
Harcèlement scolaire: point juridique
On estime aujourd’hui qu’environ 5 à 10 % des élèves seraient harcelés. On ne présente plus les conséquences dramatiques sur les élèves et le caractère massif sinon systémique du harcèlement scolaire. Le harcèlement scolaire a longtemps été un impensé juridique. Il fait cependant depuis une dizaine d’années l’objet de l’attention du législateur et du pouvoir réglementaire avec une accélération depuis 2023 [1]. S’il faut saluer cet effort, l’effectivité du droit dans la lutte contre le harcèlement scolaire est encore limitée [2]. Nous verrons successivement comment le droit a appréhendé la question du harcèlement scolaire, puis dans quelle mesure ces instruments juridiques ont été concrètement mis en œuvre.
Le harcèlement scolaire : une infraction pénale, mais pas seulement
Le harcèlement scolaire est pénalement défini par renvoi au harcèlement moral « classique ».
Selon l’article 222-33-2-3 du code pénal, constitue un harcèlement scolaire « les faits de harcèlement moral définis aux quatre premiers alinéas de l’article 222-33-2-2 lorsqu’ils sont commis à l’encontre d’un élève par toute personne étudiant ou exerçant une activité professionnelle au sein du même établissement d’enseignement ». Le harcèlement « classique » est quant à lui défini comme « des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ». Cette infraction requiert donc une répétition des faits (sans que ceux-ci ne soient définis) et qu’ils aient eu des conséquences sur la victime.
Le code pénal précise que la répétition n’a pas à être du fait de la même personne. Est ainsi qualifiée de harcèlement l’hypothèse où « ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée » Mais également « lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition. » [3]
Cette présence dans le code pénal ne date que de loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire [4]. Cependant, le harcèlement scolaire tombait déjà sous le coup de l’infraction pénale de harcèlement moral « classique ». Le harcèlement scolaire peut en outre être qualifié de cyberharcèlement, lorsqu’il est commis « par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique ». [5]
Le harcèlement scolaire n’est cependant pas qu’une infraction pénale. Il existe ainsi un droit à ne pas être harcelé en milieu scolaire, issu de la loi pour une école de la confiance du 26 juillet 2019, qui prévoit qu’« aucun élève ou étudiant ne doit subir des faits de harcèlement résultant de propos ou comportement, commis au sein de l’établissement d’enseignement ou en marge de la vie scolaire ou universitaire et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de dégrader ses conditions d’apprentissages ». [6]
Sur ce fondement, le droit de ne pas être harcelé à l’école a pu être élevé au rang de liberté fondamentale par le juge administratif du référé-liberté, qui, rappelons-le, peut statuer en 48h en cas d’atteinte grave et manifestement illégale à ce droit [7].
Le droit face au harcèlement scolaire : une réponse plurielle et en construction
La lutte contre le harcèlement scolaire est récente : le terme n’apparaît pour la première fois dans les textes juridiques qu’en 2013 dans une circulaire du Ministre de l’éducation nationale [8]. La réponse est aujourd’hui diverse., à travers la répression pénale, le droit disciplinaire et des mécanismes de prévention.
La réponse pénale au harcèlement scolaire : des peines lourdes, une mise en œuvre balbutiante
Sur le plan pénal, les textes sont si répressifs qu’ils apparaissent déconnectés de la réalité judiciaire.
Un élève harceleur encourt ainsi de trois à dix ans d’emprisonnement ; trois ans en l’absence d’interruption temporaire de travail et jusqu’à dix ans si le harcèlement a conduit au suicide [9]. Des peines inapplicables, a fortiori quand on parle d’enfants ou d’adolescents.
Malgré ces peines élevées votées par le législateur, la lutte contre le harcèlement scolaire est restée longtemps ignorée de la politique répressive. Ainsi, la circulaire du garde des Sceaux du 11 septembre 2023 dédiée aux infractions commises en milieu scolaire ne mentionnait le terme « harcèlement » que pour évoquer celui commis par les parents à l’égard des enseignants et des personnels de l’éducation nationale. L’ « oubli » a cependant été corrigé par une circulaire – à notre connaissance la première en droit pénal- parue en 2024 sur la répression du harcèlement scolaire [10].
