Le contentieux de la protection de l’eau en 2025 : entre exigences environnementales et insuffisances des études d’impact
L’année 2025 a été marquée par une jurisprudence particulièrement dense en matière de droit de l’eau, révélant les tensions persistantes entre les impératifs de protection des ressources hydriques et les projets d’aménagement du territoire. Les décisions rendues par les tribunaux administratifs témoignent d’un renforcement significatif du contrôle juridictionnel sur les études d’impact et d’une vigilance accrue quant au respect des objectifs fixés par les directives européennes.
L’exigence renforcée de qualité des études d’impact
Le tribunal administratif d’Amiens a rendu le 3 avril 2025 une décision particulièrement instructive concernant la création d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) dénommée « Boréalia 2 » (TA Amiens, 4e ch., 3 avril 2025, n° 2202837). Cette affaire illustre avec clarté les insuffisances que le juge administratif ne tolère plus en matière d’évaluation environnementale, particulièrement lorsque la ressource en eau est en jeu.
Le tribunal a constaté que l’étude d’impact présentée par la communauté d’agglomération Amiens Métropole présentait de multiples lacunes concernant la protection des eaux souterraines. L’absence d’analyse approfondie des secteurs d’alimentation du captage de Pont-de-Metz, qualifié de « point de ressource stratégique majeur pour l’agglomération », a été jugée particulièrement grave. Le juge a souligné que le contenu de l’étude d’impact devant être proportionné à la sensibilité environnementale de la zone affectée, évaluée en l’espèce comme « forte » concernant les eaux souterraines, la collectivité ne pouvait se contenter d’invoquer l’éloignement du site du périmètre de protection du captage.
La décision met également en lumière l’insuffisance des développements consacrés au niveau de vulnérabilité retenu quant à la pollution des eaux souterraines. Alors que l’étude d’impact comportait une cartographie des niveaux de vulnérabilité, celle-ci ne permettait pas de déterminer précisément le niveau applicable au périmètre de la ZAC. Le tribunal a refusé que la collectivité se réfère à des études complémentaires réalisées ultérieurement, rappelant avec fermeté qu’au stade du dossier de création de la ZAC, il convenait de décrire précisément l’état de la ressource en eau pour évaluer la faisabilité de l’opération d’aménagement.
Les insuffisances relevées ne se limitaient pas à la problématique des eaux souterraines. Le tribunal a également sanctionné l’imprécision des mesures destinées à contenir le risque d’inondation, l’absence de justification suffisante du choix du site d’implantation au regard de critères environnementaux, l’insuffisance de l’analyse des émissions de gaz à effet de serre et de leur impact sur la qualité de l’air, ainsi que les lacunes concernant la description de l’état initial et des mesures de protection des chiroptères. Cette approche globale témoigne d’une vigilance accrue du juge quant à l’exhaustivité et la précision des études d’impact, particulièrement lorsque plusieurs enjeux environnementaux majeurs sont en cause.
La police spéciale de l’eau et les captages illégaux
Le tribunal administratif de Grenoble a apporté, dans une décision du 28 août 2025 (TA Grenoble, 5e ch., 28 août 2025, n° 2100770), des précisions importantes sur l’exercice des pouvoirs de police spéciale de l’eau par le préfet. Cette affaire concernait la dérivation de la source de la Merme, dont l’ensemble des eaux avait été capté par une canalisation sans autorisation préalable.
Le tribunal a d’abord clarifié la qualification juridique de l’écoulement en cause. S’appuyant sur les études hydrogéologiques produites et sur la carte des cours d’eau établie par les services de l’État, il a considéré que la source de la Merme, présentant un débit suffisant, répondait à la définition du cours d’eau prévue par l’article L. 215-7-1 du code de l’environnement. Cette qualification emportait l’obligation pour le préfet, en vertu de l’article L. 215-7 du même code, de prendre toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux.
La décision est également remarquable par l’analyse qu’elle développe concernant le régime applicable aux prélèvements effectués. Le tribunal a constaté que le débit de la source, mesuré entre 86,4 et 172,8 m³ par jour, conduisait nécessairement à des prélèvements annuels supérieurs à 1 000 m³. En conséquence, ces prélèvements ne constituaient pas un usage domestique au sens de l’article R. 214-5 du code de l’environnement et relevaient de la réglementation des installations réalisées à des fins non domestiques prévue par l’article L. 214-1. Le refus du préfet de mettre en œuvre ses pouvoirs de police administrative pour régulariser cette situation a donc été jugé illégal.
