Le forfait d’externat des établissements privés sous contrat : quand l’urgence financière contraint la collectivité
L’ordonnance rendue par le tribunal administratif de Lille le 8 novembre 2023 offre une illustration remarquable de l’articulation entre les obligations financières des collectivités territoriales envers les établissements d’enseignement privés sous contrat et la protection de la continuité du service éducatif. Cette décision mérite l’attention tant par sa rigueur juridique que par ses implications pratiques pour les acteurs de l’enseignement privé associé au service public.
Le contexte du litige
L’association Averroès, qui gère un lycée privé sous contrat d’association avec l’État depuis 2008, se trouvait dans une situation financière critique à l’automne 2023. La région Hauts-de-France avait refusé de lui verser le forfait d’externat au titre de l’année scolaire 2022-2023, alors même qu’elle avait adopté en décembre 2022 une délibération allouant plus de 46 millions d’euros aux établissements privés sous contrat, dont le lycée Averroès était curieusement exclu.
Face à ce silence administratif valant rejet, l’association a saisi le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, demandant la suspension de cette décision implicite et le versement provisoire des sommes dues. Le caractère urgent de la demande s’imposait : selon l’analyse prévisionnelle de trésorerie produite par l’expert-comptable, l’établissement risquait une cessation de paiements à brève échéance.
L’examen méticuleux de la recevabilité
Avant d’aborder le fond, le juge des référés a dû écarter deux fins de non-recevoir opposées par la région. La première concernait la capacité du président de l’association à agir en justice. Le juge a constaté que les statuts révisés en mai 2023 prévoyaient cette faculté sous réserve d’un pouvoir du conseil d’administration, lequel avait effectivement été donné en juin 2023 pour exercer tous recours relatifs aux financements régionaux.
La seconde fin de non-recevoir présentait davantage d’intérêt juridique. La région soutenait que la délibération du 8 décembre 2022, excluant le lycée de la liste des bénéficiaires, constituait une décision dont la décision implicite ultérieure n’était que la confirmation. Le juge a écarté cet argument avec pertinence : la délibération n’ayant jamais été notifiée à l’association, elle n’avait pas fait courir le délai de recours contentieux. La décision implicite née du silence gardé en février 2023 ne pouvait donc être regardée comme confirmative.
La caractérisation convaincante de l’urgence
L’appréciation de l’urgence constitue le moment le plus délicat de l’ordonnance. Le juge rappelle avec justesse que l’urgence s’apprécie objectivement et suppose une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts du requérant. En l’espèce, les éléments produits par l’association étaient particulièrement probants.
L’analyse prévisionnelle de trésorerie établie par un expert-comptable faisait apparaître un besoin de financement de 370 000 euros au 31 août 2024, plaçant l’établissement dans l’incapacité de faire face à ses engagements. Les relevés bancaires confirmaient cette situation alarmante, avec un solde d’environ 170 000 euros seulement au 17 octobre 2023. Le juge a également écarté l’argument selon lequel la SCI Averroès, personne morale distincte disposant elle-même de ressources modestes, pourrait suppléer aux difficultés de l’association.
Point remarquable de l’ordonnance : le juge a rejeté l’argument de la région selon lequel l’association se serait elle-même placée dans cette situation d’urgence en tardant à saisir le juge des référés. La demande déposée en octobre 2023, quelques mois après la naissance de la décision implicite d’avril, ne révélait selon le juge aucun manque de diligence. Cette approche pragmatique témoigne d’une compréhension fine des contraintes de gestion d’un établissement scolaire, qui doit d’abord tenter de résoudre les difficultés par le dialogue avant de saisir le juge.
Le doute sérieux quant à la légalité : une compétence liée méconnue
Sur le fond, le raisonnement du juge s’appuie solidement sur les dispositions de l’article L. 442-9 du code de l’éducation. Ce texte institue un mécanisme précis de financement des établissements privés sous contrat : les régions doivent verser deux contributions forfaitaires, l’une relative aux dépenses de personnel non enseignant, l’autre aux dépenses de fonctionnement matériel. Ces contributions sont calculées selon les mêmes critères que pour les établissements publics correspondants.
Le juge constate qu’aucune somme n’a été versée au titre de l’année scolaire 2022-2023. La région ne pouvait utilement invoquer l’inachèvement de l’année scolaire à la date de la décision litigieuse, alors même que sa propre délibération prévoyait un versement de 70% du forfait dès le début 2023 et du solde à mi-parcours. Cette contradiction interne affaiblissait considérablement la position de la collectivité.
Le moyen tiré de l’obligation légale pesant sur la région de verser le forfait d’externat apparaissait donc propre à créer un doute sérieux sur la légalité du refus. Sans préjuger du fond, le juge des référés identifiait une contradiction manifeste entre les textes applicables et le comportement de l’administration.
L’injonction provisoire : une mesure équilibrée
L’injonction prononcée mérite également l’attention. Le juge ordonne à la région de verser, à titre provisoire, le forfait d’externat dans un délai de huit jours, sous astreinte de 500 euros par jour de retard. Cette mesure s’inscrit parfaitement dans les limites de la compétence du juge des référés : elle présente un caractère provisoire, puisque les sommes versées ne sont pas définitivement acquises et pourraient être récupérées si le juge du fond venait à confirmer le bien-fondé du refus de la région.
Le juge écarte l’argument selon lequel le risque d’irrécouvrabilité en cas de victoire finale de la région empêcherait de prononcer l’injonction. Cette position témoigne d’un arbitrage clair : face à l’urgence d’assurer la continuité d’un établissement scolaire accueillant des élèves, le risque financier pour la collectivité publique, qui dispose de moyens autrement plus importants, ne peut prévaloir.
Les enseignements de cette décision
Cette ordonnance rappelle avec fermeté que les collectivités territoriales sont tenues par une compétence liée s’agissant du financement des établissements privés sous contrat. Le forfait d’externat n’est pas une libéralité mais une obligation légale découlant du contrat d’association. Toute interruption dans son versement expose la collectivité à des recours d’urgence susceptibles d’aboutir rapidement, sous astreinte.
Pour les établissements privés sous contrat confrontés à des difficultés similaires, cette décision constitue une référence utile. Elle montre que le juge des référés peut intervenir efficacement pour assurer la continuité du service éducatif, dès lors que l’urgence financière est démontrée par des éléments comptables précis et que le doute sérieux sur la légalité du refus administratif est établi.
Cette jurisprudence s’inscrit plus largement dans la protection du droit à l’éducation et de la liberté de l’enseignement, principes constitutionnels dont les établissements privés sous contrat sont les instruments. En garantissant leur financement conformément aux engagements de l’État et des collectivités territoriales, le juge administratif assure la pérennité d’un système éducatif pluraliste, au bénéfice des familles et des élèves.
TA Lille, 8 nov. 2023, n° 2308593
Nausica Avocats
12 Rue des Eaux, 75016 Paris
09 78 80 62 27
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