La circulaire du Ministre de la Justice évoque les « mesure alternative(s) aux poursuites à dimension pédagogique, telle qu’un stage de citoyenneté ou de formation civique lorsque les faits reprochés à un mineur apparaissent isolés et n’ont pas entraîné d’incapacité totale de travail. » (à mettre en perspective avec la peine maximale de trois ans prévue dans le code pénal dans cette hypothèse).
Le Ministre demande par ailleurs aux procureurs de « requérir une obligation de réparer le dommage causé à la victime ». La circulaire prévoit enfin que le procureur demande « lorsque les faits ont été commis en ligne et que cela apparaît pertinent », une mesure de « bannissement numérique », dans le cadre d’une composition pénale, consistant en l’interdiction d’utiliser les comptes d’accès aux réseaux sociaux ayant été utilisés pour commettre l’infraction, ou d’en créer de nouveaux, pour une durée maximale de six mois ».
La circulaire évoque également la réponse pénale à apporter quand le harcèlement a causé des jours d’ITT. Elle prévoit dans ces hypothèses que le procureur de la République peut « requérir le placement sous contrôle judiciaire du ou des mis en cause, âgés de plus de seize ans ». C’est également le cas à l’égard d’un mineur âgé de plus de treize ans « dès lors que des antécédents judiciaires et une incapacité totale de travail supérieure à huit jours sont constatés ». Cela doit permettre notamment le prononcé « d’une interdiction d’entrer en contact avec la victime et de paraître au domicile de la victime, ainsi qu’une mesure de bannissement numérique, pour une durée maximale de six mois ». Au regard du caractère récent de la circulaire, il est prématuré d’apprécier sa mise en œuvre. Au quotidien, nous constatons toujours de nombreux refus d’enregistrement des plaintes des parents et des classements sans suite sans qu’aucune enquête n’ait été menée. A ce jour, les condamnations pénales pour des faits de harcèlement scolaire restent rarissimes mais les choses pourraient être amenées à évoluer.
La réponse disciplinaire au harcèlement scolaire : à manier avec précaution.
La réponse disciplinaire au harcèlement scolaire qui semble évidente aujourd’hui est assez récente. Le harcèlement scolaire fait aujourd’hui l’objet de dispositions spécifiques dans les textes régissant le droit disciplinaire. C’est un cas assez rare, car le code de l’éducation se contente d’organiser les procédures disciplinaires, sans distinguer entre les fautes disciplinaires elles-mêmes.
Le code de l’éducation, dans sa rédaction issue du décret du 16 août 2023 [11] impose une saisine automatique du conseil de discipline en cas de harcèlement scolaire dans le secondaire. Cette saisine systématique peut sembler en contradiction avec le protocole PHARE qui prévoit dans certains la mise en œuvre d’une procédure « non blâmante ».
La procédure disciplinaire est en outre étendue aux hypothèses où des élèves commettent des actes de harcèlement à l’encontre d’élèves situés dans un autre établissement. Un ajout intéressant notamment s’agissant du cyber-harcèlement, qui se poursuit parfois alors que les élèves victimes ou harceleurs, ont changé d’établissement.
Dans le premier degré, il est désormais possible de changer un enfant d’école si son comportement intentionnel et répété fait peser un risque caractérisé sur la sécurité ou la santé d’un autre élève de l’école. Les termes retenus semblent plus restrictifs que ceux définissant le harcèlement scolaire.
Il peut être utile de rappeler qu’il n’existe pas à ce jour de conseil de discipline dans les écoles primaires. La possibilité d’exclusion prévue à l’égard de ces élèves, pourtant plus jeunes – n’est pas assortie des garanties procédurales liées à la collégialité et au contradictoire, dont disposent leurs ainés. La légalité
Au-delà des textes, le traitement des cas de harcèlement scolaire reste très inégal selon les établissements. Il est vrai que contrairement aux violences physiques ou sexuelles, le harcèlement scolaire – comme au demeurant le harcèlement moral – est une notion floue : plus difficile à appréhender, à prouver, à sanctionner. Faute de temps, il est souvent difficile pour les équipes pédagogiques de détecter les signaux de harcèlement. Le harcèlement scolaire est en outre plus difficile à régler, notamment car les sanctions ne peuvent pas tout régler, en particulier lorsque le harcèlement est collectif (c’est d’ailleurs une des avancées du protocole PHARE).
