
Remise en eau d’un étang fondé en titre : quelle procédure respecter ?
Le tribunal administratif de Dijon a rendu une décision intéressante sur la remise en eau d’un étang fondé en titre.
Dans cette affaire, une SCI, propriétaire du château de Villarnoux, a entrepris des travaux de remise en état d’un étang situé à proximité de ce château classé aux monuments historiques. Cet étang, établi en dérivation d’un cours d’eau et dont l’existence est attestée sur la carte de Cassini de 1758, n’avait plus été entretenu depuis plusieurs décennies et se trouvait en assec.
Sans porter préalablement ces travaux à la connaissance de l’administration, la SCI a procédé à la remise en eau de l’ouvrage. Le préfet de l’Yonne l’a alors mise en demeure, par arrêté du 13 mai 2022, de régulariser la situation administrative du plan d’eau en :
- Démontrant le maintien permanent de l’étang selon les prescriptions d’un arrêté préfectoral de 1968
- Portant le projet à la connaissance du préfet conformément à l’article R. 214-18-1 du code de l’environnement
La SCI a contesté cette mise en demeure devant le tribunal administratif.
Le Tribunal administratif de Dijon a partiellement annulé l’arrêté préfectoral. Cette décision apporte des clarifications essentielles sur le régime juridique des ouvrages hydrauliques fondés en titre et les obligations procédurales applicables.
Sur l’applicabilité de l’arrêté de 1968
Le tribunal a considéré que l’arrêté préfectoral du 18 octobre 1968, qui réglementait l’étang et avait été délivré personnellement à l’ancien propriétaire, n’était pas opposable à la SCI en l’absence de procédure de changement de bénéficiaire.
En effet, une autorisation administrative délivrée à titre personnel ne se transmet pas automatiquement au nouveau propriétaire. Les articles R. 214-40-2 et L. 181-47 du code de l’environnement imposent au nouveau bénéficiaire de déclarer ce transfert au préfet dans un délai de trois mois.
Le tribunal a donc annulé l’obligation faite à la SCI de démontrer le maintien permanent du plan d’eau selon les prescriptions de cet arrêté de 1968, celui-ci ne lui étant pas applicable.
Sur l’obligation de « porté à connaissance »
En revanche, le tribunal a confirmé l’obligation pour la SCI de porter à la connaissance du préfet les travaux de remise en eau, conformément à l’article R. 214-18-1 du code de l’environnement.
Le tribunal rappelle qu’un ouvrage est présumé fondé en titre dès lors que son existence matérielle avant l’abolition des droits féodaux (1789) est prouvée. Cette preuve peut être apportée par tout moyen, notamment par sa localisation sur la carte de Cassini du XVIIIe siècle.
En l’espèce, l’existence de l’étang sur la carte de Cassini de 1758 établissait la présomption d’un droit fondé en titre.
Le tribunal précise les conditions dans lesquelles un droit fondé en titre peut se perdre :
- Ce qui ne fait PAS perdre le droit :
- La simple non-utilisation de l’ouvrage, même pendant une longue période
- Le délabrement du bâtiment auquel le droit est attaché
- L’absence d’entretien et l’assèchement pendant plusieurs décennies
- Ce qui fait perdre le droit :
- La ruine de l’ouvrage, c’est-à-dire la disparition des éléments essentiels permettant l’utilisation de la force motrice
- L’état dans lequel l’ouvrage est devenu impropre à son usage originel sans reconstruction complète
Principe fondamental : « La seule circonstance qu’un étang n’ait pas été entretenu pendant plusieurs décennies et soit désormais asséché n’est pas de nature à entraîner la disparition du droit fondé en titre qui s’y attache s’il n’est pas devenu impropre à son usage originel de réserve d’eau. »
L’article R. 214-18-1 du code de l’environnement impose que « le confortement, la remise en eau ou la remise en exploitation » d’installations ou d’ouvrages fondés en titre soient portés à la connaissance du préfet avant leur réalisation, avec tous les éléments d’appréciation.
Cette procédure permet au préfet de :
- Reconnaître le droit fondé en titre et sa consistance légale
- Constater éventuellement la perte du droit
- Modifier ou abroger le droit dans certaines conditions
- Fixer des prescriptions complémentaires
En l’espèce, le tribunal a jugé que la SCI, qui se prévalait d’un droit fondé en titre, devait impérativement respecter cette obligation procédurale avant d’entreprendre les travaux de remise en eau.
Les enseignements pratiques
Pour les propriétaires d’ouvrages hydrauliques anciens
1. Vérifier l’existence d’un droit fondé en titre
Si votre propriété comprend un ouvrage hydraulique ancien (étang, moulin, barrage), recherchez :
- Sa présence sur les cartes anciennes (Cassini, cadastre napoléonien)
- Des titres de propriété ou actes notariés attestant de son existence avant 1789
- D’éventuelles autorisations administratives antérieures
2. Respecter impérativement la procédure du « porté à connaissance »
Avant tout projet de confortement, remise en eau ou remise en exploitation :
- Constituer un dossier détaillé des travaux envisagés
- Le transmettre au préfet avec tous les éléments justifiant du droit fondé en titre
- Attendre la réponse de l’administration avant d’entreprendre les travaux
Cette obligation s’impose même si :
- L’ouvrage n’a pas été utilisé depuis longtemps
- Il est asséché ou en mauvais état
- Les travaux semblent de simple entretien
3. En cas d’acquisition d’une propriété avec autorisation existante
Déclarez le transfert au préfet suivant l’acquisition pour :
- Maintenir l’opposabilité de l’autorisation
- Éviter de devoir redemander une autorisation
- Respecter vos obligations réglementaires
La portée de la décision
Cette décision du tribunal administratif de Dijon est intéressante car elle :
Protège les droits fondés en titre en rappelant qu’ils ne se perdent pas par le simple non-usage, le tribunal préserve un patrimoine hydraulique historique souvent attaché à des sites remarquables.
Impose des obligations procédurales strictes eême pour des travaux de remise en état, le propriétaire doit en informer l’administration préalablement. Cette exigence vise à permettre un contrôle environnemental des projets.
Clarifie le régime des autorisations anciennes: la non-transmissibilité automatique des autorisations personnelles évite que des prescriptions obsolètes ou inadaptées continuent de s’appliquer au nouveau propriétaire.
Dans un contexte de préservation des milieux aquatiques et de restauration de la continuité écologique, cette jurisprudence trouve un équilibre entre protection du patrimoine historique et nécessités environnementales contemporaines.
TA Dijon, 1re ch., 4 juill. 2024, n° 2202263.