La jurisprudence administrative face à la régulation des meublés de tourisme : panorama de décisions
Le développement fulgurant des locations de courte durée dans les grandes villes françaises, notamment à Paris, a contraint les autorités municipales à mettre en place des dispositifs de régulation de plus en plus sophistiqués. Cette intervention publique dans le secteur de l’hébergement touristique a généré un contentieux administratif abondant qui met en lumière les difficultés à concilier liberté d’entreprendre, droit de propriété et objectifs d’intérêt général en matière d’urbanisme et de logement. L’analyse d’une série de décisions rendues en 2025 par les juridictions administratives permet de dégager les principales problématiques juridiques soulevées par cette régulation et d’observer l’évolution de la position des juges face aux restrictions imposées par la Ville de Paris.
L’arrêt fondateur de la cour administrative d’appel de Paris
L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 6 février 2025, rendu dans l’affaire n° 24PA00475, constitue indéniablement la décision pivot de ce contentieux. Dans cette affaire initiée par l’association des commerçants accueillants, la haute juridiction administrative a prononcé l’annulation partielle de la délibération n° 2021 DLH 460 du 15 décembre 2021 du conseil de Paris portant règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations visant la location de locaux à usage commercial en meublés de tourisme.
La cour a considéré que les dispositions du règlement municipal visant à éviter la rupture de l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services ne répondaient pas aux exigences de précision nécessaires. Plus précisément, la juridiction a jugé que ces dispositions ne précisaient pas, contrairement aux prévisions de l’article R. 324-1-5 du code du tourisme, les principes de mise en œuvre de cet objectif et ne caractérisaient pas l’équilibre à préserver. Les critères retenus, destinés à apprécier la densité de meublés touristiques, celle de l’offre commerciale et celle de l’offre hôtelière, n’étaient assortis d’aucune quantification absolue ou relative pour guider l’instruction et la délivrance des autorisations sollicitées par les bailleurs.
Cette exigence de précision trouve son fondement dans la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. La cour rappelle que le pouvoir d’appréciation des autorités compétentes doit être encadré par des critères clairs, non ambigus, objectifs, rendus publics à l’avance, transparents et accessibles, de sorte que leur compréhension ne laisse pas place au doute quant au champ d’application des conditions et obligations ainsi arrêtées et qu’elles ne puissent faire l’objet d’une application arbitraire.
L’arrêt a également prononcé l’annulation de la délibération en tant qu’elle ne différait pas son entrée en vigueur au 7 avril 2022, considérant que l’absence de dispositions transitoires avait porté une atteinte excessive aux intérêts des acteurs économiques. La cour a estimé qu’un délai d’au moins trois mois était indispensable au dépôt des demandes, à leur instruction et à la délivrance des autorisations nécessaires à la mise en œuvre du nouveau régime d’autorisation préalable.
Les conséquences en cascade : l’autorité de la chose jugée devant le tribunal administratif de Paris
L’annulation prononcée par la cour administrative d’appel a produit des effets considérables sur l’ensemble du contentieux en cours devant le tribunal administratif de Paris. Les multiples jugements rendus par la quatrième section du tribunal en 2025 illustrent l’autorité absolue de la chose jugée qui s’attache à cet arrêt.
Dans le jugement du 1er juillet 2025 (n° 2307528), le tribunal a annulé l’arrêté du 14 décembre 2022 refusant l’autorisation de louer un local commercial de 23 m² situé rue Rochebrune dans le 11ème arrondissement. Le tribunal a constaté que la maire de Paris s’était fondée sur la circonstance que la transformation contribuerait à rompre l’équilibre entre emploi, habitat, commerce et services en raison de la densité des meublés de tourisme existant dans le secteur. Or, les dispositions du règlement municipal permettant d’opposer un tel refus avaient été annulées par l’arrêt du 6 février 2025 en raison de leur insuffisante précision. Le tribunal a considéré que la Ville de Paris avait méconnu le champ d’application de la loi en faisant application de dispositions réputées n’avoir jamais existé.
