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Jurisprudences récentes en matière de droit disciplinaire

Nous vous proposons un panorama de quelques jurisprudences intéressantes rendues en matière de droit disciplinaire en 2025.

Conseil d’État, 9 mai 2025, n° 499277

Le Conseil d’État a rendu une décision de principe concernant les garanties procédurales applicables aux étudiants faisant l’objet de poursuites disciplinaires. L’affaire concernait une étudiante de Nantes Université exclue pour neuf mois par la commission de discipline.

La Haute juridiction rappelle d’abord que depuis la loi du 6 août 2019, les sections disciplinaires des universités ne statuent plus en tant que juridictions mais en tant qu’autorités administratives. Les décisions de sanction doivent donc être contestées devant le tribunal administratif dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, et non plus par la voie de l’appel.

Sur le fond, le Conseil d’État consacre le droit de se taire comme garantie fondamentale découlant de l’article 9 de la Déclaration de 1789. Ce principe s’applique à toute sanction ayant le caractère d’une punition, et pas seulement aux procédures pénales. L’étudiant doit être informé de ce droit avant d’être entendu pour la première fois, et cette information vaut pour l’ensemble de la procédure disciplinaire.

Le Conseil précise toutefois que ce droit ne s’applique pas aux échanges ordinaires avec les agents de l’université ni aux enquêtes menées par le chef d’établissement, sauf détournement de procédure. L’absence d’information n’entraîne l’annulation de la sanction que si celle-ci repose de manière déterminante sur des propos tenus sans que l’étudiant ait été averti de son droit.

Dans le cas d’espèce, le Conseil d’État a constaté que l’étudiante n’avait jamais été informée de son droit de se taire. Néanmoins, la sanction ne reposant pas sur des propos qu’elle aurait tenus, ce moyen a été écarté. En revanche, le Conseil a censuré la procédure pour deux autres irrégularités : la notification des poursuites ne précisait pas la faculté de se faire assister par un conseil, et la convocation à la commission de discipline n’avait pas respecté le délai de quinze jours prévu par le code de l’éducation. L’ordonnance de première instance ayant refusé la suspension a donc été annulée et le Conseil d’État a lui-même prononcé la suspension de la sanction.

Tribunal administratif de Grenoble, 10 juin 2025, n° 2504617

Cette affaire concernait un étudiant de l’institut polytechnique de Grenoble exclu pour deux ans dont un an avec sursis à la suite d’accusations de viol portées par une étudiante après le week-end d’intégration de septembre 2022.

Le tribunal a d’abord écarté la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du recours. L’administration soutenait que la décision avait été notifiée par voie dématérialisée le 28 février 2025, mais le juge a relevé qu’il était impossible de déterminer l’auteur des téléchargements dans le système utilisé, les logs mentionnant tous un destinataire anonyme. De plus, certains téléchargements étaient intervenus avant même l’envoi du lien au requérant. La notification effective n’a donc pu être établie qu’au 5 mars 2025, date de retrait du pli en bureau de poste.

Sur l’urgence, le tribunal a considéré que la sanction empêchait l’étudiant de valider certaines unités d’enseignement et de diplômer sa troisième année. La victime n’étant plus dans l’établissement, l’intérêt public invoqué par l’administration ne faisait pas obstacle à la suspension.

Le moyen tiré de la méconnaissance du délai de convocation de quinze jours a été jugé propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision, précisément en raison de l’impossibilité de déterminer l’auteur des téléchargements dans le système de transfert de fichiers. Le tribunal a donc ordonné la suspension de la sanction et enjoint à l’établissement de réintégrer provisoirement l’étudiant dans un délai d’un mois.

Tribunal administratif de Nice, 26 septembre 2025, n° 2504709 et n° 2505217

Le tribunal administratif de Nice a rendu deux décisions identiques le même jour concernant deux étudiantes en médecine de l’Université Côte d’Azur. Chacune avait été exclue de tout établissement d’enseignement supérieur public en France pour une durée de cinq ans en raison de leur participation à des épreuves d’admission particulièrement dégradantes au sein d’une association étudiante, ayant conduit à l’hospitalisation d’un étudiant le 24 janvier 2025.

