L’intensité suffisante comme condition de la situation propre
Dans une décision rendue le 27 novembre 2025, le tribunal administratif d’Orléans apporte une précision remarquable quant à l’interprétation du 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation, relatif à « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ».
Cette décision mérite une attention particulière en ce qu’elle introduit, ou du moins explicite, un critère quantitatif dans l’appréciation de la situation propre : celui de l’intensité suffisante du besoin. Cette exigence, inédite, ressemble à un Pharmakon judiciaire pour les familles désireuses d’instruire en famille leurs enfants.
A l’appui de leurs recours, les requérants invoquaient notamment plusieurs éléments : l’immaturité de l’enfant liée à sa naissance tardive dans l’année, l’absence de propreté acquise, la nécessité de siestes matinales et après-midi, ainsi que la timidité et le besoin de sécurité affective de la jeune enfant.
Après un refus du DSDEN de l’Indre confirmé par la commission académique compétente, les requérants ont saisi le tribunal administratif d’Orléans. Outre le fond du dossier, un élément procédural ajoutait à la complexité de l’affaire : une confusion sur l’identité de la personne effectivement chargée de l’instruction (Mme Houillet selon l’administration, M. Petiau selon la demande initiale).
L’approche du cadre juridique applicable selon la décision
Le tribunal pose le cadre d’analyse qu’il estime devoir retenir concernant les fameuses dispositions du 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation. Il retient, dans la lignée de la ligne dure de la jurisprudence sur l’instruction en famille, que la famille doit non seulement étayer mais surtout démontrer une situation propre à leurs enfants. Pour constituer une telle situation, il ne faut pas seulement démontrer une situation particulière – puisque c’est bien cette idée qui traverse cette approche – de l’enfant mais également qu’elle revêterait une intensité suffisante.
Le juge doit ensuite procéder à un exercice de mise en balance : rechercher les avantages et inconvénients de l’instruction en établissement et en famille, pour retenir la forme la plus conforme à l’intérêt de l’enfant.
L’apport majeur : le critère de l’intensité suffisante
C’est au considérant 6 que le tribunal formule l’exigence nouvelle qui retient notre attention :
« Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que de tels besoins, qui sont d’ailleurs fréquemment rencontrés chez les enfants de l’âge de la jeune Marguerite, présenteraient une intensité suffisante pour caractériser l’existence d’une situation propre à l’enfant. »
Une exigence qui n’allait pas de soi
Si la loi de 2021 a considérablement durci les conditions d’accès à l’instruction en famille en transformant un régime déclaratif en régime d’autorisation, elle n’a pas défini avec précision la notion de « situation propre à l’enfant ». Le Conseil constitutionnel, dans sa décision de 2021 s’est contenté d’exiger que cette situation soit « exposée de manière étayée », sans préciser de seuil d’intensité. Le rapporteur du Conseil d’Etat retenait quant à lui l’absence de preuves à fournir mais la nécessité d’étayer la situation propre à l’enfant pour permettre un contrôle de l’adéquation du projet éducatif à la situation propre (le Conseil d’Etat n’ayant pas explicité sa position sur ce point).
Cela permettait de considérer que l’exigence était donc de mettre l’administration en mesure de considérer l’intérêt de l’enfant entre le projet éducatif proposé et le projet scolaire propose. S’agissant, comme le relevait le rapporteur public précité, très souvent de très jeunes enfants, que l’administration ne connait pas et dont l’âge rend de nombreux diagnostics impossibles à réaliser, l’exigence de preuves n’avait pas de sens. C’est bien le discours des parents qui importait.
Le législateur a d’ailleurs volontairement écarté les cas les plus particuliers et démontrables sur pièces (état de santé, handicap, pratique sportive ou artistique intensive, itinérance) en leur consacrant les trois premiers motifs de l’article L. 131-5. Le quatrième motif, résiduel par nature, devait donc accueillir des situations moins typées, plus subtiles et motivé par un intérêt pédagogique.
Cependant, une frange importante de la jurisprudence en matière d’instruction en famille a préféré retenir le motif 4 comme un motif 1 allégé sur le plan médical mais rendu plus exigeant sur le plan pédagogique (le motif 1 ne supposant pas de projet éducatif) en exigeant des éléments médicaux. S’il existe des décisions plus favorables à l’instruction en famille, de nombreuses décisions ont retenu cette approche, manifestement contraire aux lettres du texte et à l’esprit des travaux parlementaires.
Une exigence qui pose un critère : une première malgré tout !
