Réhabilitation pénale et interdictions professionnelles : quand l’effacement des condamnations s’impose à l’administration
Le jugement rendu par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 27 mars 2025 aborde une question juridique aussi délicate que fondamentale : l’articulation entre la réhabilitation pénale et les interdictions professionnelles dans le domaine sportif. En annulant l’interdiction d’exercer prononcée par le préfet du Val-d’Oise à l’encontre d’un éducateur sportif, cette décision rappelle avec force que la réhabilitation de plein droit efface toutes les incapacités résultant d’une condamnation, y compris dans des secteurs sensibles comme l’encadrement de mineurs.
Un éducateur sportif frappé d’interdiction
M. B., titulaire d’un diplôme d’État d’éducateur sportif option boxe française savate, exerçait son activité au sein de l’association « Savate boxe française d’Ecouen ». Par décision du 5 décembre 2023, le préfet du Val-d’Oise lui a notifié une interdiction particulièrement extensive : cessation de toute fonction d’enseignement, d’animation, d’encadrement ou d’entraînement dans le domaine sportif, interdiction d’intervenir auprès de mineurs, cessation des fonctions d’arbitre ou de juge, et mise en demeure de cesser d’exploiter tout établissement sportif.
Cette mesure radicale se fondait sur une condamnation prononcée par le tribunal correctionnel de Pontoise le 2 octobre 2012 pour des faits d’agression sexuelle. Le préfet s’appuyait sur l’article L. 212-9 du code du sport qui énumère une longue liste d’infractions pénales incompatibles avec l’exercice de fonctions dans le secteur sportif, particulièrement lorsqu’elles impliquent un contact avec des mineurs.
Le cadre juridique des interdictions professionnelles sportives
Le code du sport établit un régime strict de moralité pour les professionnels du secteur. L’article L. 212-9 interdit l’exercice de fonctions d’enseignement, d’animation ou d’encadrement sportif, à titre rémunéré ou bénévole, aux personnes ayant fait l’objet d’une condamnation pour crime ou pour certains délits limitativement énumérés. Cette liste comprend notamment les atteintes aux personnes, les agressions sexuelles, le trafic de stupéfiants et diverses infractions spécifiques au domaine sportif.
Cette rigueur se justifie par la vulnérabilité particulière des publics encadrés, notamment les mineurs, et par la position de confiance qu’occupent les éducateurs sportifs. Le législateur a considéré que certaines condamnations révèlent une dangerosité incompatible avec l’exercice de responsabilités éducatives.
Toutefois, ce dispositif doit s’articuler avec les mécanismes de réhabilitation prévus par le code pénal, qui visent précisément à permettre la réinsertion des personnes condamnées après l’écoulement d’un certain délai sans récidive.
La portée de la réhabilitation de plein droit
Le tribunal s’est appuyé sur les articles 133-13 et 133-16 du code pénal pour censurer la décision préfectorale. L’article 133-13 organise la réhabilitation de plein droit, qui intervient automatiquement après l’écoulement de délais variables selon la gravité de la condamnation. Pour une condamnation unique à un emprisonnement n’excédant pas un an, ce délai est de cinq ans à compter de l’exécution de la peine ou de la prescription, délai doublé en cas de récidive légale.
L’article 133-16 définit les effets de cette réhabilitation en des termes sans équivoque : elle efface toutes les incapacités et déchéances résultant de la condamnation. Cette formulation impérative ne souffre aucune exception, sauf disposition législative expresse contraire.
En l’espèce, le tribunal a constaté que M. B. avait bénéficié d’une réhabilitation de plein droit à compter du 2 février 2018, soit plus de cinq ans après sa condamnation d’octobre 2012. Dès lors, l’incapacité d’exercer des fonctions sportives résultant de cette condamnation avait été effacée par l’effet automatique de la réhabilitation.
L’insuffisance du fichier judiciaire
Point remarquable du jugement : le tribunal a écarté l’argument du préfet selon lequel la condamnation demeurait mentionnée au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS). Cette position mérite l’attention car elle tranche un débat récurrent sur l’articulation entre réhabilitation et fichiers de police judiciaire.
Le juge rappelle que le code du sport, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée, ne prévoyait pas d’exception à l’article 133-16 du code pénal. L’absence de disposition législative expresse dérogeant aux effets de la réhabilitation interdisait au préfet de fonder son interdiction sur une condamnation effacée, même si celle-ci demeurait techniquement enregistrée dans un fichier administratif.
Cette solution respecte la hiérarchie des normes : seul le législateur peut décider de limiter les effets de la réhabilitation dans certains domaines sensibles. À défaut d’une telle disposition expresse, l’administration ne peut contourner l’effet extinctif de la réhabilitation en invoquant la persistance d’informations dans ses fichiers.
Les implications pratiques
Cette décision soulève des questions importantes sur l’équilibre entre réinsertion et protection des publics vulnérables. D’un côté, le mécanisme de réhabilitation vise à éviter que les personnes condamnées ne soient définitivement exclues de la vie professionnelle et sociale. De l’autre, la protection des mineurs justifie une vigilance particulière dans les secteurs sensibles comme l’éducation ou le sport.
Le jugement ne remet pas en cause le principe des interdictions professionnelles fondées sur des condamnations pénales, mais rappelle que ces interdictions ne peuvent survivre à la réhabilitation sauf texte contraire. Si le législateur souhaite maintenir certaines incapacités malgré la réhabilitation dans des domaines particulièrement sensibles, il doit le prévoir expressément.
Pour les professionnels concernés, cette jurisprudence confirme que la réhabilitation produit pleinement ses effets dans le domaine sportif. Les préfets ne peuvent refuser ou retirer une autorisation d’exercer en se fondant sur une condamnation effacée par la réhabilitation, même si elle figure encore dans les fichiers administratifs.
Cette décision illustre également l’importance pour les personnes réhabilitées de faire valoir leurs droits face à des décisions administratives qui méconnaîtraient les effets de la réhabilitation. Le recours contentieux demeure le moyen de contraindre l’administration à tirer toutes les conséquences juridiques de l’effacement des condamnations, garantissant ainsi l’effectivité du droit à la réinsertion.
TA Cergy-Pontoise, 4e ch., 27 mars 2025, n° 2402508
Nausica Avocats
12 Rue des Eaux, 75016 Paris
09 78 80 62 27
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