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La responsabilité des SDIS pour fautes commises au cours de leurs opérations

L’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Nantes le 28 novembre 2025 (n° 24NT03560) illustre de manière très claire les conditions d’engagement de la responsabilité des services départementaux d’incendie et de secours lorsque des manquements sont constatés dans l’exécution de leurs missions. A l’occasion de cet arrêt, nous vous proposons de revenir sur ce régime et sur le contentieux indemnitaire qui peut en découler.

En l’espèce, une maison à Gavrus (Calvados) a été partiellement détruite par deux incendies successifs dans la nuit du 21 au 22 août 2020. Après une première intervention ayant permis l’extinction d’un feu de garage, un second incendie s’est déclaré quelques heures plus tard. Le propriétaire et son assureur, la société Thelem Assurances, subrogée dans ses droits en application de l’article L. 121-12 du code des assurances, ont recherché la responsabilité du SDIS du Calvados. Après un rejet en première instance, la Cour administrative d’appel a infirmé cette décision et reconnu la responsabilité du service public.

 

Le cadre normatif et l’identification des fautes

La Cour rappelle que l’article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales confère aux SDIS des missions de prévention, protection et lutte contre les incendies, ainsi que de protection des personnes et des biens. L’article L. 1424-4 du même code précise que les moyens des SDIS sont mis en œuvre selon un règlement opérationnel arrêté par le préfet.

Au-delà de ce cadre législatif, la Cour se réfère expressément à l’article 7 du règlement d’instruction et de manœuvre des sapeurs-pompiers communaux approuvé par l’arrêté du 1er février 1978, qui impose des obligations précises en matière de déblai post-extinction : « Une fois le feu éteint, [le déblai] a pour objet de déplacer les décombres, qui pourraient encore cacher des foyers, et d’écarter ainsi toute chance de reprise de feu« . La Cour relève également que les directives opérationnelles du SDIS 14, notamment la fiche « INC.8 Déblai et surveillance », comportent des prescriptions équivalentes.

L’analyse de la Cour identifie trois fautes distinctes. Premièrement, malgré les opérations de déblaiement, il demeurait au niveau d’une poutre située au-dessus du garage un point chaud constituant un feu mourant, qui n’a pas fait l’objet d’un dégarnissage et a été la cause directe de la reprise du feu vers quatre heures du matin. Deuxièmement, la ronde de surveillance obligatoire n’a été programmée que vers 6h15, soit plus de cinq heures après le message « feu éteint » passé à 0h58, en violation des directives opérationnelles qui imposent une première ronde dans un délai maximum de quatre heures. Troisièmement, l’arrivée des pompiers lors du second incendie est intervenue avec un retard de cinq minutes par rapport au délai d’intervention attendu.

Cette décision s’inscrit dans le régime classique de la responsabilité pour faute simple des services publics. La Cour retient que les manquements aux obligations réglementaires et aux directives opérationnelles constituent des fautes de nature à engager la responsabilité du SDIS, rejoignant la jurisprudence selon laquelle la faute de service peut résulter du non-respect des règles techniques applicables.

Le lien de causalité et l’évaluation des préjudices

La Cour opère une distinction essentielle dans l’établissement du lien causal : le caractère tardif de l’arrivée lors de la seconde intervention n’a pas causé la destruction, le toit étant déjà embrasé cinq minutes avant. En revanche, le déblayage insuffisant et la programmation tardive de la ronde ont directement causé la destruction partielle.

S’agissant de l’évaluation des préjudices, la Cour applique rigoureusement l’article 1346-4 du code civil et l’article L. 121-12 du code des assurances relatifs à la subrogation. Elle détermine d’abord le droit à réparation de l’assuré, puis les droits de l’assureur subrogé, limités au montant effectivement versé.

Sur la vétusté, la Cour considère que l’indemnité doit correspondre à la valeur de remplacement ou au coût des travaux strictement nécessaires. Elle refuse d’appliquer un coefficient de vétusté aux biens immobiliers, mais l’applique aux biens mobiliers eu égard à leur ancienneté et à la possibilité de les remplacer par des objets d’occasion.

Un élément déterminant réside dans la fixation à 60% de la part du préjudice imputable au second incendie et donc aux fautes du SDIS, sur la base des conclusions de l’expert judiciaire. Cette approche proportionnelle permet de distinguer les dommages causés par le premier incendie de ceux résultant du second sinistre imputable au service public.

Portée de la décision

Cet arrêt confirme que les directives opérationnelles des SDIS constituent un référentiel normatif dont le non-respect caractérise une faute de service. Il illustre l’importance décisive de l’expertise judiciaire dans l’identification des manquements, l’établissement du lien de causalité et la détermination de la part respective des sinistres successifs.

Sur le plan procédural, la Cour admet la recevabilité de conclusions accrues en appel dès lors qu’un élément nouveau est apparu postérieurement au jugement de première instance. Pour les victimes et leurs conseils, cette décision confirme l’importance d’une stratégie contentieuse méthodique articulant expertise judiciaire, démonstration du lien de causalité et évaluation rigoureuse des différents chefs de préjudice.

 

Si vous rencontrez une difficulté en lien avec un préjudice subi du fait d’un service public, n’hésitez pas à consulter nos avocats.

 

Antoine Fouret - Avocat Associé

Nausica Avocats 

12 Rue des Eaux, 75016 Paris
09 78 80 62 27

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