
Le TA de Poitiers statue sur la situation propre
Le Tribunal Administratif de Poitiers a rendu une série importante de jugement hier, communiqués ce matin.
Ces jugements sont intéressants car la période des RAPO commencent à s’ouvrir et les dernières actualités jurisprudentielles sont essentielles dans ce cadre.
Précisons d’entrée que les jugements ne sont pas encore publiés ; nous ne commentons donc ici que les jugements obtenus par le cabinet.
Sur l’aspect procédural, le Tribunal a considéré dans de nombreux dossiers que :
« En l’espèce, et alors que la réunion de la commission académique constitue une garantie pour les personnes s’étant vu refuser l’autorisation d’instruire leur enfant en famille, l’absence d’éléments permettant de s’assurer de la régularité de la composition de la commission ne permet pas de vérifier si une éventuelle irrégularité sur ce point aurait pu avoir une incidence sur le sens de la décision attaquée. Par suite, Mme Joffre est fondée à soutenir que la décision de rejet opposée à son recours est entachée d’une illégalité » (ex : n° 2402165).
Ainsi, il rappelle que la composition conforme de la Commission, et la preuve de cette composition, sont des garanties légales de nature à entacher la décision de RAPO si elles ne sont pas respectées.
Il ne retient pas l’attractivité du vice d’incompétence (entachant la compétence de l’auteur de l’acte) pour incorporer le vice procédural en son sein. Concrètement, cela eût permis de soulever, en tout état de l’instance, ce moyen sans être borné par la jurisprudence Intercopie.
Sur le fond, concernant l’appréciation du motif 4 de l’article L. 131-5 du code de l’éducation, le Tribunal a eu l’occasion de mettre en exergue plusieurs situations présentée comme revêtant bien le caractère de « propre ».
Dans une première affaire, le Tribunal a retenu deux éléments pour considérer qu’il y avait bien une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif.
Il a mis en exergue une situation médicale, lourdement appuyée puisqu’entrainant une incompatibilité avec un milieu scolaire, et une incohérence puisqu’une autorisation avait été donnée, sanctionnée positivement dans son exercice lors du contrôle, l’année précédente :
« Pour justifier l’existence d’une situation propre à l’enfant, M. et Mme X. invoquent notamment l’hypersensibilité sensorielle de leur fille, son besoin de rituels marqué et ses difficultés d’adaptation au changement. Pour l’établir, ils produisent un certificat établi le 17 mai 2024 par une psychologue clinicienne et psychothérapeute qui assure le suivi de Lia depuis le mois de janvier 2023, qui conclut que, compte tenu des caractéristiques précitées, sa situation est « pour le moment, incompatible avec un milieu scolaire classique ». Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que les requérants ont bénéficié d’une autorisation pour instruire Y. en famille pour l’année scolaire 2023-2024, qui a donné lieu à un avis favorable à la suite du contrôle effectué par les services de l’académie de Poitiers le 16 février 2024. Dans ces conditions, et alors que la qualité du projet pédagogique proposé n’est pas contestée, la commission de l’académie de Poitier a fait une inexacte application des dispositions de l’article L. 131-5 du code de l’éducation en refusant la demande d’autorisation en litige au motif que l’existence d’une situation propre à l’enfant n’était pas établie. » (n° 2401770).
Sur le second point, retenons une approche étonnante du Tribunal qui retient dans l’un des dossiers que :
« Par ailleurs, si les requérants se prévalent de ce qu’X. a bénéficié de l’instruction en famille pour l’année scolaire 2023-2024 avec des résultats très satisfaisants, ce qui ressort effectivement du contrôle effectué par les services de l’académie de Poitiers le 29 mars 2024, cette circonstance ne confère pas, à elle seule, un droit à poursuivre l’instruction en famille, et il n’apparaît pas qu’au terme de cette première année scolaire passée à la maison, les particularités de la situation et du développement de la jeune X justifiait une nouvelle dérogation au principe de l’instruction dans un établissement d’enseignement. Par suite, c’est sans faire une inexacte application des dispositions précitées que la commission académique a rejeté la demande de M. et Mme Y. » (n° 2401621).
En somme, sur ce point, le TA confirme que l’historique en instruction en famille est un des critères mais ne revêt aucun caractère automatique pour obtenir l’autorisation. Plus étonnant, il fait grief à la situation propre de n’avoir pas évoluée pour pouvoir être retenue, alors même que celle-ci était retenu l’an passé.