Dans les deux cas, le juge a considéré que l’urgence était caractérisée compte tenu de la sévérité de la sanction empêchant durablement les étudiantes de poursuivre non seulement leur cursus déjà bien avancé en médecine, mais tout cursus dans l’enseignement supérieur public.

Le tribunal n’a pas remis en cause le principe même de la sanction, reconnaissant le caractère éminemment déplorable des faits. Toutefois, il a estimé que la durée et l’ampleur de la sanction entraînaient de fait une impossibilité définitive de poursuivre une formation déjà bien avancée en médecine, alors qu’il n’était pas établi que les faits aient compromis pour les victimes consentantes la poursuite de leurs études ni porté une atteinte définitive à leur santé. Le caractère disproportionné de la sanction créait donc un doute sérieux sur sa légalité.

Dans les deux cas, le tribunal a ordonné la suspension de l’exécution de la sanction et enjoint à l’université de réintégrer provisoirement les étudiantes au sein de la faculté de médecine dans un délai de huit jours, dans l’attente d’une décision au fond.

Tribunal administratif d’Orléans, 15 mai 2025, n° 2502111

Cette affaire concernait un étudiant en Master 1 de l’université de Montpellier, qui avait été sanctionné par l’université de Tours pour des faits remontant à 2023, lorsqu’il était en licence de droit dans cet établissement. La commission de discipline lui reprochait des gestes d’agression sexuelle à l’égard de deux étudiantes lors d’une soirée de gala en avril 2023, et avait prononcé une exclusion de quatre mois de tout établissement public d’enseignement supérieur.

Le tribunal a estimé que l’urgence était caractérisée car la sanction empêchait l’étudiant de se présenter aux épreuves du second semestre de son Master 1 et d’obérer ses chances de voir reconduite sa bourse d’études. L’université faisait valoir que les épreuves s’étaient déjà déroulées, mais le juge a relevé que le règlement des études de l’université de Montpellier prévoyait un dispositif de seconde chance permettant de valider l’année par un grand oral en cas de motifs graves et légitimes.

Sur le fond, le tribunal a considéré que plusieurs moyens créaient un doute sérieux sur la légalité de la décision. D’une part, les griefs d’agression sexuelle résultaient d’actes commis en dehors de l’université, même si le gala n’était pas sans lien avec les activités universitaires. D’autre part, ces griefs n’étaient étayés que par les dénonciations des deux étudiantes intervenues plus d’un an après les faits, n’étaient pas corroborés par d’autres pièces, et étaient explicitement contestés par le requérant qui produisait des témoignages contradictoires, dont celui d’une amie présente au moment des faits.

Le tribunal a donc ordonné la suspension de l’exécution de la sanction jusqu’au jugement au fond et condamné l’université de Tours à verser 1 500 euros au requérant au titre des frais de justice.

Tribunal administratif de Paris, 15 octobre 2025, n° 2222816

Cette décision du tribunal administratif de Paris concernait un étudiant de l’École nationale supérieure de création industrielle qui avait fait l’objet d’une exclusion temporaire de douze mois prononcée le 27 septembre 2022. L’affaire présentait la particularité que la directrice de l’école avait procédé au retrait de cette décision le 11 avril 2025 pour en prendre une nouvelle identique.

Le tribunal a d’abord constaté que le retrait de la décision initiale, devenu définitif faute de contestation, privait d’objet les conclusions dirigées contre celle-ci. Il a donc examiné la légalité de la nouvelle décision du 11 avril 2025.

Sur le droit de se taire, le juge a relevé que l’étudiant n’avait jamais été informé de cette faculté, ni lors de ses convocations ni lors de son audition devant la commission de discipline. La décision de sanction indiquait expressément que trois des cinq manquements retenus avaient été reconnus par l’intéressé lors de ses observations écrites et de son audition. Bien que la décision soit également fondée sur des témoignages, elle précisait que les faits reconnus à eux seuls portaient gravement atteinte à l’établissement. Le tribunal en a déduit que la sanction reposait de manière déterminante sur des propos tenus sans que l’étudiant ait été informé de son droit de se taire.

