
Carence dans la prise en charge d’un enfant autiste: l’Etat condamné
L’Etat peut être condamné pour carence dans la prise en charge d’enfants autistes ou TSA. C’est le sens de trois décisions convergentes rendues par des tribunaux administratifs.
La première affaire, jugée par le tribunal administratif de Lyon, portait sur un enfant orienté en IME. Or « en dépit des démarches des requérants, qui en justifient suffisamment en produisant notamment les attestations établies en 2021 ou 2022 par les établissements et services concernés ou les courriers échangés avec ceux-ci et faisant état de leurs diligences, B n’a pu être admis en IME faute de places disponibles »
Le juge poursuit en constatant que la scolarisation très parcellaire était insuffisante. En effet «
Si, au cours de la période en litige, B a pu être accueilli deux demi-journées par semaine dans un établissement privé spécialisé jusqu’au mois de septembre 2022 et scolarisé à hauteur de trois demi-journées par semaine au sein d’une unité localisée pour l’inclusion scolaire en étant accompagné par une auxiliaire de vie scolaire, et si, au bénéfice d’une nouvelle décision de la CDAPH du 25 janvier 2023, B a pu être admis dans un dispositif de répit deux jours par semaine et a bénéficié à compter du mois de février 2024 d’un accueil très ponctuel en IME, ces modalités d’accueil ne sauraient être regardées comme ayant permis une prise en charge effective, dans la durée, pluridisciplinaire et adaptée à l’état et à l’âge de B, qui est atteint de troubles du spectre autistique se traduisant notamment par des crises pluriquotidiennes marquées par un comportement agressif voire violent à son égard ou à l’égard des autres. »
Le tribunal considère donc que la carence de l’Etat pour défaut de prise en charge en IME est établie et de nature à engager la responsabilité de l’Etat. Le préjudice est estimé à 20.000 € pour l’enfant et à 8000€ pour chacun des parents, et à 4.000 € pour le frère de l’enfant TSA.
TA Lyon, 3e ch., 25 nov. 2024, n° 2207293
La seconde affaire, jugée par Lille portait sur une une fille née en 2015 et atteinte d’un trouble du spectre autistique, qui s’est vu octroyer en mai 2019 une orientation en Institut Médico-Éducatif (IME) par la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Cette orientation, censée être effective dès juin 2019, est restée lettre morte pendant près de vingt mois.
Malgré les démarches répétées de sa mère auprès de multiples établissements de la région Hauts-de-France, aucune place ne s’est libérée. Face à cette impasse, la famille a dû se résoudre à inscrire l’enfant dans une école spécialisée en Belgique, à Mouscron, avant qu’une place ne se libère enfin en janvier 2021 à l’IME La Fontinelle.
Le tribunal rappelle les principes fondamentaux qui gouvernent la prise en charge du handicap en France. L’article L. 114-1-1 du Code de l’action sociale et des familles garantit à toute personne handicapée le droit à la compensation des conséquences de son handicap, quels que soient son âge et la nature de sa déficience. L’article L. 246-1 du même code impose une prise en charge pluridisciplinaire pour toute personne atteinte d’autisme, adaptée à son état et à son âge. Cette prise en charge doit être « effective dans la durée, pluridisciplinaire, et adaptée ».
Le tribunal confirme que lorsqu’un enfant autiste ne peut être pris en charge en raison d’un manque de places disponibles dans les structures désignées par la CDAPH, cette absence révèle une carence de l’État dans la mise en œuvre des moyens nécessaires.
En l’espèce, le juge administratif a retenu la responsabilité de l’État pour la période du 1er novembre 2019 au 17 janvier 2021, soit quinze mois pendant lesquels l’enfant n’a pas bénéficié d’une prise en charge adaptée sur le territoire national.
Le tribunal distingue toutefois cette situation d’autres hypothèses où la responsabilité de l’État ne serait pas engagée : refus d’admission pour un autre motif que le manque de places, ou désaccord des parents sur la qualité de la prise en charge proposée.
La décision accorde plusieurs indemnisations :
Pour l’enfant : 7 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence causés par l’absence de prise en charge adaptée.
