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Suspension d’une fermeture administrative d’un établissement recevant du public : quand l’urgence économique l’emporte

Le tribunal administratif de Nîmes a rendu le 25 septembre 2025 une ordonnance de référé particulièrement favorable aux intérêts économiques d’une entreprise confrontée à une mesure de fermeture administrative partielle. Cette décision illustre les conditions dans lesquelles le juge des référés peut suspendre une mesure de police administrative relative à la sécurité d’un établissement recevant du public, même lorsque des irrégularités ont été constatées.

L’affaire concerne un magasin de bricolage exploité sur la commune de Pertuis. À la suite d’un contrôle, la commission communale de sécurité avait émis un avis favorable à la poursuite de l’exploitation tout en préconisant deux mesures correctives : le rétablissement de la vacuité des issues de secours en façade sud et le dégagement des espaces d’exploitation créés dans cette même zone pour permettre l’évacuation du public. Sans attendre la mise en œuvre de ces préconisations, le maire a pris  un arrêté de fermeture administrative partielle visant les espaces de stockage et de vente aménagés en façade sud, la réserve, ainsi que toute zone où sont entreposés des matériaux combustibles à moins de quatre mètres des façades.

Face à cette mesure qu’elle jugeait excessive, la société a saisi le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, qui permet d’obtenir la suspension d’une décision administrative lorsque deux conditions cumulatives sont réunies : l’urgence et l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de l’acte contesté.

S’agissant de la condition d’urgence, le tribunal rappelle utilement sa définition jurisprudentielle : l’urgence suppose que l’exécution de l’acte porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il défend. Le juge doit procéder à une appréciation concrète, objective et globale, en tenant compte tant de l’intérêt du demandeur que de l’intérêt public.

Dans cette affaire, la démonstration de l’urgence repose sur deux séries d’arguments particulièrement convaincants. D’une part, la société produit une attestation de son expert-comptable établissant une chute dramatique du chiffre d’affaires : sur la période du 22 juillet au 31 août 2025, les rayons concernés par la fermeture n’ont réalisé qu’un chiffre d’affaires de 51 254 euros contre 91 254 euros sur la même période de l’année précédente, soit une baisse de près de 44%. Cette perte s’accompagne d’une dégradation de la trésorerie de plus de 22 000 euros d’une année sur l’autre. D’autre part, l’entreprise fait valoir que cette situation menace directement l’emploi de deux salariés affectés aux rayons fermés, alors même que ses charges de fonctionnement s’élèvent à 1 100 000 euros annuels dont 300 000 euros de loyers.

Le tribunal relève que la commune ne démontre aucune atteinte à l’intérêt public qui justifierait le maintien immédiat de la fermeture. Cette observation est importante : elle rappelle que dans l’appréciation globale de l’urgence, l’autorité administrative ne peut se contenter d’invoquer abstraitement des considérations de sécurité publique sans établir concrètement la gravité et l’immédiateté du risque. En l’espèce, le fait que la commission de sécurité ait émis un avis favorable à la poursuite de l’exploitation moyennant des aménagements suggère que le danger n’était pas tel qu’il commandait une fermeture immédiate. Le juge des référés considère donc que la condition d’urgence est caractérisée.

La seconde condition posée par l’article L. 521-1 du code de justice administrative exige l’existence d’un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. Le tribunal ne procède pas à un examen exhaustif de l’ensemble des moyens soulevés par la société requérante, qui étaient particulièrement nombreux : vice de forme lié à l’absence de mention du prénom et du nom du signataire, incompétence de l’auteur de l’acte, composition irrégulière de la commission de sécurité, violation du principe du contradictoire faute de mise en demeure préalable, erreur de fait sur la matérialité des irrégularités constatées.

Le juge se concentre sur un seul moyen, celui tiré de l’erreur manifeste d’appréciation, qu’il juge suffisant pour faire naître un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté de fermeture. Cette approche témoigne de la technique juridictionnelle du référé-suspension : il ne s’agit pas de se prononcer définitivement sur la légalité de l’acte mais simplement d’identifier un doute suffisamment consistant pour justifier la suspension provisoire.

Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation en matière de police administrative de la sécurité consiste à vérifier que l’autorité n’a pas commis une disproportion manifeste entre les mesures prises et la gravité de la situation. En l’occurrence, plusieurs éléments semblent avoir conduit le juge à retenir l’existence d’un doute sérieux. La commission de sécurité n’avait pas préconisé une fermeture mais des aménagements précis et limités. Le maire a pourtant prononcé une fermeture administrative partielle dont l’étendue apparaît considérable puisqu’elle prive l’établissement d’une part essentielle de ses surfaces de stockage et de circulation, empêchant son fonctionnement normal. Cette disproportion entre les préconisations de la commission et la mesure effectivement prise suggère une erreur manifeste dans l’appréciation de la nécessité et de l’ampleur de la fermeture.

Le tribunal rappelle le cadre légal applicable en citant les articles L. 143-3 et R. 143-45 du code de la construction et de l’habitation. Ces dispositions permettent au maire ou au représentant de l’État d’ordonner la fermeture d’établissements recevant du public en infraction avec les règles de sécurité, mais cette fermeture doit être prononcée après avis de la commission de sécurité compétente. Si cet avis a bien été recueilli en l’espèce, la question implicitement posée par le tribunal est celle du respect de la teneur de cet avis : peut-on légalement s’en écarter aussi substantiellement sans justification particulière?

Les deux conditions étant réunies, le juge des référés ordonne la suspension de l’exécution de l’arrêté de fermeture sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens invoqués. Cette formule classique illustre l’économie de moyens qui caractérise la procédure de référé : le juge s’arrête dès qu’un moyen lui paraît suffisant pour fonder sa décision.

Cette décision rappelle aux autorités municipales la nécessité de proportionner strictement leurs mesures de police administrative à la gravité des situations constatées. Elle souligne également l’importance de suivre les préconisations des commissions de sécurité, dont l’expertise constitue un élément déterminant de l’appréciation de légalité. Enfin, elle démontre que le juge des référés demeure particulièrement attentif aux conséquences économiques et sociales des mesures administratives, spécialement lorsque l’intérêt public invoqué pour les justifier n’apparaît pas suffisamment démontré.

TA Nimes, 25 sept. 2025, n° 2503723