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Sanction déguisée : quand un changement d’affectation d’un fonctionnaire cache une mesure disciplinaire

Le Tribunal administratif de Paris vient de rendre une décision particulièrement instructive sur la qualification de sanction disciplinaire déguisée en matière de fonction publique. Cette affaire illustre les limites que l’administration ne peut franchir lorsqu’elle procède à un changement d’affectation d’un agent.

Les faits

Un technicien de recherche et de formation affecté à l’institut de biologie de Sorbonne Université est impliqué dans une altercation avec une collègue en mai 2018. Après avoir déposé plainte et obtenu une première condamnation de sa collègue (ultérieurement relaxée en appel), l’agent se voit successivement :

  • Retirer sa protection fonctionnelle
  • Suspendre temporairement de ses fonctions
  • Interdire l’accès aux locaux jusqu’au 30 juin 2021
  • Réaffecter au centre de préparation aux concours CAPES

C’est cette dernière mesure qui fait l’objet du contentieux.

La question de la recevabilité

L’université oppose d’abord une fin de non-recevoir, arguant que le changement d’affectation constitue une simple mesure d’ordre intérieur insusceptible de recours.

Le tribunal rappelle opportunément le principe : une mesure d’ordre intérieur est une mesure qui, tout en modifiant l’affectation ou les tâches d’un agent, ne porte pas atteinte aux droits et prérogatives qu’il tient de son statut, à l’exercice de ses droits et libertés fondamentaux, et n’emporte ni perte de responsabilités ni de rémunération.

En l’espèce, le tribunal constate que la nouvelle affectation en qualité de « Préparateur au centre de préparation aux concours CAPES » a occasionné une perte de responsabilité compte tenu des fonctions antérieures de « Technicien de recherche et de formations ». La requête est donc recevable.

La qualification de la sanction déguisée

Le juge administratif pose ensuite un critère cumulatif précis : un changement d’affectation revêt le caractère d’une mesure disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l’agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l’intention poursuivie par l’administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent.

Les indices révélateurs

Le tribunal relève plusieurs éléments démontrant l’intention « sanctionnatrice » de l’administration :

  1. L’absence d’anticipation : l’agent, privé d’accès à ses locaux et sans nouvelles de son administration, n’est informé de sa nouvelle affectation que deux jours avant sa reprise de fonctions
  2. Le manque d’organisation : le nouveau responsable hiérarchique informe l’agent qu’il doit prendre près de 2 mois de congés immédiatement, révélant que sa nouvelle affectation n’a été ni réellement anticipée, ni sérieusement organisée
  3. Le contexte disciplinaire : la décision est intervenue à raison des faits qui étaient reprochés au requérant dans l’exercice de ses fonctions, faits au demeurant non établis et de son comportement décrit comme fautif à l’égard de plusieurs de ses collègues

La solution : l’annulation

Le tribunal conclut que même si la mesure aurait également été prise dans l’intérêt du service, elle n’en a pas moins revêtu à l’égard de l’agent un caractère disciplinaire.

Or, une sanction disciplinaire suppose le respect d’une procédure protectrice : communication du dossier, consultation de l’instance paritaire compétente, respect des droits de la défense. En l’absence de ces garanties, la décision est annulée.

Les enseignements pratiques

Pour les administrations

Cette décision rappelle qu’un changement d’affectation, même justifié par l’intérêt du service, sera requalifié en sanction déguisée si :

  • Il dégrade objectivement la situation de l’agent
  • Il intervient dans un contexte de reproche à son comportement
  • Il est mis en œuvre de manière précipitée et désorganisée

Conseil : même en situation de conflit entre agents, il convient de préparer sérieusement toute réaffectation et, si celle-ci présente un caractère sanctionnateur, d’assumer pleinement la procédure disciplinaire.

Pour les agents publics

Cette jurisprudence offre un recours efficace contre les changements d’affectation punitifs. Les éléments à documenter sont :

  • La perte de responsabilités (comparer les fiches de poste)
  • Les circonstances de la décision (délais, absence d’information)
  • Le contexte conflictuel et les reproches formulés
  • L’absence d’organisation réelle du nouveau poste

Le tribunal a d’ailleurs condamné l’université à verser 1 500 euros au titre des frais de justice, démontrant que le recours n’était pas infondé.

Conclusion

Ce jugement illustre la vigilance du juge administratif face aux tentatives de contourner les garanties disciplinaires. Il rappelle un principe fondamental : l’administration ne peut déguiser une sanction en simple mesure de gestion. Le respect des droits de la défense n’est pas une formalité facultative, mais une garantie substantielle dont la violation entraîne l’annulation de la mesure, quelle que soit son apparence.

TA Paris, 5e sect. – 2e ch., 25 avr. 2024, n° 2211824.