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Habilitation funéraire : la condamnation à des jours-amende ne constitue pas une incompatibilité

Le tribunal administratif de Rennes a rendu une décision intéressante en matière de contrôle des refus d’habilitation funéraire.

Dans cette affaire, le préfet du Morbihan refusait de renouveler l’habilitation pour activités funéraires d’une entreprise au motif que son dirigeant avait été condamné pour agression sexuelle. Cette décision préfectorale se fonde sur l’article L. 2223-24 du code général des collectivités territoriales (CGCT), qui prévoit une incompatibilité pour les dirigeants d’entreprises de pompes funèbres ayant fait l’objet de certaines condamnations pénales.

Le dirigeant en cause avait effectivement été condamné par le tribunal judiciaire de Saint-Nazaire le 17 octobre 2023 pour agression sexuelle, infraction figurant bien parmi celles listées à l’article L. 2223-24 du CGCT. Toutefois, la peine prononcée était de 90 jours-amende de 10 euros, et non une peine d’emprisonnement. La question centrale était donc de savoir si une condamnation à des jours-amende, sanction pénale alternative à l’emprisonnement, entre dans le champ d’application de l’incompatibilité prévue par l’article L. 2223-24 du CGCT.

La solution du tribunal

Le tribunal administratif de Rennes adopte une interprétation stricte du texte et donne raison aux requérants.

L’article L. 2223-24 du CGCT vise expressément les condamnations « à une peine d’emprisonnement avec ou sans sursis » pour certaines infractions énumérées (dont l’agression sexuelle). Le tribunal souligne que le jour-amende constitue, aux termes des articles 131-3 et 131-5 du code pénal, une peine correctionnelle distincte de l’emprisonnement.

Le juge administratif relève que le jour-amende est « une autre sanction pénale, moindre dans l’échelle des peines » que l’emprisonnement. Cette qualification est essentielle : elle montre que le législateur a opéré un choix délibéré en limitant l’incompatibilité aux seules peines d’emprisonnement.

Constatant l’erreur de droit commise par le préfet, le tribunal annule la décision de refus d’habilitation et enjoint à l’autorité préfectorale de délivrer l’habilitation dans le délai d’un mois.

Analyse et portée de la décision

Cette décision illustre le principe cardinal selon lequel les restrictions aux libertés professionnelles doivent être interprétées strictement. Le juge refuse d’étendre par analogie le champ des incompatibilités au-delà de ce que prévoit expressément le texte.

La distinction entre emprisonnement et jour-amende n’est pas qu’une subtilité juridique. Elle reflète une gradation voulue par le législateur pénal :

  • L’emprisonnement (même avec sursis) demeure la peine de référence, la plus stigmatisante
  • Le jour-amende, créé pour offrir une alternative crédible à l’emprisonnement, témoigne d’une appréciation judiciaire différente de la gravité des faits ou de la personnalité du condamné

Cette décision pose néanmoins plusieurs questions :

Sur le plan de la cohérence des politiques publiques : peut-on considérer qu’une personne condamnée pour agression sexuelle (même à des jours-amende) présente les garanties de moralité requises pour exercer une profession en contact avec des familles endeuillées ?

Sur le plan législatif : le législateur a-t-il consciemment voulu cette distinction, ou s’agit-il d’une lacune législative ? L’évolution du recours aux peines alternatives pourrait justifier une actualisation du texte.

Sur le plan pratique : cette jurisprudence pourrait inciter les juridictions pénales à privilégier l’emprisonnement avec sursis plutôt que le jour-amende lorsqu’elles souhaitent qu’une condamnation emporte des conséquences professionnelles.

Cette jurisprudence devrait être confirmée en appel, sauf à ce que le législateur intervienne pour modifier l’article L. 2223-24 du CGCT en y intégrant expressément les autres peines correctionnelles.

 

TA Rennes, 6e ch., 4 sept. 2025, n° 2502552.