Si le harcèlement entre élèves semble cependant mieux traité qu’auparavant, le harcèlement par un adulte à sur un élève reste plus dur à faire entendre. Les chefs d’établissement prennent encore trop automatiquement la défense des membres de l’équipe pédagogique sans prendre le temps d’instruire la requête. C’est également le cas du rectorat qui prend le parti de l’établissement contre celui des parents d’élèves, souvent sans avoir fait l’effort d’entendre les enfants ou les parents. Une réponse classique des rectorats est le signalement les parents d’élèves se plaignant de harcèlement à l’Aide sociale à l’enfance. La situation est plus délicate encore dans les établissements privés. Des chefs d’établissement privés refusent fréquemment la réinscription des élèves – au motif de rupture de confiance avec l’équipe pédagogique – quand les parents dénoncent de manière insistante le harcèlement subi par leur enfant.
Formation et prévention : une avancée récente pleine de promesse
Le code de l’éducation prévoit de manière large mais vague une obligation pour les établissement d’enseignement de prendre « les mesures appropriées visant à lutter contre le harcèlement dans le cadre scolaire et universitaire » [12] Ces mesures ajoute la disposition « visent notamment à prévenir l’apparition de situations de harcèlement, à favoriser leur détection par la communauté éducative afin d’y apporter une réponse rapide et coordonnée et à orienter les victimes, les témoins et les auteurs, le cas échéant, vers les services appropriés et les associations susceptibles de leur proposer un accompagnement. » [13]
De manière plus précise, le code de l’éducation fait peser une obligation de formation sur le harcèlement, tant sur les élèves que des professionnels. Il est ainsi prévu qu’« Une information sur les risques liés au harcèlement scolaire, notamment au cyberharcèlement, est délivrée chaque année aux élèves et parents d’élèves. » [14]. Une circulaire fixe à 10h par année scolaire le volume dédié.
Le harcèlement scolaire doit désormais figurer dans le programme de formation des agents de l’éducation nationale mais également ceux du domaine médico-social, des travailleurs sociaux, du personnel d’animation sportive et culturelle, de la police nationale comme municipale et de la gendarmerie. Il est prévu « une formation à la prévention des faits de harcèlement au sens de l’article 222-33-2-3 du code pénal ainsi qu’à l’identification et à la prise en charge des victimes, des témoins et des auteurs de ces faits. » [15]. Il faudra sans doute plusieurs années pour vérifier si ces formations améliorent la prévention et le traitement du harcèlement scolaire.
Ces mesures de prévention ont été détaillée par une circulaire de février 2024 dédiée au harcèlement scolaire [16]. Cette dernière met en avant le numéro d’alerte 3018. Elle prévoit la passation annuelle, par tous les élèves du CE2 à la terminale, d’un questionnaire d’auto-évaluation, à l’occasion de la journée nationale de lutte contre le harcèlement.
La circulaire généralise par ailleurs la mise en œuvre du programme de lutte contre le harcèlement scolaire désigné sous le nom de PHARE, obligatoire dans les écoles, collèges et lycées depuis 2023. Ce protocole est sensé servir d’alternative aux mesures disciplinaires, pour éviter d’assigner des élèves dans un rôle de victimes et d’autres dans celui de harceleurs, ce qui peut avoir des effets contre-productifs.
Saisir la justice : le dernier recours
Si nous avons abordé le rôle de la justice pénale, c’est davantage la juridiction administrative qui est sollicitée : les tribunaux administratifs sont en effet compétents pour contrôler les décisions de l’administration et engager la responsabilité de l’État en cas de litiges avec un établissement d’enseignement public. Les tribunaux judiciaires ont le même rôle s’agissant de l’enseignement privé.
Le cas le plus classique est sans doute les actions en responsabilité pour faute quand l’élève a subi un harcèlement scolaire sans que l’établissement ne prenne les mesures appropriées pour prévenir ou faire cesser. La jurisprudence reste exigeante à l’égard des victimes et condamne peu souvent l’État ou alors faiblement.
Ainsi le tribunal administratif de Melun a rejeté le recours de parents d’élèves qui avaient dû changer leur enfant d’école en raison d’un harcèlement scolaire. Le tribunal considère qu’il n’y avait pas de faute de la part de l’établissement et que les parents ne justifiaient pas d’un préjudice -malgré la production d’un certificat d’un psychologue dès lors que l’enfant s’était bien intégré dans sa nouvelle école [17].
Dans une autre affaire, le tribunal administratif a rejeté le recours des parents en considérant que l’établissement avait pris les mesures appropriées pour tenter de mettre fin au harcèlement, « notamment en sensibilisant le principal instigateur des brimades au caractère répréhensible de celles-ci, en prononçant ensuite son exclusion temporaire, puis en procédant enfin à un changement d’établissement. » [18].