Le même raisonnement a été appliqué dans le jugement du 1er juillet 2025 (n° 2223201) concernant un local commercial de 39,40 m² situé boulevard de Charonne dans le 20ème arrondissement. Le tribunal a annulé l’arrêté du 12 septembre 2022 en relevant que, si la maire de Paris s’était également fondée sur des nuisances pour l’environnement urbain, ces nuisances n’étaient pas établies. La seule circonstance que le local ne disposait pas d’un accès indépendant était insuffisante pour établir les nuisances sonores et de sécurité invoquées, d’autant que des attestations de plusieurs occupants de l’immeuble indiquaient ne pas avoir constaté de nuisances.
Le jugement du 24 juin 2025 (n° 2308564) concernant un local de 26 m² situé rue René Boulanger dans le 10ème arrondissement illustre parfaitement l’impact de l’autorité de la chose jugée. Le tribunal a constaté que la décision du 29 décembre 2022, prise en application des dispositions de l’article 2 du règlement municipal adopté par la délibération du 15 décembre 2021, se trouvait privée de base légale du fait de l’annulation prononcée par la cour administrative d’appel. En outre, le tribunal a estimé que les allégations de la Ville de Paris concernant les nuisances et les risques d’activités illégales n’étaient pas suffisamment précises et étayées pour justifier le refus d’autorisation.
Dans le jugement du 27 octobre 2025 (n° 2317353 et n° 2324821), le tribunal a joint deux requêtes relatives au même local situé rue de la Sourdière. Pour la première requête, le tribunal a refusé de procéder à la substitution de motifs sollicitée par la Ville de Paris, considérant qu’il ne résultait pas de l’instruction que la maire aurait pris la même décision si elle avait entendu se fonder initialement sur un motif différent de celui tiré de la rupture de l’équilibre. Pour la seconde requête, le tribunal a relevé que le projet ne visait qu’à l’obtention d’une autorisation de location et que la décision litigieuse devait être regardée comme un refus d’autorisation pris sur le fondement du IV bis de l’article L. 324-1-1 du code du tourisme, là encore privé de base légale du fait de l’application des dispositions annulées.
Le jugement du 4 novembre 2025 (n° 2322792) concernant un local situé rue de Lübeck dans le 16ème arrondissement mérite une attention particulière car il prend en compte l’évolution du cadre juridique. Le tribunal a constaté que la décision du 3 août 2023 était fondée sur deux motifs : la rupture de l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services et les nuisances pour l’environnement urbain. S’agissant du premier motif, le tribunal a rappelé l’annulation prononcée par l’arrêt du 6 février 2025. S’agissant du second motif, le tribunal a considéré que les nuisances alléguées n’étaient pas suffisamment caractérisées, dès lors que l’entrée principale était indépendante, que la superficie du local était limitée à 32 m² et que les risques sanitaires ou d’activités illicites étaient invoqués de manière trop abstraite. Surtout, le tribunal a pris acte de l’adoption d’un nouveau règlement municipal par délibération du conseil de Paris des 8, 9, 10 et 11 avril 2025 et a enjoint à la maire de procéder à un nouvel examen de la demande sur la base de ce nouveau cadre juridique.
La question de l’articulation entre code de l’urbanisme et code du tourisme
Au-delà de la problématique liée à l’annulation partielle du règlement municipal, les décisions analysées révèlent une difficulté récurrente concernant la qualification juridique des projets et l’articulation entre le code de l’urbanisme et le code du tourisme. Cette question se pose notamment lorsqu’un porteur de projet souhaite transformer un local commercial en meublé de tourisme.
Le jugement du tribunal administratif de Paris du 14 avril 2025 (n° 2404151) concernant un local situé boulevard de Sébastopol dans le 4ème arrondissement illustre parfaitement cette problématique. La SCI SJ et J Sébastopol avait déposé une déclaration préalable en vue du changement de destination d’un local commercial en hébergement hôtelier. La maire de Paris s’était opposée à cette déclaration au seul motif que le local était situé sur un linéaire commercial et artisanal faisant l’objet d’une protection au plan local d’urbanisme. Le tribunal a relevé que l’opération consistait en un changement entre sous-destinations d’une même destination au sens des articles R. 151-27 et R. 151-28 du code de l’urbanisme. En effet, tant les activités de services où s’effectue l’accueil d’une clientèle que l’hébergement hôtelier et touristique relèvent de la destination commune « commerce et activités de service ». Or, l’article R. 421-17 du code de l’urbanisme précise expressément que le contrôle des changements de destination ne porte pas sur les changements entre sous-destinations d’une même destination. Le tribunal en a déduit que l’opération n’entrait pas dans le champ d’application de l’autorisation d’urbanisme et que la Ville de Paris ne pouvait soumettre ce changement de sous-destination à une autorisation préalable au titre du code de l’urbanisme. Le tribunal a également refusé de procéder à la substitution de base légale demandée par la maire de Paris, au motif que celle-ci ne disposait pas du même pouvoir d’appréciation sur le fondement du code du tourisme que sur celui du code de l’urbanisme.
