Le contentieux des autorisations de transfert des pharmacies
Le transfert d’une officine de pharmacie constitue une opération complexe soumise à l’autorisation de l’Agence Régionale de Santé (ARS). Cette procédure administrative, encadrée par le Code de la santé publique, soulève régulièrement des contentieux qui illustrent la tension entre liberté d’entreprendre des pharmaciens et impératifs de santé publique. Cet article présente les règles essentielles de la procédure d’autorisation et les principaux moyens juridiques permettant de contester une décision de l’ARS refusant cette autorisation.
La procédure d’autorisation de transfert
Constitution et instruction du dossier de demande de transfert
La demande d’autorisation doit être présentée par le pharmacien, en son nom ou au nom de sa société, auprès du directeur général de l’ARS. Le dossier complet comprend l’identité et la qualification du demandeur, la localisation de l’officine actuelle et du projet, les justificatifs sur le local envisagé, ainsi que les éléments démontrant que le transfert permet une desserte optimale sans compromettre l’approvisionnement du quartier d’origine.
Une fois le dossier complet enregistré, l’ARS dispose d’un délai maximum de quatre mois pour instruire la demande. Durant cette phase, le dossier est transmis pour avis au conseil de l’ordre des pharmaciens et aux syndicats représentatifs. L’absence de réponse dans ce délai vaut rejet implicite de la demande.
Délivrance de l’autorisation de transfert et mise en œuvre
Si la demande est acceptée, l’autorisation prend effet trois mois après notification de l’arrêté. L’officine doit ensuite être effectivement ouverte au public dans un délai de deux ans, sauf circonstances de force majeure justifiant une prolongation.
La réforme de 2018 a introduit une innovation majeure : le pharmacien vendeur peut désormais effectuer la demande de licence qui sera ensuite transmise à l’acquéreur lors de la cession. Cette dissociation temporelle entre transfert et cession sécurise considérablement les transactions.
En cas de demandes concurrentes, le Code de la santé publique établit une hiérarchie claire : les demandes de regroupement prévalent sur les transferts, qui eux-mêmes sont prioritaires sur les créations. À situation égale, c’est le droit d’antériorité, déterminé par la date et l’heure d’enregistrement du dossier complet, qui l’emporte.
Les moyens de contestation : le recours gracieux et/ou le recours contentieux
La légalité externe concerne les aspects formels de la décision administrative. Trois vices principaux peuvent être invoqués.
Le vice de compétence survient lorsque l’arrêté n’est pas signé par le directeur général de l’ARS ou par une personne ayant reçu délégation régulière. La jurisprudence admet toutefois qu’un arrêté annulé pour ce motif puisse être réédicté par l’autorité compétente, comme l’a confirmé la Cour administrative d’appel de Lyon en 2019.
Le vice de procédure peut résulter de l’absence de consultation des instances obligatoires (Ordre des pharmaciens, syndicats), même si leurs avis ne lient pas l’administration. Le non-respect du principe du contradictoire dans le cadre d’un recours hiérarchique constitue également un vice de procédure sanctionnable.
Le vice de forme, tel que l’absence de mention des voies et délais de recours, est généralement considéré comme mineur s’il n’a causé aucun préjudice aux intéressés qui ont pu exercer leur recours.
La légalité interne porte, elle, sur le fond de la décision. Elle est appréciée au regard des conditions posées notamment par l’article L. 5125-3 du Code de la santé publique.
Le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation
Le juge administratif vérifie concrètement si le transfert permet une desserte optimale en médicaments et ne compromet pas l’approvisionnement du quartier d’origine. Ce contrôle s’est considérablement renforcé ces dernières années.
Sur la desserte optimale, la jurisprudence récente se montre particulièrement exigeante. Dans un arrêt remarqué de la Cour administrative d’appel de Nantes du 6 juin 2025 (n° 24NT01273), la Cour a confirmé l’annulation d’un arrêté de l’ARS Bretagne autorisant un transfert au motif que l’accessibilité piétonne et par transport en commun du nouvel emplacement n’était pas suffisante. La Cour a jugé que le transfert ne permettait pas une desserte optimale en médicaments, malgré la présence de parkings et la conformité du local aux normes PMR.
