
Dernières suspensions en droit de l’instruction en famille (Motif 1, 3 et 4)
Comme chaque été dorénavant, la bataille de l’instruction en famille s’impose dans les prétoires.
L’erreur de droit reprend de la vigueur du côté de la jurisprudence. En effet, ces derniers temps, si les jugements favorables ont pu reprendre cette approche ce fût dans un implicite peu utile. Le 31 juillet dernier, le tribunal administratif a fait droit à ce moyen et a censuré le refus d’autorisation d’IEF opposé à une famille.
Il a donc considéré que le Rectorat n’avait pas de pouvoir d’appréciation sur la notion de « situation propre » prévue à l’article l. 131-5 du code de l’éducation. Il n’a de pouvoir que pour apprécier si la situation est exposée de manière étayée, c’est-à-dire de si elle est invoquée et un minimum précisée pour pouvoir apprécier l’opportunité du projet éducatif eu égard à la situation de l’enfant.
Il a également censuré le critère tiré de ce que la situation de l’enfant devrait être incompatible avec une scolarisation, bien que ce point, pourtant régulièrement opposé, est tranché depuis longtemps.
Dans le détail, il a ainsi retenu que :
« En premier lieu, il ressort des termes de la décision du 20 juin 2025 que, pour rejeter la demande d’instruction en famille présentée par M. et Mme F, la commission de l’académie de Nice, d’une part, a estimé que l’existence d’une situation propre à l’enfant D n’était pas démontrée, alors qu’il lui appartenait seulement d’apprécier si cette situation était exposée de manière suffisamment étayée dans la demande et, d’autre part, a retenu qu’à supposer que cette situation propre soit établie, elle n’était pas « réellement incompatible avec les modalités d’enseignement dispensées en établissement scolaire », alors qu’il lui appartenait de rechercher, au vu de la situation de l’enfant, quels sont les avantages et les inconvénients pour elle de son instruction, d’une part dans un établissement d’enseignement, d’autre part, dans la famille selon les modalités exposées par la demande. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la commission a entaché sa décision d’une erreur de droit en examinant la demande au regard d’autres critères que ceux prévues par les dispositions précitées est, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige » (TA Toulon, 31 juil. 2025, n° 2502781)
Dans une autre instance, nous avons l’occasion de voir que le juge contrôle la négation des situations propres même lorsqu’il estime que le contrôle la situation propre entre bien dans les compétences du Rectorat en tant que telles. C’est-à-dire, lorsqu’il considère qu’une « situation propre » serait une situation n’appartenant pas à tous les enfants et qu’il faudrait démontrer une spécificité ou une raison propre de pratiquer l’instruction en famille.
Dans pareil cas, il est de l’office du juge de contrôler l’appréciation portée par le Rectorat, par le biais d’un contrôle entier (c’est-à-dire non restreint par l’erreur manifeste d’appréciation). Il doit donc se prononcer lui-même sur la situation propre et, s’il estime le critère rempli, sur l’opportunité du projet d’instruction en famille.
Si les faits de l’ordonnance sont fréquents, il est notable de relever ici que le Rectorat justifiait, pour une fois, de la concrétisation des possibilités d’aménagements qu’il évoque à chaque refus.
En dépit d’un bilan objectif d’échec de la scolarisation, le Rectorat s’acharnait à mettre en œuvre tous les moyens dont il dispose sans envisager autre chose qu’une scolarisation. Le juge, confronté aux limites concrètes et réels de ces aménagements, n’a eu d’autre choix que de censurer la position déraisonnable du Rectorat alors même que des évolutions en termes de diagnostics étaient prévues et que l’instruction en famille apparaissait seule en mesure de s’y adapter en temps réel.
« Il ressort du projet éducatif présenté par Mme E et M. C qu’ils ont entendu justifier la situation propre à leur enfant par le souhait de répondre aux difficultés de l’enfant dans le milieu scolaire et de poursuivre des apprentissages selon un rythme physiologique adapté en termes de fatigabilité et de gestion des émotions. Il résulte de l’instruction que l’enfant A C, né le 24 août 2019, a été instruit en famille au titre des années scolaires 2022-2023 et 2023-2024, correspondant pour lui aux deux premières années d’école maternelle, au cours desquelles les deux contrôles pédagogiques effectués par l’inspection académique ont jugé satisfaisant l’enseignement reçu. A la suite du refus en juin 2024 d’autoriser l’instruction en famille de l’enfant, il a été scolarisé, au titre de l’année 2024-2025 en classe de grande section. A été mis en place à la rentrée scolaire un projet d’accueil individualisé (PAI) prévoyant un emploi du temps adapté. Le bilan effectué par une psychologue, à la demande des parents de l’enfant, en mars 2025 a recommandé des examens complémentaires pour déceler un trouble du spectre de l’autisme (TSA), l’avis d’un neuro pédiatre et un plan d’accompagnement personnalisé afin de soulager la charge de travail et a également estimé qu’au regard de son profil cognitif et des caractéristiques mises en évidence lors de ce bilan (difficultés relationnelles, hypersensibilité sensorielle, anxiété, problèmes de comportement, grande fatigabilité) l’instruction en famille semblait pour le moment adaptée aux besoins spécifiques de l’enfant. Le PAI a été revu en mai 2025 et juin 2025 afin d’autoriser l’enfant à être absent de l’école deux après-midis par semaine, d’inclure si besoin, dans son emploi du temps, des temps de repos, de tolérer une certaine agitation motrice en classe et de poursuivre les aménagements pédagogiques afin d’aider la mise au travail et le maintien de l’attention, notamment par la mise à disposition d’un casque anti-bruit. Enfin, l’école a sollicité l’aide du réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficultés (RASED). Le bilan établi par l’enseignante de l’enfant au terme de son année scolaire note des progrès dans les apprentissages mais seulement en situation duelle avec l’enseignant et indique que l’enfant s’oppose aux activités proposées, systématiquement refusées en graphisme et écriture ainsi que des difficultés à respecter les règles imposées par le cadre collectif, entraînant des difficultés dans la classe, en dépit des mesures d’accompagnement mises en place. Enfin, il résulte de l’instruction et des observations à la barre que l’équipe enseignante envisage d’affecter l’enfant A au titre de l’année scolaire 2025-2026 dans une classe à double niveau grande-section et cours préparatoire et d’organiser sa scolarité afin qu’il suive les activités avec le groupe d’enfants de grande section pendant la moitié de son emploi du temps.
