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Blocage institutionnel d’un syndicat intercommunal : quand le juge impose le respect du débat démocratique

Le tribunal administratif de Bordeaux a rendu le 23 octobre 2025 une ordonnance de référé particulièrement instructive sur les garanties procédurales qui s’attachent au fonctionnement démocratique des établissements publics de coopération intercommunale. Cette décision illustre le pouvoir du juge des référés pour mettre fin à une situation de blocage institutionnel portant atteinte aux droits des élus locaux et au bon fonctionnement des collectivités territoriales.

L’affaire trouve son origine dans un conflit de gouvernance au sein du syndicat intercommunal de regroupement pédagogique de Jugazan, Rauzan et Bellefond. À la suite des élections municipales de juin 2024, le conseil municipal de Rauzan a désigné cinq nouveaux délégués pour siéger au sein de l’organe délibérant du syndicat. Ces nouveaux élus ont demandé à deux reprises, par courriers des 17 juin et 27 août 2025, la convocation du comité syndical afin de procéder à l’élection d’un nouveau président, de nouveaux vice-présidents et d’un nouveau bureau, ainsi qu’au vote du budget pour l’exercice 2025. Face au silence gardé par la vice-présidente assurant l’intérim de la présidence, deux décisions implicites de rejet sont intervenues les 23 juillet et 1er octobre 2025.

Cette situation apparemment technique soulève en réalité des questions fondamentales sur le respect des droits des élus locaux et sur les moyens dont dispose le juge administratif pour garantir le fonctionnement démocratique des institutions intercommunales. Les cinq délégués ont saisi le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, procédure permettant d’obtenir la suspension d’une décision administrative lorsque deux conditions cumulatives sont réunies : l’urgence et l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

Le tribunal commence par écarter une série de fins de non-recevoir soulevées par le syndicat intercommunal. Sur la question de l’intérêt pour agir, le juge relève que les cinq requérants ont été régulièrement désignés par délibération du conseil municipal de Rauzan du 23 juillet 2024, conformément aux statuts de janvier 1999 du syndicat qui demeuraient en vigueur. Cette désignation était intervenue sur indication du sous-préfet de Libourne qui avait confirmé le maintien de ces statuts initiaux. Le fait qu’une décision du même sous-préfet refusant de modifier ces statuts fasse l’objet d’un recours contentieux pendant est sans incidence sur la qualité des requérants à agir.

S’agissant de la tardiveté de la requête, le tribunal fait une application rigoureuse de l’article R. 421-5 du code de justice administrative qui subordonne l’opposabilité des délais de recours à leur mention dans la notification de la décision. En l’espèce, la vice-présidente n’ayant pas accusé réception de la demande du 17 juin 2025 en mentionnant les voies et délais de recours, la décision implicite de rejet du 27 août 2025 doit être regardée comme purement confirmative. Dans ces conditions, les délais de recours n’étaient pas opposables et la requête ne peut être jugée tardive. Cette solution rappelle utilement l’importance du respect des formalités de notification pour faire courir les délais contentieux.

Le juge constate également un non-lieu à statuer partiel concernant les conclusions relatives au vote du budget primitif, celui-ci ayant été adopté par arrêté préfectoral du 4 août 2025 après avis favorable de la chambre régionale des comptes. Cette intervention du préfet, prévue en cas de carence de l’organe délibérant, avait privé d’objet cette partie de la demande des requérants.

Sur le fond, l’ordonnance développe une analyse particulièrement convaincante de la condition d’urgence. Le tribunal rappelle que l’urgence suppose une atteinte suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il défend. Plusieurs éléments conduisent le juge à retenir l’existence de cette urgence.

D’abord, le juge relève que les requérants ne peuvent être tenus pour responsables du blocage institutionnel. Dès le 15 juillet 2024, le sous-préfet avait confirmé le maintien en vigueur des statuts de 1999 et indiqué que les élections du président et des vice-présidents devaient être organisées au plus vite après la désignation des nouveaux représentants de Rauzan. Cette désignation étant intervenue le 23 juillet 2024, la vice-présidente ne pouvait légalement convoquer le conseil syndical sur la base de nouveaux statuts non encore applicables, comme elle l’a pourtant fait les 25 juillet 2024 et 2 avril 2025.

