation de handicap. Or, les termes des différents contrôles ne permettent pas d’établir que l’inspecteur ait effectivement tenu compte des difficultés présentées par N, et que les évaluations auxquelles il a donné lieu étaient bien adaptées à ses troubles et besoins. Dans ces conditions, en se fondant sur le fait que la progression de N en français et en mathématique était insuffisante eu égard à son âge, sans tenir compte de ses troubles de santé invalidant, l’inspecteur de l’académie de Poitiers a méconnu les dispositions de l’article L. 131-10 du code de l’éducation. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit. » (TA Poitiers, 5 juin 2025, n° 2400968).