Dans une dernière affaire, où le harcèlement avait entrainé la mort de l’élève, le juge retient bien la responsabilité de l’Etat en raison de « l’absence de procédure de concertation pour prendre en considération la souffrance d’un élève » qui « révèle une défaillance dans l’organisation du service ; qu’une telle carence dans l’appréhension du harcèlement moral au sein d’un établissement, et en particulier dont a été victime S., » Le juge considère cependant que le suicide de l’enfant n’est pas entièrement imputable à la carence de l’administration. Le préjudice est fixé à 5.000 € par personne… [19]
Les litiges ne sont cependant pas que des actions indemnitaires. Les juges peuvent accorder une dérogation à la carte scolaire en cas de harcèlement scolaire avéré. [20].
Le juge administratif a pu s’appuyer sur des faits de harcèlement scolaire pour censurer un refus d’autorisation d’instruction en famille [21]. Le juge a enfin pu être saisi d’un référé liberté pour ordonner en extrême urgence que la situation de harcèlement scolaire soit réglée [22].
Le juge administratif est enfin régulièrement saisi des sanctions disciplinaires prises à l’égard d’élève sanctionnés pour des faits de harcèlement Le juge vérifie dans ce cadre la matérialité des faits. Il censure également les vices de procédure et contrôle la proportionnalité de la sanction.
Conclusion
La lutte contre le harcèlement scolaire connaît aujourd’hui un tournant juridique majeur. Longtemps relégué au second plan, ce phénomène désormais reconnu dans toute sa gravité a progressivement été intégré dans notre système juridique, qu’il s’agisse du droit pénal, disciplinaire, administratif ou encore des politiques de prévention. L’arsenal juridique mis en place est aujourd’hui dense et multiple : il témoigne d’une volonté politique réelle de répondre à une urgence sociale et éducative.
Pour autant, entre la loi et sa mise en œuvre, un fossé subsiste. La sévérité des textes contraste avec la timidité des poursuites, la rareté des condamnations et les inégalités de traitement entre établissements. La réponse reste encore trop souvent symbolique, incomplète ou tardive. L’effectivité du droit reste donc un défi majeur, tout comme l’accompagnement des victimes, la formation des professionnels, et la capacité des institutions à entendre les signalements sans suspicion ni inertie.
Le droit, bien qu’indispensable, ne suffira pas seul à éradiquer le harcèlement scolaire. Il doit s’inscrire dans une approche globale, éducative et humaine, portée par l’ensemble de la communauté scolaire et dans le respect des droits de la défense. L’enjeu n’est pas seulement de punir, mais surtout de prévenir, de protéger et de réparer.
Maître Louis Le Foyer de Costil intervient en droit du harcèlement scolaire. N’hésitez pas à prendre rendez-vous.
Notes de l’article:
[1] Circulaire du 2-2-2024 Lutter contre le harcèlement à l’école, une priorité absolue
[2] Défenseur des droits, avis 21-10 en date du 12 juillet 2021
[3] Article 222-33-2-2 – Code pénal
[4] LOI n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire
[5] Article 222-33-2-2 du code pénal
[6] Article L111-6 du code de l’éducation
[7] TA Melun, 7 mai 2021, n° 2104189
[8] La circulaire n° 2013-100 du 13-8-2013
[9] Article 222-33-2-3 du code pénal
[10] circulaire du 29 août 2024 relative au renforcement de la lutte contre le harcèlement scolaire est
[11] Décret n° 2023-782 du 16 août 2023 relatif au respect des principes de la République et à la protection des élèves dans les établissements scolaires relevant du ministre chargé de l’éducation nationale
[12] Article L111-6 du Code de l’éducation
[13] ibid
[14] article L. 111-6 du Code de l’éducation
[15] art. 5 de la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022
[16] circulaire du 2 février 2024 « Lutter contre le harcèlement à l’École, une priorité absolue »
[17] TA Melun, 7 juillet 2023, n° 2104900
[18] TA Nîmes, 26 juin 2023, n° 2101533
[19] TA Rouen, 12 mai 2011, n°0901466
[20] TA Rennes, 5 déc. 2024, n° 2406799
[21] TA Grenoble, septembre 2024
[22] TA Melun, 7 mai 2021, n° 2104189