La QPC, l’inéligibilité et l’exécution provisoire des élus et candidats
L’actualité judiciaire est assez riche sur la question de la peine d’inéligibilité et son exécution provisoire lorsqu’un appel est interjeté.
Si l’affaire Le Pen a mis en lumière cette question, c’est une toute autre affaire, afférente à un conseiller municipal mahorais, qui remet d’actualité ce sujet puisqu’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) vient d’être transmise à ce sujet au Conseil Constitutionnel.
Ce dernier aura donc à se prononcer sur cette dernière, ce qui pourrait éclairer l’état du droit sur la question puisque le régime juridique lié à cette question n’est pas identique selon l’élu dont il est question.
Nous vous proposons de revenir sur cette affaire pour mieux cerner les enjeux pour la décision à venir.
L’article L. 230 du code électoral prévoit que « les individus privés du droit électoral » ne peuvent être conseillers municipaux. L’article L. 236 du même code prévoit, pour sa part, que tout conseiller municipal qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un des cas d’inéligibilité prévus, notamment, par l’article L. 230, est immédiatement déclaré démissionnaire par le préfet, sauf réclamation au tribunal administratif dans les dix jours de la notification, et sauf recours au Conseil d’État.
Précisons que le juge pénal ne doit motiver ni son choix de prononcer cette peine d’inéligibilité obligatoire, ni le choix de l’assortir de l’exécution provisoire (Crim. 19 avril 2023, n° 22-83.355, Bull), ce qui constitue indéniablement à la difficulté de la question posée en l’espèce, eu égard aux enjeux démocratiques derrière la peine d’inéligibilité.
Lorsqu’une telle sanction touche un élu local, dont les conséquences sont à tirer par le préfet, aucune marge de manœuvre n’existe pour ce dernier qui se trouve alors en situation de compétence liée pour prendre l’arrêté de démission d’office. Le dossier examiné par le Conseil d’Etat concernait justement un élu local.
Ce point de droit n’est pas nouveau puisque le Conseil d’Etat jugeait déjà en 2012 que :
« Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, dès lors qu’un conseiller municipal ou un membre de l’organe délibérant d’un établissement public de coopération intercommunale se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d’une condamnation devenue définitive ou d’une condamnation dont le juge pénal a décidé l’exécution provisoire, le préfet est tenu de le déclarer démissionnaire d’office » (CE, 30 juin 2012, n° 356865).
La Cour de cassation, dans une affaire analogue, a déjà pu juger qu’une lecture littérale des dispositions du code électoral et du code de procédure pénale, notamment l’article 471, justifiait un rejet de transmission d’une QPC :
« toute condamnation prononcée par la juridiction correctionnelle à l’une des sanctions pénales énumérées au 4e alinéa de l’article 471 du code de procédure pénale peut faire l’objet, selon le cas, d’un recours devant la cour d’appel ou la Cour de cassation, d’autre part, la faculté pour la juridiction d’ordonner l’exécution provisoire répond à l’objectif d’intérêt général visant à favoriser l’exécution de la peine et à prévenir la récidive, enfin, le caractère non suspensif du recours, lorsque l’exécution provisoire a été ordonnée, assure une juste conciliation entre cet objectif et celui à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice ; qu’en conséquence, les droits et libertés garantis par la Constitution ne sont pas méconnus » (Cass. crim., 23 août 2017, n° 17-80.459).
Toutefois, en sa qualité de juge de l’élection, et non ès qualité de juge constitutionnel, le Conseil Constitutionnel dispose d’une jurisprudence légèrement différente puisqu’il refuse de constater la déchéance de la qualité de parlementaire ou de sénateur d’un élu dont la sanction n’est pas devenue définitive.
Il a ainsi par exemple déjà jugé que :
« Considérant que, si, par application de l’article 471 du code de procédure pénale, la peine d’inéligibilité privant M. FLOSSE de son droit d’éligibilité est exécutoire par provision, les effets de cette condamnation sur l’exercice en cours de son mandat parlementaire sont régis par l’article 569 du code de procédure pénale, en vertu duquel il est sursis à l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Papeete jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation » (C.Constit., DC n° 2009-21S D du 22 octobre 2009).
Le rapporteur public, concluant dans le dossier d’espèce, relevait que :
« S’il faut en déduire, comme nous le pensons et comme l’ont d’ailleurs jugé plusieurs de vos chambres jugeant seules, que, dans le cas où la peine d’inéligibilité n’est exécutoire que par provision, le recours introduit contre l’arrêté préfectoral revêt un caractère suspensif, l’élu étant en droit de conserver ses fonctions jusqu’à ce que le juge administratif se prononce, force est de constater que ce distinguo selon le caractère définitif ou provisoire de la condamnation a une portée utile extrêmement limitée, laissant à penser qu’il n’a pas été délibérément instauré ».
En synthèse, cette divergence d’appréciation signifie que la condamnation pour un futur candidat, dont la condamnation non définitive a été assortie de l’exécution provisoire, serait effectivement en vigueur au lendemain du prononcé du jugement pénal alors que les élus, notamment municipaux, dont la démission d’office doit être constatée par arrêté préfectoral peuvent faire écarter l’application immédiate par l’introduction d’un recours devant le tribunal administratif ; de même les élus nationaux (Députés et Sénateurs) sont protégés, le juge de leur élection refusant l’application provisoire d’une sanction non définitive. Créant ainsi un distinguo peu opportun et une prime à l’élu face au candidat et une « irresponsabilité » des élus nationaux, en matière d’exécution provisoire, ce régime éclaté nécessite une unification qui sera bienvenue.