Dans une autre affaire, il a retenu :
« Pour justifier de l’existence d’une situation propre à l’enfant, les requérants invoquent notamment la sensibilité émotionnelle et sensorielle de leur fils et ses difficultés de concentration. Pour établir cette situation, ils produisent le compte rendu d’un bilan neuropsychologique de A. établi le 31 janvier 2025 par une psychologue spécialisée en neuropsychologie qui, bien que postérieur à la décision attaquée, confirme des particularités nécessairement préexistantes, notamment son haut potentiel intellectuel ainsi que des difficultés d’interactions sociales et des comportements répétitifs, qui pourraient être associées au trouble du spectre autistique. Ils font par ailleurs valoir l’environnement bilingue de l’enfant, son père étant danois. Enfin, il ressort des pièces du dossier que les requérants, qui ont bénéficié d’une autorisation pour instruire Maxime en famille depuis la première année de maternelle, ont reçu des avis favorables à la suite des différents contrôles effectués par les services de l’académie de Poitiers. Dans ces conditions, et alors que la qualité du projet pédagogique n’est pas remise en cause, la commission de l’académie de Poitiers a fait une inexacte application des dispositions de l’article L. 131-5 du code de l’éducation en refusant la demande d’autorisation en litige. » (n° 2402041).
Là encore, l’antériorité en IEF est prise en compte et affermit la situation propre mais c’est les éléments médicaux qui en constituent le socle ; l’apport de ce dossier est tout de même de rappeler que si le juge se place à la date du rejet du RAPO pour apprécier les éléments, il peut prendre en compte les éléments postérieurs établissant une situation existante à la date du rejet du RAPO.
En définitive, dans chaque erreur d’appréciation retenue, le Tribunal n’a retenu l’historique en IEF qu’accessoirement et a mis systématiquement en exergue des éléments médicaux. Cela traduit donc une conception restrictive de la notion de « situation propre », notion qui n’est toujours définie bien que le tribunal exige qu’elle soit étayée par des éléments probants.
En effet, sur le plan du principe, le tribunal a retenu que :
« En ce qui concerne plus particulièrement les dispositions de l’article L. 131-5 du code de l’éducation prévoyant la délivrance par l’administration, à titre dérogatoire, d’une autorisation pour dispenser l’instruction dans la famille en raison de « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif », ces dispositions, telles qu’elles ont été interprétées par la décision n° 2021-823 DC du Conseil constitutionnel du 13 août 2021, impliquent que l’autorité administrative, saisie d’une telle demande, contrôle que cette demande expose de manière étayée la situation propre à cet enfant motivant, dans son intérêt, le projet d’instruction dans la famille et qu’il est justifié, d’une part, que le projet éducatif comporte les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de cet enfant, d’autre part, de la capacité des personnes chargées de l’instruction de l’enfant à lui permettre d’acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini à l’article L. 122-1-1 du code de l’éducation au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d’enseignement de la scolarité obligatoire.
Pour apprécier la situation propre à l’enfant, l’autorité administrative peut prendre en compte, outre les particularités de l’enfant lui-même ou de sa situation familiale, lesquelles doivent être étayées par des pièces suffisamment probantes, d’autres éléments tels que la situation scolaire de l’enfant au cours des années précédentes, le cas échéant, les appréciations portées au cours des années précédentes par les autorités chargées du contrôle de l’instruction en famille sur la pertinence de cette instruction au regard des particularités de l’enfant et la situation de la fratrie. L’administration apprécie également la qualité de projet pédagogique et les capacités des parents à assurer l’instruction de leur enfant. ».
C’est naturellement le point 5 qui constitue l’apport du Tribunal qui nuance tout de même la nécessité sus évoquée de disposer d’éléments médicaux en prenant en compte des éléments propres à l’enfant mais non liés à son état de santé.
Sur le plan jurisprudentiel, cette série victorieuse de jugements est donc à nuancer, d’une part en ce que beaucoup de familles ont gagné sur des vices de procédure et, d’autre part, en ce que le Tribunal reste dans une position restrictive pour les familles, puisqu’il considère qu’elles doivent bien démontrer une situation propre, contrôlable par le Rectorat, et l’étayer d’éléments probants.
Le combat des familles pour garantir leur droit à choisir la voie d’instruction la plus conforme à l’intérêt de leur enfant est donc loin d’être fini. La prochaine étape de celui-ci passera par Rouen le mois prochain.
Si vous rencontrez une difficulté en droit de l’instruction en famille ou souhaitez convenir d’un rendez-vous avec nos avocats en IEF, n’hésitez pas à nous contacter. Si vous avez vu un refus d’autorisation opposé à votre demande, n’hésitez pas à nous solliciter.