Cet arrêt constitue un enseignement majeur : l’ARS et le juge exigent une appréciation concrète et stricte des conditions d’accessibilité. Il ne suffit pas d’avoir un local moderne et un parking ; encore faut-il que les piétons, les personnes âgées et les patients sans voiture puissent y accéder en sécurité.
De même, le Tribunal administratif de Limoges, dans un jugement du 21 novembre 2022, a annulé un arrêté autorisant le transfert d’une pharmacie du centre-bourg vers un pôle commercial en considérant que le transfert ne satisfaisait pas de façon optimale les besoins en médicaments de la population du quartier d’accueil, dès lors qu’aucune évolution démographique notable ne justifiait la desserte d’une population nouvelle.
Sur le non-compromis du quartier d’origine, le juge vérifie que les habitants conservent un accès effectif à une officine. Toutefois, lorsque le transfert s’effectue au sein d’un même quartier, à proximité immédiate de l’emplacement d’origine, la jurisprudence se montre plus souple quant à l’application stricte de ce critère.
Toutefois, lorsque le transfert s’effectue au sein d’un même quartier, la jurisprudence traditionnelle considérait que cette circonstance était sans incidence sur la prise en compte des besoins de la population (CE, 10 février 2010, n° 324109). Une évolution jurisprudentielle a cependant été amorcée par la Cour administrative d’appel de Douai dans un arrêt du 16 mai 2013 (n° 12DA00567), indiquant que le transfert d’une officine au sein d’un même quartier, à proximité immédiate de l’emplacement d’origine, pouvait s’éloigner des critères stricts posés par l’article L. 5125-3 du CSP.
Les autres moyens au fond
L’erreur de droit intervient lorsque l’ARS applique une règle juridique inadéquate ou interprète mal les dispositions légales. L’erreur de fait porte sur des éléments matériels inexacts ayant fondé la décision, tels qu’une distance erronée entre officines ou des données démographiques fausses.
Le détournement de pouvoir, quoique rarement invoqué et encore plus rarement retenu, supposerait que l’ARS ait utilisé ses pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel ils lui ont été conférés.
L’incomplétude du dossier
Le Conseil d’État a précisé en 2018 que l’incomplétude du dossier n’entraîne l’illégalité de l’autorisation que si les omissions, inexactitudes ou insuffisances ont été de nature à fausser l’appréciation de l’administration. Cette approche pragmatique privilégie l’impact réel des irrégularités sur la décision plutôt qu’un contrôle purement formel.
Le Conseil d’État a précisé, dans un arrêt du 30 décembre 2015 (n° 375838), qu’une décision de retrait d’une autorisation de transfert d’officine, lorsqu’elle intervient sur recours gracieux ou hiérarchique formé par des exploitants de pharmacie d’officine concurrents du bénéficiaire de l’autorisation ou par un conseil régional de la section A de l’ordre des pharmaciens, fait naître des droits au profit de ces personnes. Il en résulte qu’elles ont qualité pour former tierce opposition contre un jugement annulant le retrait.
Précisons que le contrôle reste strict, le Tribunal administratif de Limoges a ainsi annulé, par un jugement du 21 octobre 2020 confirmé par la Cour administrative d’appel de Bordeaux, un arrêté autorisant un transfert au motif qu’en l’absence de circonstances nouvelles, l’autorisation accordée méconnaissait l’autorité de la chose jugée
Les effets du jugement d’annulation
Lorsque le juge annule l’autorisation de transfert, l’arrêté est réputé n’avoir jamais existé. En principe, le pharmacien doit cesser immédiatement son activité au nouvel emplacement et réintégrer les locaux d’origine.
Toutefois, le juge peut moduler dans le temps les effets de l’annulation, conformément au Code de justice administrative. Il peut ainsi maintenir temporairement la pharmacie transférée, par exemple pendant douze mois, afin d’éviter une rupture de l’approvisionnement de la population. Cette modulation permet de concilier le respect de la légalité avec l’impératif de continuité de l’accès aux médicaments.
Le cabinet Nausica Avocats accompagne les pharmaciens titulaires et les tiers intéressés dans leurs projets de transfert d’officine et dans les contentieux relatifs aux autorisations délivrées par les ARS. Notre expertise du droit pharmaceutique et du contentieux administratif nous permet d’analyser la solidité juridique de votre projet et de défendre efficacement vos intérêts devant les juridictions administratives.
Nausica Avocats
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