En introduisant ce critère d’intensité suffisante, le tribunal administratif d’Orléans opère une distinction fondamentale : tous les besoins particuliers d’un enfant ne constituent pas nécessairement une « situation propre » au sens de la loi. Mais, à l’inverse, un besoin dit commun porté à une intensité suffisante deviendrait un élément de nature à constituer une situation propre à l’enfant.
Ainsi, le critère ne serait non plus sur le particularisme allégué de l’enfant mais sur la force avec laquelle s’exprime les éléments qui fondent sa situation propre. Si une telle approche n’apparaît pas plus protectrice des familles souhaitant pratiquer l’instruction en famille, il reste qu’elle permet de poser un critère – ce qui n’avait jamais été fait jusqu’ici – plus ouvert sur la notion que la jurisprudence évoquée supra.
La juridiction relève en l’epsèce que les caractéristiques invoquées (immaturité liée à une naissance tardive, absence de propreté, besoin de siestes, timidité) sont « fréquemment rencontrées chez les enfants de l’âge de la jeune X ». En d’autres termes, ce qui est commun, ordinaire, même s’il s’agit de besoins réels, ne saurait constituer une situation propre justifiant une dérogation au principe de scolarisation sauf à recouvrir une intensité suffisante.
Ce critère d’intensité suffisante impose aux familles et à leurs conseils de structurer différemment leurs demandes d’autorisation. Il ne suffit plus d’énumérer des particularités ou des besoins ; il faut désormais :
- Caractériser le degré d’intensité de chaque besoin invoqué ;
- Contextualiser cette intensité par rapport aux enfants du même âge ;
- Documenter cette intensité par des éléments objectifs (attestations de professionnels, bilans, comptes rendus, etc.) ;
- Démontrer en quoi cette intensité rend inadaptée ou contre-productive la scolarisation en établissement.
Une opportunité pour recentrer les demandes
Paradoxalement, cette exigence d’intensité pourrait constituer une opportunité pour les praticiens avisés. En obligeant à concentrer l’argumentation sur les besoins les plus marquants et les mieux documentés, elle permet d’éviter la dispersion et de construire des dossiers plus solides, plus ciblés.
Les demandes fondées sur des situations personnalisées et pensées en amont – sans pour autant relever des trois premiers motifs de l’article L. 131-5 – devraient en sortir renforcées, dès lors qu’elles seront en mesure de démontrer cette intensité.
La décision du tribunal administratif d’Orléans du 27 novembre 2025 apporte une pierre importante à l’édifice jurisprudentiel en construction autour du régime légal de l’instruction en famille. En exigeant que les besoins invoqués présentent une « intensité suffisante », elle introduit un critère de sélection qui, s’il peut paraître restrictif, ce qu’il est, l’est moins qu’une ceraine approche déjà en vigueur au sein des juridictions.
Pour les avocats en droit de l’instruction en famille, cette décision constitue un signal : les dossiers d’instruction en famille doivent être construits avec encore plus de rigueur, en documentant non seulement l’existence de besoins particuliers, mais aussi leur intensité et leur caractère suffisamment atypique pour justifier une dérogation au principe de scolarisation.
Reste à savoir si cette exigence d’intensité suffisante sera confirmée et précisée par la jurisprudence à venir. Dans l’attente, elle invite les conseils à repenser leur stratégie contentieuse et les familles à mesurer avec réalisme les chances de succès de leur demande.
TA Orléans , 27 novembre 2025, n° 2303454
Nausica Avocats
12 Rue des Eaux, 75016 Paris
09 78 80 62 27
Nos derniers articles similaires
-
L’intensité suffisante comme condition de la situation propre
Dans une décision rendue le 27 novembre 2025, le tribunal administratif d’Orléans apporte une précision remarquable quant à l’interprétation du 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation, relatif à « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ». Cette décision......
10 décembre, 2025 -
Victoire à Nice sur le fond d’une situation propre motivant un projet pédagogique
Enfin une jurisprudence favorable qui ne repose pas sur un dossier médicalisé, ce qui devient rare ces derniers temps en matière de situation propre. Cependant, si le dossier n’a pas été médicalisé, un élément médical (bilan neuropsy) a été retenu pour appuyer la précocité de......
15 novembre, 2025 -
Point sur la jurisprudence récente sur l’autorisation d’instruction en famille
Les décisions rendues en octobre 2025 par les juridictions administratives illustrent la diversité des situations donnant lieu à un contentieux de l’instruction en famille depuis la réforme introduite par la loi du 24 août 2021. Ces affaires révèlent les tensions autour de l’approche à avoir......
14 novembre, 2025