Cette jurisprudence rappelle utilement que les autorités préfectorales ne peuvent s’abstenir d’agir face à des situations de captage illégal, même anciennes. Le tribunal a enjoint au préfet de prendre, dans un délai de deux mois, toutes mesures de nature à rétablir le libre cours des eaux, reconnaissant ainsi le caractère impératif de cette obligation.
Les exigences procédurales en matière de déclaration d’utilité publique
Le tribunal administratif de Nice a rendu le 7 janvier 2025 une décision qui mérite attention concernant les exigences procédurales applicables aux déclarations d’utilité publique visant à protéger les captages d’eau destinée à la consommation humaine (TA Nice, 5e ch., 7 janvier 2025, n° 2005150). Cette affaire concernait la source des Termes, située dans les Alpes-Maritimes, et présentait la particularité d’impliquer une société civile immobilière propriétaire du terrain d’assiette de la source.
Le tribunal a rappelé que lorsqu’une déclaration d’utilité publique porte à la fois sur l’autorisation d’établir une prise d’eau et sur la détermination des périmètres de protection, ces opérations poursuivent un même but : permettre la production d’eau destinée à la consommation en quantité suffisante. Par conséquent, l’évaluation économique du projet doit prendre en compte l’ensemble des coûts liés à ces opérations.
En l’espèce, le dossier soumis à l’enquête publique ne mentionnait que le coût des acquisitions foncières, des servitudes, des procédures et de la pose d’une clôture, pour un montant total d’environ 33 000 euros. Or, les travaux de dérivation et de captage, bien qu’effectués il y a plus de cinquante ans, n’avaient jamais été autorisés par une déclaration d’utilité publique. Le tribunal a considéré que cette omission ne pouvait être regardée comme limitée ou mineure au regard du coût global de l’opération. L’arrêté préfectoral a donc été annulé pour avoir été pris au terme d’une procédure irrégulière, en méconnaissance de l’article R. 112-4 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Cette décision souligne l’importance d’une évaluation exhaustive et sincère du coût des opérations soumises à déclaration d’utilité publique. Le juge refuse que l’administration puisse dissimuler ou minorer certaines dépenses, même lorsque les travaux concernés ont déjà été réalisés dans le passé en dehors de tout cadre légal.
La protection des parcs naturels marins et l’avis conforme
Le tribunal administratif de Rennes a rendu le 10 juillet 2025 une décision majeure concernant l’articulation entre les autorisations environnementales d’élevage et la protection des parcs naturels marins (TA Rennes, 3e ch., 10 juillet 2025, n° 2204985). Cette affaire concernait un projet de restructuration et de développement d’un élevage porcin et bovin dans le Finistère, dont les installations étaient situées dans le périmètre du Parc naturel marin d’Iroise.
La question centrale portait sur l’applicabilité de l’article L. 334-5 du code de l’environnement, qui prévoit que lorsqu’une activité est susceptible d’altérer de façon notable le milieu marin d’un parc naturel marin, l’autorisation ne peut être délivrée que sur avis conforme de l’Office français de la biodiversité ou du conseil de gestion. Le préfet du Finistère s’était contenté de solliciter un avis simple, estimant que le projet ne relevait pas de cette procédure au regard des critères identifiés dans le plan de gestion du parc.
Le tribunal a fermement rejeté cette approche. Il a d’abord rappelé que le préfet ne saurait se contenter des critères identifiés dans le plan de gestion, qui ont uniquement vocation à donner de la lisibilité à la procédure sans avoir de caractère limitatif. Il appartient à l’autorité préfectorale d’apprécier concrètement si l’activité envisagée est susceptible d’altérer de façon notable le milieu marin.
En l’espèce, le tribunal a relevé plusieurs éléments convergents. Le site d’exploitation était implanté sur un bassin versant côtier, les parcelles du plan d’épandage jouxtaient différents ruisseaux se jetant dans des eaux de baignade appartenant au périmètre du parc, et la zone présentait une sensibilité particulière attestée par la qualité microbiologique peu satisfaisante des eaux littorales. De plus, la Mission régionale d’autorité environnementale avait souligné le caractère incomplet de l’étude d’impact et l’absence de réelle analyse des incidences du projet sur l’environnement.