Pour la mère : 4 640 euros se décomposant en :
- 4 500 euros pour le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence (angoisse, répercussions professionnelles, démarches multiples)
- 140 euros au titre des frais de psychomotricité exposés avant la perception de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé
Le tribunal a en revanche rejeté la demande de remboursement des frais de déplacement vers la Belgique, faute de justificatifs précis.
TA Lille, 6e ch., 3 avr. 2024, n° 2107504.
La troisième affaire a été jugée par le Tribunal administratif de Paris. Cette décision illustre une fois encore les défaillances du système français face aux besoins des enfants atteints de troubles du spectre autistique.
L’enfant concernée était née en décembre 2013 et diagnostiquée autiste en 2017, a bénéficié de plusieurs décisions d’orientation de la CDAPH :
- 18 septembre 2018 : orientation vers quatre IME et vers le SESSAD Denisien (valable jusqu’au 31 décembre 2021)
- 21 décembre 2021 : prolongation de l’orientation en IME jusqu’au 31 décembre 2023
- 13 juillet 2022 : orientation vers une unité d’enseignement (UE) à compter du 1er septembre 2022
Malgré ces décisions successives et la multiplicité des structures désignées, l’enfant n’a jamais bénéficié d’aucune de ces prises en charge spécialisées. Les parents ont tenté en vain d’obtenir une place dans l’un des établissements désignés, sans succès.
Face à cette situation, la famille a saisi le tribunal après avoir adressé une demande indemnitaire restée sans réponse à la ministre compétente en janvier 2023.
Le tribunal énonce un principe fondamental : « Le droit à l’éducation étant garanti à chacun quelles que soient les différences de situation et l’obligation scolaire s’appliquant à tous, les difficultés particulières que rencontrent les enfants handicapés ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation. »
Il en découle qu’il incombe à l’État, au titre de sa mission d’organisation du service public de l’éducation, de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit soit effectif.
Le tribunal retient la faute de l’État de manière particulièrement nette. Plusieurs éléments sont déterminants :
L’absence totale de prise en charge : Contrairement à certaines affaires où une prise en charge partielle ou inadaptée peut être débattue, l’enfant n’a ici bénéficié d’aucune des formes de prise en charge en établissement spécialisé prescrites par la CDAPH.
L’absence de défense de l’administration : Le tribunal relève que l’administration « n’a pas produit de mémoire en défense » et n’invoque « aucun défaut de diligence de la part des parents ». Cette absence totale de défense aggrave la responsabilité de l’État.
Le caractère inopérant de la scolarisation ordinaire : Les parents font valoir que l’enfant a certes été scolarisé en milieu ordinaire suite à des orientations alternatives de la CDAPH en 2021, 2022 et 2023. Mais le tribunal considère que ces orientations « ne présentaient qu’un caractère alternatif et provisoire, dans l’attente d’une prise en charge en établissement spécialisé, adaptée à la situation de leur fille ».
L’impossibilité pour l’État de s’exonérer : Le tribunal rappelle fermement que l’administration ne peut « utilement se prévaloir de l’insuffisance des structures d’accueil existantes ou du fait que des allocations compensatoires sont allouées aux parents d’enfants handicapés, celles-ci n’ayant pas le même objet ».
Le tribunal retient la responsabilité de l’État pour plusieurs périodes distinctes :
- Du 18 septembre 2018 au 31 décembre 2021 : absence de prise en charge en IME et en SESSAD
- Du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2023 : absence de prise en charge en IME
- À compter du 1er septembre 2022 : absence de prise en charge en unité d’enseignement
Ces périodes cumulées représentent plus de cinq années de carence.
Les indemnisations accordées : une approche mesurée
Le tribunal a accordé les indemnisations suivantes :
Pour l’enfant B. : 5 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d’existence. Le tribunal a pris en compte « le fait qu’elle a tout de même été scolarisée durant cette période » en milieu ordinaire.
Pour les parents : 2 500 euros chacun (soit 5 000 euros au total) au titre de leur préjudice moral personnel et des troubles dans leurs conditions d’existence.
Pour la sœur A. : 1 000 euros au titre de son préjudice propre, reconnaissance rare mais importante de l’impact du handicap sur la fratrie.
Total alloué : 11 000 euros, soit environ 10% de la demande initiale.
TA Paris, 6e sect. – 1re ch., 18 oct. 2024, n° 2306542.