Dans le détail :
Raisonnant à partir de ce point le rapporteur précise que :
« La décision n° 2024-1099 QPC du 10 juillet 2024, postérieure à votre décision A…, illustre l’approche suivie par le Conseil constitutionnel pour analyser les effets d’une mesure d’exécution provisoire sur le droit au recours et un autre droit constitutionnellement protégé. Etait en cause la faculté du juge pénal, en cas de condamnation pour certaines infractions prévues par le code de l’urbanisme, d’ordonner l’exécution provisoire de mesures de restitution consistant, notamment, en un ordre de démolition. Les requérants se plaignaient de l’absence de recours permettant d’en obtenir la suspension, y compris en cas d’appel, alors que ses effets peuvent être irrémédiables. Le Conseil constitutionnel a raisonné en deux temps. Il a d’abord écarté l’atteinte au droit au recours en relevant, d’une part, que l’exécution provisoire ne pouvait être ordonnée par le juge pénal qu’à la suite d’un débat contradictoire, et d’autre part, qu’il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que le juge est tenu d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter au droit au respect de la vie privée et familiale de la personne prévenue, lorsqu’une telle garantie est invoquée. Il a ensuite écarté le grief tiré de l’atteinte au droit de propriété en relevant, d’une part, que les dispositions contestées visaient à assurer l’efficacité des mesures de restitution ordonnées par le juge pénal, et poursuivaient, ainsi, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et, d’autre part, qu’il revient au juge d’apprécier si le prononcé de l’exécution provisoire de la mesure de restitution est nécessaire au regard des circonstances de l’espèce. Si l’on transpose cette grille d’analyse au cas d’espèce, on constate une certaine concordance, mais elle n’est pas parfaite. S’agissant du droit au recours, la peine complémentaire d’inéligibilité est prononcée après une procédure de première instance respectant pleinement les droits de la défense. En revanche, la jurisprudence de la Cour de cassation n’impose pas au juge pénal de motiver son choix de prononcer l’exécution provisoire (Crim. 19 avril 2023, n° 22-83.355, Bull., préc.), quand bien même celui-ci est implicitement opéré au regard du caractère proportionné de l’atteinte portée au droit d’éligibilité de l’intéressé. Quant au juge administratif, qui est lié par la décision pénale, il n’effectue aucune appréciation sur ce point. S’agissant de l’atteinte au droit d’éligibilité, on relèvera que le Conseil constitutionnel s’est, par une décision du 8 septembre 2017 (n° 2017-752 DC), prononcé, dans le cadre de son contrôle a priori, sur les dispositions de l’article 131-26-2 du code pénal, issu de la loi pour la confiance dans la vie politique, qui ont fait de la sanction d’inéligibilité une peine obligatoire dans un certain nombre de cas. Relevant que le législateur avait entendu renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants, le Conseil a écarté, faute d’automaticité, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’individualisation des peines. Nous pensons qu’il peut aisément être admis que l’exécution provisoire, et la démission d’office des mandats en cours qui en résulte, poursuit l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public parce qu’elle vise à assurer l’effectivité de la peine d’inéligibilité. […] En revanche, comme dans le premier temps de l’analyse, le contrôle opéré par le juge pénal quant à la nécessité d’une telle mesure au regard des circonstances de chaque espèce ne fait l’objet d’aucune motivation. Cette difficulté nous convainc du caractère sérieux du grief, mais, si vous n’étiez pas du même avis, nous pensons que les interrogations suscitées par la divergence d’approche du Conseil constitutionnel, saisi d’une demande de déchéance d’un mandat parlementaire, doivent aussi entrer en ligne de compte ».
Eu égard à l’actualité politique récente autour de cette question, le rapporteur public a conclu à la transmission au Conseil Constitutionnel quand bien même, selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, la question semblait ne pas apparaître « sérieuse » :
« A tout le moins, compte tenu des débats que ce sujet suscite, de la portée des dispositions contestées et de la nature du droit constitutionnel en cause, le grief soulevé nous paraît être une question nouvelle, ce critère qui vous permet de soumettre au Conseil constitutionnel, en opportunité, une QPC que vous n’estimeriez pas sérieuse mais portant sur un sujet de société important ».
Convaincu par son rapporteur, le Conseil d’Etat a donc considéré que :
« Le moyen tiré de ce qu’elles [NDLR : les dispositions précitées du code électoral] portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit d’éligibilité, garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 3 de la Constitution, en tant qu’elles s’appliquent à des élus ayant fait l’objet d’une condamnation pénale déclarée exécutoire par provision sur le fondement de l’article 471 du code de procédure pénale, alors que cette sanction n’est pas devenue définitive, soulève une question présentant un caractère sérieux » (Conseil d’Etat, 27 déc. 2024, n° 498271).
Il ne reste donc qu’à attendre la décision du Conseil Constitutionnel qui, si elle viendra probablement confirmer le cadre légal existant, unifiera et éclaircira le régime applicable aux élus et candidats de toutes les élections.
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