Le tribunal a également pris en compte l’état écologique préoccupant des masses d’eau du secteur, caractérisé par une baisse limitée des apports de nitrates et un risque d’atteinte à la qualité des eaux souterraines. La documentation relative aux eaux de baignade des plages de Porsmoguer-Kerhornou et d’Illien attestait d’une qualité microbiologique peu satisfaisante, avec des dépassements réguliers des valeurs limites des germes bactériens.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, le préfet ne pouvait considérer qu’un tel projet de restructuration et d’extension n’était pas susceptible d’altérer de façon notable le milieu marin du parc. L’arrêté préfectoral a été annulé pour vice d’incompétence, le préfet s’étant dispensé de la procédure d’avis conforme pourtant requise.
Cette jurisprudence rappelle que la protection des parcs naturels marins ne saurait être vidée de sa substance par une interprétation restrictive des hypothèses dans lesquelles l’avis conforme est requis. Elle invite les autorités préfectorales à une appréciation globale et concrète de la sensibilité du milieu marin et des impacts potentiels des projets autorisés.
La lutte contre les nitrates d’origine agricole : un contentieux emblématique
Le tribunal administratif de Rennes s’est également prononcé le 13 mars 2025 sur une question particulièrement sensible : l’insuffisance des mesures prises par l’État pour lutter contre la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole en Bretagne (TA Rennes, 3e ch., 13 mars 2025, n° 2204983). Cette décision s’inscrit dans la continuité de deux jugements antérieurs rendus par la même juridiction les 4 juin 2021 et 18 juillet 2023, qui avaient déjà constaté l’insuffisance des programmes d’actions régionaux successifs.
Le tribunal a d’abord rappelé le cadre juridique applicable, issu de la directive 91/676/CEE du 12 décembre 1991 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates et de la directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau. Ces textes imposent aux États membres de mettre en œuvre des programmes d’actions efficaces dans les zones vulnérables et d’atteindre le bon état écologique des masses d’eau.
Malgré l’adoption d’un septième programme d’actions régional en mai 2024 et la mise en place d’un troisième plan de lutte contre les algues vertes pour la période 2022-2027, le tribunal a constaté que les résultats demeuraient insuffisants. Les marées vertes persistent sur le littoral breton et tendent même à augmenter en superficie et en durée. La concentration moyenne en nitrates dans les cours d’eau bretons, après avoir significativement baissé entre 1995 et 2013, ne diminue plus depuis 2014 et semble avoir atteint un pallier.
Le tribunal a relevé plusieurs insuffisances caractérisées. D’abord, certaines mesures prévues par le sixième programme d’actions régional n’ont jamais été suivies d’effet, comme l’obligation de contrôle technique des ouvrages de stockage. Ensuite, les programmes spécifiques mis en place pour les zones soumises à contraintes environnementales reposent sur des démarches volontaires pendant trois ans et ne peuvent être regardés comme des mesures d’application immédiate.
Le tribunal a également souligné que le préfet ne justifiait ni des outils permettant d’assurer le contrôle de la mise en œuvre des actions programmées, ni des moyens mobilisés pour rendre effectives les prescriptions. Cette absence d’outils d’évaluation et de contrôle constitue une carence particulièrement grave, rendant impossible toute appréciation de l’efficacité réelle des mesures adoptées.
S’agissant des installations classées pour la protection de l’environnement relevant de l’activité d’élevage, le tribunal a constaté, à la suite de la Cour des comptes, un manque de cohérence dans l’exercice des pouvoirs de police administrative, une diminution sensible des contrôles due à la baisse des effectifs, et un niveau important de non-conformité des exploitations à risque.
La décision examine également la conformité de l’action publique aux objectifs fixés par la directive cadre sur l’eau. Le tribunal relève que le troisième plan de lutte contre les algues vertes retient des objectifs différenciés de qualité des eaux à l’échéance 2027, en cohérence avec le classement de 25 masses d’eau littorales en « objectifs moins stricts ». Or, le préfet ne justifie pas que les conditions fixées par l’article 4 de la directive cadre sur l’eau pour retenir de tels objectifs moins stricts soient réunies. En particulier, il n’établit pas que la réalisation des objectifs normaux serait impossible ou d’un coût disproportionné.
Le tribunal a donc annulé le refus du préfet de prendre des mesures supplémentaires et lui a enjoint, dans un délai de dix mois, de prendre toutes les mesures nécessaires pour permettre de réduire effectivement la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole, notamment en se dotant d’outils de contrôle permettant un pilotage effectif des actions menées.
