L’AP-HP condamnée pour défaut de respect des procédures entourant les décisions d’arrêt de traitement
Le tribunal administratif, saisi par le cabinet, a obtenu la reconnaissance de la faute de l’établissement de soins et la condamnation de ce dernier à réparer le préjudice en découlant par un jugement rendu le 30 janvier 2025.
En France, si l’euthanasie active est toujours prohibée, la question de l’acharnement thérapeutique a fait naître la notion d’euthanasie passive. Ainsi, lorsqu’un malade apparaît en fin de vie et sans espoir thérapeutique, le code de la santé publique organise les conditions dans lesquelles l’équipe de soins peut arrêter les soins et ne prodiguer qu’un traitement palliatif.
L’article L. 1110-1 du code la santé publique pose pour principe que « Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne ». L’article L. 1110-2 précise également que : « La personne malade a droit au respect de sa dignité ».
Cependant, le droit pose une limite à l’article L. 1110-5-1 qui précise qu’en cas d’obstination déraisonnable eu égard à l’efficacité des soins et d’accord du malade, l’arrêt des soins peut être décidé :
L’article L. 1111-4 précise quant à lui qu’une décision d’arrêt de soins pouvant entrainer le décès doit être prise à l’issue d’une procédure collégiale lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté et après prise de connaissance des éventuelles directives anticipées, à défaut, échanges avec la personne de confiance désignée.
Dans le jugement commenté, l’équipe de soins de l’Hôpital Européen George Pompidou avait pris une décision d’arrêt des traitements concernant un patient atteint d’un cancer, sans consulter ou informer la personne de confiance, son fils.
Cela avait eu pour conséquence, la découverte surprise du père agonisant par son fils venu lui rendre visite, suivi du décès.
Les héritiers ont alors engagé une procédure à l’encontre de l’AP-HP afin de voir reconnu la faute de l’administration.
Par un jugement rendu le 31 janvier 2025, le tribunal administratif de Paris a accueilli leurs demandes et rappelé le strict cadre juridique entourant l’arrêt des soins d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté :
« Il appartient au médecin en charge d’un patient, lorsque celui-ci est hors d’état d’exprimer sa volonté, d’arrêter ou de ne pas mettre en oeuvre, au titre du refus de l’obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie. En pareille hypothèse, le médecin ne peut prendre une telle décision qu’à l’issue d’une procédure collégiale, destinée à l’éclairer sur le respect des conditions légales et médicales d’un arrêt du traitement […]
D’une part, les dispositions précitées du IV de l’article R. 4127-37-2 introduites dans le code de la santé publique par le décret attaqué prévoient que la personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l’un des proches du patient est informé de la nature et des motifs de la décision de limitation ou d’arrêt de traitement. Elles permettent ainsi que la décision de limitation ou d’arrêt des traitements d’un patient hors d’état d’exprimer sa volonté soit notifiée aux personnes auprès desquelles le médecin s’est enquis de sa volonté. D’autre part, il résulte des réserves d’interprétation dont le Conseil constitutionnel a assorti sa décision, qui sont revêtues de l’autorité absolue de la chose jugée et qui lient le juge pour l’application et l’interprétation de la loi, que les personnes auprès desquelles le médecin s’est enquis de la volonté du patient doivent pouvoir exercer un recours en temps utile et que, lorsqu’est exercé un recours tel que le référé prévu par l’article L. 521-2 du code de justice administrative devant les juridictions administratives ou celui que prévoit l’article 809 du code de procédure civile devant les juridictions civiles, il doit être examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente en vue de la suspension éventuelle de la décision contestée. Ceci implique nécessairement que le médecin ne peut mettre en oeuvre une décision d’arrêter ou de limiter un traitement avant que les personnes qu’il a consultées et qui pourraient vouloir saisir la juridiction compétente d’un tel recours n’aient pu le faire et obtenir une décision de sa part. » (TA Paris, 30 janvier 2025, n° 2323097).
Si, au cas d’espèce, l’administration tentait de faire feu de tout bois, le juge administratif a bien mis en évidence le grave manquement en considérant que :
« En l’espèce, d’une part, il résulte de l’instruction, et notamment des échanges de courriers électroniques produits à l’instance, que, selon les termes [du requérant] lui même, dans un courrier adressé le 5 mars 2021 au Dr X., M. Y « a toute sa tête sur les sujets que nous avons abordés et a regardé la télévision normalement », et dans un courrier du 9 mars, « il n’avait pas l’air du tout hagard hier au soir, bien au contraire, quand il connaît son monde, il réagit. (…) Il savait très bien exprimer les choses. (…) Il est parfaitement conscient de l’état dans lequel il est ». Toutefois, il résulte également de l’instruction, et notamment du dossier médical de M. X, que ce dernier souffrait de troubles cognitifs qui se sont aggravés à la fin de son hospitalisation. Il est constant qu’il n’a pas donné de directives anticipées et il ne résulte d’aucun élément que M. Y aurait donné un accord oral à la décision de limitation des soins. En tout état de cause, l’AP-HP ne conteste pas que les équipes médicales ont engagé la procédure prévue aux articles cités ci-dessus, en considérant était hors d’état d’exprimer sa volonté à la date de la décision d’arrêt des soins du 8 mars 2021.
D’autre part, il résulte de l’instruction, et notamment des observations médicales produites en défense, que si [le requérant], personne de confiance de son père, avait été informé régulièrement de l’état de santé de son père, de la gravité de la situation et du risque de décès du patient, il n’a pas été informé avant le 10 mars 2021, date du décès de M. Y, de la décision de limitation des soins prise le 9 mars 2021 par l’équipe médicale, qui n’établit ni même n’allègue avoir sollicité de sa part le témoignage de la volonté exprimée par le patient avant de prendre cette décision. Les enfants de M. Y n’ont, ainsi, pas été mis en mesure de pouvoir exercer un recours en temps utile contre cette décision. Ils sont par suite fondés à soutenir que la décision de limitation des soins est entachée d’une faute engageant la responsabilité de l’AP-HP et à solliciter l’indemnisation des préjudices résultant de cette faute ».
Ainsi, le tribunal rappelle la dimension très factuelle de la preuve de l’état du patient quant aux possibilités d’exprimer sa volonté. Si l’AP-HP avait tenté d’utiliser le déni du requérant dans ses échanges avec l’équipe de soins contre lui au contentieux, le juge a relevé qu’une procédure collégiale étant mise en œuvre, l’AP-HP avait nécessairement considéré le patient comme hors d’état d’exprimer sa volonté et était donc dans l’obligation de recueillir le témoignage.
Dès lors, l’AP-HP se devait de respecter le cadre juridique et d’échanger avec le fils du patient, personne de confiance pour recueillir son témoignage, l’informer et lui permettre, si tel était son souhait, de former un recours en temps utile.
Le juge condamne donc l’administration à réparer les préjudices ainsi causés aux enfants privés de cette opportunité.
Si vous rencontrez une difficulté tenant à la responsabilité médicale d’un établissement public, n’hésitez pas à consulter le cabinet.