Cette analyse a été confirmée dans le jugement du 24 juin 2025 (n° 2310979) concernant un local situé rue Boutarel dans le 4ème arrondissement. Le tribunal a constaté que l’opération prévue par les époux requérants avait pour seul objectif de transformer un local à destination d’artisanat et de commerce de détail en un local destiné à l’hébergement touristique. Ces deux sous-destinations relevant de la destination « commerce et activités de service », la demande ne nécessitait que l’obtention d’une autorisation de location d’un local à usage commercial en meublé de tourisme sur le fondement du IV bis de l’article L. 324-1-1 du code du tourisme. Le tribunal a relevé que la Ville de Paris avait commis une erreur de droit en exigeant le dépôt d’un formulaire de déclaration préalable au titre du code de l’urbanisme, alors que seules les opérations de travaux ou de changement de destination soumis à déclaration préalable devaient être précédées du dépôt de ce formulaire.
Cette jurisprudence a des implications pratiques importantes. Dans plusieurs affaires, la requalification opérée par le juge permet d’éviter que des refus fondés sur des dispositions du code de l’urbanisme inapplicables ne fassent obstacle à l’examen de la demande au regard du seul code du tourisme. Elle illustre également la vigilance des juridictions administratives quant à l’exacte qualification des actes administratifs et au respect du champ d’application de chaque réglementation.
L’appréciation des nuisances pour l’environnement urbain
L’examen des motifs invoqués par la Ville de Paris pour refuser les autorisations de location révèle une ligne jurisprudentielle importante concernant l’appréciation des nuisances pour l’environnement urbain. Le règlement municipal prévoit que la location ne doit pas entraîner de nuisances, appréciées notamment au regard des caractéristiques du meublé et de sa bonne insertion dans le tissu urbain.
Le jugement du 1er juillet 2025 (n° 2307528) précédemment évoqué illustre le contrôle approfondi exercé par le juge sur ce point. Le tribunal a considéré que la seule circonstance qu’un local de 23 m² ne dispose pas d’un accès indépendant était insuffisante pour établir que les occupants feraient une utilisation des parties communes générant une altération ou des nuisances sonores spécifiques. Le tribunal a relevé que le local jouxtait la porte d’entrée et que la circulation dans les parties communes pour y accéder serait limitée. De même, l’absence d’éléments concrets ne permettait pas d’établir que la location envisagée créerait un risque spécifique de sécurisation de l’immeuble par la diffusion des codes d’accès aux touristes.
Dans le jugement du 1er juillet 2025 (n° 2223201), le tribunal a appliqué un raisonnement similaire concernant un local de 39,40 m² situé au deuxième étage d’un immeuble à usage mixte. Bien qu’il soit constant que la requérante exploitait simultanément au même étage deux autres meublés touristiques avec une capacité totale d’accueil pouvant aller jusqu’à treize personnes, le tribunal a jugé que la seule circonstance que le local ne disposait pas d’un accès indépendant était insuffisante pour établir les nuisances sonores et de sécurité invoquées. Le tribunal a relevé qu’aucun texte légal ou réglementaire ne subordonnait l’autorisation de louer un local commercial en meublé de tourisme à l’existence d’un accès indépendant. En outre, si la Ville produisait l’attestation d’un occupant se plaignant de nuisances, trois autres personnes attestaient ne pas en avoir constaté, ce qui était insuffisant pour justifier le refus.
Des décisions hors contentieux parisien éclairant la problématique générale
Deux décisions rendues par des juridictions non parisiennes apportent un éclairage complémentaire sur les enjeux de cette régulation.
Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 7 avril 2025 (n° 2302503) concernait l’interprétation du règlement municipal de Strasbourg fixant les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage de locaux d’habitation. La maire avait refusé d’autoriser le changement d’usage sollicité par un locataire au motif qu’il était locataire et non propriétaire du bien. Le tribunal a jugé que le locataire, exerçant un pouvoir de fait sur la chose d’autrui en vertu d’un titre juridique, devait être regardé comme détenant le bien loué au sens du règlement. Dès lors que la demande d’autorisation avait été déposée par une personne physique en son nom personnel sur le fondement des dispositions permettant l’octroi d’une autorisation sans compensation, la maire avait commis une erreur de droit en ajoutant une condition non prévue dans le règlement.
Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 2 avril 2025 (n° 2101922) concernait un permis de construire assorti d’une prescription interdisant de manière générale au pétitionnaire la création de gîte ou de meublé de tourisme au motif que cela serait considéré comme un changement de destination interdit en zone agricole. Le tribunal a considéré que cette prescription n’était pas en lien avec l’objet de l’autorisation et que, en tout état de cause, la location du logement en gîte ou meublé de tourisme n’emportait pas systématiquement de changement de destination sous réserve de respecter la réglementation en vigueur. Le tribunal a rappelé que l’administration ne pouvait assortir une autorisation d’urbanisme de prescriptions qu’à condition que celles-ci entraînent des modifications sur des points précis et limités.
Enfin, le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 13 février 2025 (n° 2108653) concernait un refus de permis de construire pour la démolition d’un hôtel et la construction d’une résidence d’hébergement hôtelier. La commune avait considéré qu’il s’agissait d’un changement de destination interdit par le plan local d’urbanisme. Le tribunal a relevé que le projet visait à l’accueil de touristes auxquels des services hôteliers étaient proposés et qu’il ne prévoyait donc aucun changement de destination. Cette décision rappelle l’importance de l’analyse concrète du projet pour déterminer sa qualification juridique.
Conclusion
L’ensemble de ces décisions illustre les difficultés rencontrées par les collectivités territoriales pour réguler efficacement le développement des locations touristiques de courte durée tout en respectant les exigences du droit national et européen. Le contentieux met en évidence la nécessité pour les autorités municipales d’élaborer des règlements suffisamment précis et objectifs, permettant tant aux opérateurs économiques de connaître par avance les conditions d’exercice de leur activité qu’au juge de contrôler l’absence d’arbitraire dans l’application des critères retenus. L’annulation partielle du règlement parisien par l’arrêt du 6 février 2025 et ses conséquences en cascade témoignent de la vigilance des juridictions administratives quant au respect des libertés économiques et du droit de propriété. Pour autant, les juges ne remettent pas en cause le principe même d’une régulation, mais en contrôlent strictement les modalités d’application. La réaction rapide de la Ville de Paris avec l’adoption d’un nouveau règlement en avril 2025 montre que l’équilibre entre intérêt général et libertés individuelles reste à construire dans un dialogue permanent entre l’administration et le juge.
Nausica Avocats
12 Rue des Eaux, 75016 Paris
09 78 80 62 27
Nos derniers articles similaires
-
La jurisprudence administrative face à la régulation des meublés de tourisme : panorama de décisions
Le développement fulgurant des locations de courte durée dans les grandes villes françaises, notamment à Paris, a contraint les autorités municipales à mettre en place des dispositifs de régulation de plus en plus sophistiqués. Cette intervention publique dans le secteur de l’hébergement touristique a généré......
12 décembre, 2025 -
Suspension d’une fermeture administrative d’un établissement recevant du public : quand l’urgence économique l’emporte
Le tribunal administratif de Nîmes a rendu le 25 septembre 2025 une ordonnance de référé particulièrement favorable aux intérêts économiques d’une entreprise confrontée à une mesure de fermeture administrative partielle. Cette décision illustre les conditions dans lesquelles le juge des référés peut suspendre une mesure......
04 décembre, 2025 -
Cahier pratique – Aménager l’école pour tous
Le ministère de l’éducation a publié l’intéressant Cahier pratique intitulé « aménager l’école pour tous » (septembre 2025). Il s’adresse aux personnels de l’Éducation nationale et aux collectivités territoriales pour les guider dans la conception et l’adaptation des bâtiments scolaires en faveur de l’école inclusive. Le......
10 octobre, 2025