Cette décision est remarquable par sa fermeté. Elle refuse que l’État puisse indéfiniment reporter l’atteinte des objectifs environnementaux en adoptant des plans successifs dont l’inefficacité est pourtant démontrée. Elle rappelle que les obligations résultant des directives européennes ne sont pas de simples objectifs programmatiques mais des normes juridiquement contraignantes dont le respect peut être exigé devant le juge administratif.
Enseignements transversaux
Ces différentes décisions dessinent les contours d’un contentieux de l’eau en profonde évolution. Plusieurs enseignements peuvent en être tirés pour les collectivités publiques, les porteurs de projets et leurs conseils.
Premièrement, l’exigence de qualité et d’exhaustivité des études d’impact ne cesse de se renforcer. Le juge n’accepte plus les études approximatives ou incomplètes, particulièrement lorsque des enjeux majeurs de protection de la ressource en eau sont en cause. Les porteurs de projets doivent intégrer cette exigence dès l’amont de la conception de leurs opérations et accepter d’y consacrer les moyens techniques et financiers nécessaires.
Deuxièmement, le juge exerce un contrôle approfondi sur la proportionnalité entre la sensibilité environnementale du site concerné et le niveau de précision de l’étude d’impact. Plus le milieu est sensible, plus l’étude doit être précise et détaillée. Cette approche au cas par cas interdit toute standardisation excessive des documents d’évaluation environnementale.
Troisièmement, les autorités publiques ne peuvent plus se réfugier derrière des documents de planification fixant des objectifs moins ambitieux que ceux imposés par les directives européennes. Le juge vérifie que les conditions permettant de déroger aux objectifs normaux sont effectivement réunies et n’hésite pas à sanctionner les stratégies consistant à reporter indéfiniment l’atteinte des objectifs environnementaux.
Quatrièmement, la mise en œuvre effective des politiques publiques devient un critère déterminant d’appréciation de leur légalité. Il ne suffit plus d’adopter des programmes ambitieux sur le papier. Les autorités doivent se doter des outils de contrôle et d’évaluation permettant de s’assurer de l’application concrète des mesures prévues et de leur efficacité réelle.
Enfin, ces décisions témoignent d’une prise de conscience croissante de l’urgence de la situation en matière de protection de la ressource en eau. Face à la persistance, voire à l’aggravation de certains phénomènes de pollution, le juge administratif accepte désormais d’exercer un contrôle approfondi sur les choix opérés par les autorités publiques et n’hésite pas à leur enjoindre de prendre des mesures complémentaires lorsque l’inefficacité des dispositifs existants est démontrée.
Cette évolution jurisprudentielle s’inscrit dans un contexte plus large de renforcement de l’effectivité du droit de l’environnement. Elle rappelle que la protection de la ressource en eau, élément vital pour les populations et les écosystèmes, ne saurait être sacrifiée aux impératifs du développement économique ou aux résistances face aux changements de pratiques qu’elle impose. Les acteurs publics et privés doivent pleinement intégrer cette réalité dans leurs projets et leurs politiques.
Nausica Avocats
12 Rue des Eaux, 75016 Paris
09 78 80 62 27
Nos derniers articles similaires
-
Le contentieux de la protection de l’eau en 2025 : entre exigences environnementales et insuffisances des études d’impact
L’année 2025 a été marquée par une jurisprudence particulièrement dense en matière de droit de l’eau, révélant les tensions persistantes entre les impératifs de protection des ressources hydriques et les projets d’aménagement du territoire. Les décisions rendues par les tribunaux administratifs témoignent d’un renforcement significatif......
11 décembre, 2025 -
Remise en eau d’un étang fondé en titre : quelle procédure respecter ?
Le tribunal administratif de Dijon a rendu une décision intéressante sur la remise en eau d’un étang fondé en titre. Dans cette affaire, une SCI, propriétaire du château de Villarnoux, a entrepris des travaux de remise en état d’un étang situé à proximité de ce......
22 octobre, 2025 -
Mise en régie de plages « privées »
Louis le Foyer de Costil a été interrogé par Libération à propos de la reprise en régie de plages qui étaient auparavant concédées à des opérateurs privés. Une possibilité offerte aux communes pour reprendre le contrôle de leur domaine public. L’article est à retrouver sur......
18 juillet, 2025