Ensuite, le tribunal estime que l’adoption du budget par arrêté préfectoral ne suffit pas à priver la demande de son urgence compte tenu du blocage institutionnel dans lequel se trouve le syndicat depuis plusieurs mois. Cette appréciation témoigne d’une vision globale de l’urgence qui ne se réduit pas à la seule question budgétaire mais englobe le bon fonctionnement démocratique de l’institution.

Enfin et surtout, le juge procède à une balance des intérêts en présence et conclut qu’aucun intérêt public particulier ne s’attache au maintien du refus de convocation. Au contraire, l’intérêt public commande que le syndicat puisse réunir régulièrement son organe délibérant et procéder à la désignation de son président et de ses vice-présidents dans les meilleurs délais. Cette analyse met en lumière la primauté du principe démocratique sur les considérations de commodité administrative.

Le tribunal souligne également que le délai d’un mois imparti par les articles L. 5211-1 et L. 2121-9 du code général des collectivités territoriales est déjà largement dépassé. Ces dispositions prévoient que le président d’un établissement public de coopération intercommunale est tenu de convoquer l’organe délibérant dans un délai maximum de trente jours lorsque la demande motivée lui en est faite par au moins un tiers des membres en exercice.

Sur le doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, le raisonnement du tribunal est limpide. Les requérants représentent cinq des neuf membres de l’organe délibérant selon les statuts de 1999 toujours en vigueur, soit largement plus du tiers requis. Leur demande du 17 juin 2025 était motivée et portait sur des questions relevant manifestement de l’intérêt intercommunal. Le délai de trente jours étant largement expiré sans qu’aucune circonstance particulière ne justifie ce retard, la décision implicite de refus méconnaît les dispositions combinées des articles L. 5211-1 et L. 2121-9 du code général des collectivités territoriales.

Cette violation crée un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée. Les deux conditions posées par l’article L. 521-1 étant réunies, le juge ordonne la suspension de l’exécution du refus implicite.

L’ordonnance va au-delà de la simple suspension en prononçant une injonction sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de justice administrative. Le juge enjoint à la vice-présidente de convoquer le comité syndical dans un délai d’un mois aux fins de désignation d’un nouveau président, de nouveaux vice-présidents et d’un nouveau bureau. Cette injonction est assortie d’une réserve importante : elle ne vaut que sous réserve de changements dans les circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle. Le juge précise également que la convocation devra s’assurer de la régularité de la désignation des représentants des autres communes membres.

Cette formulation prudente témoigne du souci du juge de ne pas préjuger de l’issue du recours pendant contre la décision du sous-préfet refusant de modifier les statuts, tout en garantissant l’effectivité de sa décision. L’injonction permet de transformer une suspension qui aurait pu rester lettre morte en une obligation concrète assortie d’un délai précis.

Cette ordonnance présente plusieurs enseignements pour la pratique. Elle rappelle d’abord l’importance du respect scrupuleux des formalités de notification, particulièrement la mention des voies et délais de recours, dont l’omission empêche l’opposabilité des délais contentieux. Elle démontre ensuite que le juge des référés n’hésite pas à qualifier d’urgente une situation de blocage institutionnel, même plusieurs mois après son origine, dès lors que ce blocage porte atteinte au fonctionnement démocratique d’une collectivité. Elle confirme également que le droit reconnu aux élus locaux d’obtenir la convocation de l’organe délibérant constitue une garantie fondamentale dont la méconnaissance est constitutive d’une illégalité manifeste. Enfin, elle illustre l’utilisation par le juge des référés de son pouvoir d’injonction pour assurer l’effectivité de sa décision et mettre concrètement fin à une situation de blocage.

TA Bordeaux, 23 oct. 2025, n° 2506790

Louis le Foyer de Costil

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