Sur le droit à l’assistance d’un avocat, le tribunal a rappelé que ce droit découle du principe général des droits de la défense et s’applique aux procédures disciplinaires, sauf exclusion expresse par les textes ou incompatibilité avec le fonctionnement de l’organisme. Le règlement intérieur de l’école prévoyait seulement que l’étudiant pouvait se faire assister par un autre élève, mais n’excluait pas expressément l’assistance d’un avocat. Cette assistance n’étant pas non plus incompatible avec le fonctionnement de la commission de discipline, le refus opposé par l’école le 21 septembre 2022 méconnaissait les droits de la défense.

La décision du 11 avril 2025 a donc été annulée pour ces deux motifs, et l’école condamnée à verser 1 500 euros à l’étudiant au titre des frais de justice.

Tribunal administratif de Rouen, 19 mai 2025, n° 2502134

Cette affaire concernait une lycéenne du lycée polyvalent du Golf de Dieppe exclue définitivement de l’établissement par le conseil de discipline le 30 janvier 2025. La rectrice de l’académie de Normandie avait confirmé cette sanction le 16 avril 2025, après un recours administratif des parents.

Le tribunal a considéré que l’urgence était caractérisée malgré la contribution des parents à la déscolarisation de leur fille, qui avaient refusé sans justification convaincante une proposition d’inscription en internat dans un autre établissement dès janvier 2025. La mesure d’exclusion, la plus forte de l’échelle des sanctions, était directement à l’origine d’une atteinte grave et immédiate à la situation scolaire de la lycéenne. De plus, la confirmation de la sanction était intervenue largement après le délai d’un mois imparti à la rectrice par le code de l’éducation.

Sur le fond, le juge a estimé que le moyen tiré du caractère disproportionné de l’exclusion définitive au regard de la gravité des propos reprochés et de l’échelle des sanctions prévues par le code de l’éducation était propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision. Il ressort des pièces du dossier que l’élève était accusée d’avoir prononcé la phrase suivante : « Heureusement que je n’avais pas un flingue, sinon j’aurais fait un carnage ».

Le tribunal a ordonné la suspension de la décision rectorale et enjoint à la rectrice de réintégrer provisoirement l’élève dans sa classe, de lui transmettre les supports de cours manqués depuis le 30 janvier 2025, et de compléter son dossier par l’indication que la sanction est suspendue par ordonnance du juge des référés. Le juge a précisé que cette suspension ne faisait pas obstacle à ce que l’autorité compétente statue à nouveau sur le cas de l’élève. L’État a été condamné à verser 500 euros aux parents au titre des frais de justice.

Tribunal administratif de Toulouse, 23 avril 2025, n° 2502314

Cette décision concernait un étudiant en première année de licence à la Toulouse School of Economics exclu pour un an dont six mois avec sursis par la commission de discipline le 17 mars 2025. Il lui était reproché d’avoir réalisé un geste s’apparentant à un salut nazi, authentifié par une photo et une vidéo, et d’avoir ri à l’accent d’un professeur.

Le tribunal a considéré que l’urgence était caractérisée car la sanction empêchait l’étudiant de passer les examens du second semestre, même lors de la deuxième session, et donc de valider sa première année. Cette sanction préjudiciait de manière grave et immédiate à sa situation.

Sur le fond, le juge a relevé que l’étudiant n’avait jamais été sanctionné auparavant et avait, dès son courrier du 14 janvier 2025, pris conscience du caractère inapproprié et répréhensible de son geste et s’en était excusé. Il n’était pas contesté que ce geste, bien qu’inadmissible au sein d’un établissement universitaire, répondait à une plaisanterie de ses camarades au regard de sa coiffure et s’inscrivait dans une ambiance de classe propice aux insultes raciales sur fond de mauvaises blagues. Le tribunal a souligné que l’étudiant était le seul à voir sa scolarité impactée par une sanction, alors que d’autres étudiants impliqués dans les propos racistes avaient reçu des sanctions sans impact sur leur scolarité.

Le moyen tiré de la disproportion de la sanction a donc été jugé propre à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision. Le tribunal a ordonné la suspension de l’exécution de la sanction jusqu’au jugement au fond et enjoint à l’école de réintégrer l’étudiant dans un délai d’une semaine. L’école a été condamnée à verser 1 000 euros à l’étudiant au titre des frais de justice.