- En l’état de l’instruction, le moyen tiré ce de que, par les éléments exposés ci-dessus dans le dossier de demande et le recours administratif préalable, les requérants font état de manière étayée d’une situation propre est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée» (TA Nantes, 25 juil. 2025, n° 2511319)
Sur le plan de l’historique d’autorisations, la question a pu être jugée pour le motif 3 (l’itinérance), ce qui n’avait pas encore été le cas jusqu’à présent. Le juge a classiquement retenu qu’en l’absence d’éléments nouveaux ou manquants et en présence d’autorisations précédentes et de contrôles favorables (le CNED règlementé en l’espèce), l’autorisation devait être délivrée.
Naturellement a fortiori lorsque la requérante établit encore davantage l’itinérance à venir, bien que ce sujet reste souvent difficile en pratique.
Le juge retient ainsi que :
« Il ressort des pièces du dossier que la fille de la requérante a bénéficié d’une autorisation de recevoir l’instruction en famille au titre de l’année scolaire 2024-2025, qu’elle a été inscrite au CNED réglementé et que son passage au CE1 a été autorisé par le conseil des maîtres du CNED. Cette autorisation avait été délivrée pour le motif visé par le 3° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation, soit l’itinérance en famille. Alors que la rectrice de l’académie de Montpellier avait reconnu l’existence de cette situation d’itinérance au titre de l’année scolaire précédente, que la commission de l’académie de Montpellier n’a fait état d’aucun changement dans le mode de vie familial de nature à justifier l’évolution de l’appréciation portée sur ce point et que la rectrice de l’académie de Montpellier n’a pas davantage apporté, en défense, d’éléments à ce titre, Mme B justifie en produisant un calendrier prévisionnel de ses déplacements professionnels qui sont déjà programmés au titre de l’année scolaire 2025-2026 établissant qu’elle doit se rendre par exemple du 15 août au 10 septembre 2025 en Haute-Savoie, du 15 au 20 octobre 2025 en Bourgogne, du 9 au 16 novembre 2025 à Clermont-Ferrand dans le Puy-de-Dôme, du début du mois de décembre 2025 à la mi-février 2026 au Yucatan au Mexique, et du 10 au 13 mars 2026 dans le Val-d’Oise. La requérant précise que ce planning est en évolution constante et qu’elle est fréquemment amenée à demeurer dans une ville ou une région plus longtemps que prévu au gré des rendez-vous et des sollicitations des membres de l’association, des mères de famille accompagnées ou des partenaires institutionnels ou sociaux. Par suite, en l’état de l’instruction, le moyen tiré de l’erreur d’appréciation dont est entachée la décision refusant l’instruction en famille est de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.
- Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de suspendre l’exécution de la décision de la commission de l’académie de Montpellier du 13 mai 2025 portant refus d’autorisation d’instruction en famille pour A B au titre de l’année scolaire 2025-2026, jusqu’à ce qu’il soit statué au fond du litige. » (TA Nîmes, 25 juil. 2025, n° 2502882).
La situation de fratrie, et le dynamisme de l’instruction qu’elle implique, a une nouvelle fois été considéré comme une pierre déterminante du critère de situation propre, même si l’affaire comportait des spécificités médicales venant encore davantage solidifier le recours (TA Toulouse, 16 juil. 2025, n° 2504289).
Enfin, concernant la situation médicale, le motif 1, la phobie scolaire, malheureusement trop souvent discutée par les rectorats, a une nouvelle fois été reconnue et permis à un enfant d’obtenir l’autorisation de recevoir l’instruction en famille.
Dans ce dossier, le juge a retenu que « le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation car l’état de santé psychique de l’enfant A est gravement menacé par sa scolarisation au sein d’une école » en étayant ses motifs de griefs importants : « alors qu’il résulte de l’instruction qu’elle souffre d’un refus scolaire anxieux sévère incompatible avec la scolarisation en milieu scolaire ordinaire avec trouble du comportement alimentaire, mécanisme de sur adaptation, hypersensibilité. Il ressort en outre du dossier que la scolarisation a été un échec, l’enfant ayant développé une phobie de l’école nuisant gravement à son état de santé, en dépit d’un aménagement de sa scolarité. Enfin, il est constant que l’enfant n’est actuellement plus scolarisée. » (TA Toulon, 23 mai 2025, n° 2501780)
Il reste encore beaucoup à faire mais ces décisions encourageantes permettent des gains si déterminants dans la vie de nombreuses familles.
En cas de difficultés en lien avec l’IEF, n’hésitez pas à contacter nos avocats en droit de l’instruction en famille.