Désaffectation de locaux scolaires : l’avis préalable du préfet, une formalité substantielle
L’ordonnance rendue par le tribunal administratif de Rouen le 4 novembre 2025 offre un rappel salutaire d’une exigence procédurale souvent négligée par les communes : l’obligation de consulter le représentant de l’État avant toute décision relative aux écoles maternelles et élémentaires. Cette décision, rendue dans le cadre du référé déféré préfectoral, illustre la vigilance de l’autorité déconcentrée face aux atteintes potentielles au service public de l’enseignement.
Une désaffectation contestée en urgence
Le conseil municipal de Ménilles avait décidé, le 26 septembre 2025, de déclasser du domaine public vers le domaine privé plusieurs locaux situés dans l’enceinte de son école : le bureau attenant à la classe 1, la classe 1 elle-même, la salle violette et le bureau attenant. Cette désaffectation était temporaire, jusqu’en décembre 2025, et semblait motivée par la volonté d’optimiser l’utilisation des locaux et de dégager des ressources financières nécessaires à l’entretien des bâtiments communaux.
Le préfet de l’Eure a immédiatement réagi en saisissant le juge des référés sur le fondement de l’article L. 554-1 du code de justice administrative, qui organise le référé suspension spécifique aux déférés préfectoraux. Ce mécanisme, particulièrement protecteur du contrôle de légalité, permet au préfet d’obtenir la suspension d’un acte communal dès lors qu’un moyen invoqué paraît propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité, et ce dans un délai d’un mois.
Le rappel d’une obligation méconnue
Le préfet fondait son recours sur deux moyens : d’une part, l’absence de consultation préalable en méconnaissance de l’article L. 2121-30 du code général des collectivités territoriales ; d’autre part, le caractère injustifié de la désaffectation au regard des nécessités du service public de l’enseignement.
Le juge des référés s’est concentré sur le premier moyen, relatif au vice de procédure. L’article L. 2121-30 du code général des collectivités territoriales dispose que le conseil municipal décide de la création et de l’implantation des écoles et classes élémentaires et maternelles d’enseignement public après avis du représentant de l’État dans le département. Le juge en déduit logiquement que cette exigence s’applique également aux décisions de désaffectation de locaux affectés au service public scolaire.
Cette interprétation n’est pas surprenante. La jurisprudence administrative considère traditionnellement que les garanties procédurales entourant la création d’équipements publics s’étendent symétriquement à leur suppression ou à leur modification substantielle. L’avis préfectoral constitue une garantie pour la continuité du service public de l’enseignement, permettant à l’autorité étatique de vérifier que la décision communale ne compromet pas les besoins scolaires du territoire.
Une formalité substantielle
L’ordonnance confirme que l’avis du préfet n’est pas une simple formalité administrative mais une condition de légalité de la délibération. En l’absence de consultation préalable, le moyen invoqué était effectivement de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la délibération, justifiant sa suspension immédiate.
La commune tentait de faire valoir plusieurs arguments en défense. Elle soutenait d’abord que sa méconnaissance de l’obligation légale devrait être excusée, arguant que le conseil municipal n’avait pas connaissance de l’article L. 2121-30 et que le préfet n’avait pas déféré une précédente délibération prise dans les mêmes conditions. Cet argument ne pouvait prospérer : l’ignorance de la loi n’excuse pas sa violation, et l’absence de déféré antérieur ne saurait créer un droit acquis à méconnaître la réglementation.
La commune faisait également valoir qu’elle cherchait simplement à utiliser les locaux de manière optimale sans nuire au bon fonctionnement de l’école, et qu’une annulation entraverait l’entrée de fonds nécessaires à l’entretien des bâtiments. Le juge a écarté ces considérations d’un revers de main, précisant expressément que les conséquences financières alléguées ne pouvaient faire obstacle à la suspension. Cette position rappelle que la légalité formelle prime sur les considérations d’opportunité financière, aussi légitimes soient-elles.
Les enseignements pratiques
Cette ordonnance délivre plusieurs enseignements aux collectivités territoriales. Premièrement, toute décision affectant des locaux scolaires, qu’il s’agisse de création, d’implantation, de suppression ou de désaffectation, doit impérativement être précédée d’une consultation du préfet. Cette obligation s’applique même pour des désaffectations temporaires, comme en témoigne le présent cas où la mesure ne devait durer que trois mois.
Deuxièmement, les communes ne peuvent invoquer leur méconnaissance de la loi ou l’absence de réaction antérieure du préfet pour justifier le non-respect des formalités légales. Le contrôle de légalité s’exerce de manière discrétionnaire, et l’autorité préfectorale peut décider de déférer un acte même si elle n’a pas contesté des actes similaires précédemment.
Troisièmement, les considérations budgétaires ne sauraient justifier le contournement des règles protectrices du service public de l’enseignement. Si une commune souhaite valoriser des locaux scolaires devenus partiellement inutiles, elle doit respecter la procédure légale, qui garantit que cette décision ne nuira pas aux besoins éducatifs.
Cette décision s’inscrit dans un contexte plus large de vigilance sur les équipements scolaires, alors que de nombreuses communes rurales sont tentées de fermer ou de réaffecter des locaux scolaires face à la baisse démographique. Le contrôle préfectoral, renforcé par la rapidité du référé suspension, constitue un rempart essentiel pour préserver le maillage territorial du service public de l’enseignement et garantir que les décisions communales s’inscrivent dans une vision cohérente des besoins éducatifs du département.
TA Rouen, 4 nov. 2025, n° 2504844
Nausica Avocats
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