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La mise à disposition des équipements communaux aux associations : entre prérogatives du maire et respect des libertés fondamentales

Quatre décisions récentes des tribunaux administratifs viennent préciser le régime juridique applicable à la mise à disposition des équipements communaux aux associations, révélant la tension permanente entre les pouvoirs de police du maire et le respect des libertés fondamentales d’association et de réunion.

Le cadre juridique : une apparente simplicité

L’article L. 2144-3 du code général des collectivités territoriales pose le principe selon lequel les locaux communaux peuvent être utilisés par les associations qui en font la demande. Le maire détermine les conditions de cette utilisation en tenant compte de trois critères : les nécessités de l’administration des propriétés communales, le fonctionnement des services et le maintien de l’ordre public. Cette disposition, d’apparence simple, soulève en réalité des questions d’application délicates, comme en témoignent les quatre affaires commentées.

L’interdiction de refuser pour des motifs étrangers aux critères légaux

Les décisions du tribunal administratif de Dijon du 2 septembre 2025 et du tribunal administratif d’Orléans du 7 novembre 2025 illustrent parfaitement cette exigence. Dans l’affaire de Chalon-sur-Saône, la ville avait refusé à la section locale de la Ligue des droits de l’Homme l’accès au forum de la vie associative en invoquant l’absence de siège social sur le territoire communal et le caractère prétendument politique de ses activités. Le juge des référés a considéré que ces motifs ne figuraient pas au nombre de ceux légalement admis, d’autant que d’autres associations dans des situations comparables avaient été autorisées à participer.

De même, à Vierzon, la communauté de communes avait retiré à l’association Cher Atout Cœur, deux jours avant la manifestation, la mise à disposition de l’auditorium pour des débats sur les médias indépendants, au motif d’une incompatibilité avec les valeurs de la collectivité. Le juge des référés a censuré cette décision, rappelant que ce motif ne figurait pas parmi les critères légaux et que la simple controverse suscitée par le thème des débats ne saurait justifier une interdiction.

L’exigence du respect du principe d’égalité

L’affaire jugée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 15 juillet 2025 met en lumière l’importance du principe d’égalité dans l’attribution des créneaux horaires. La commune de Montrouge avait refusé à l’association Lion Strike Boxing Club l’accès à la salle de boxe du gymnase municipal, invoquant le nombre limité d’équipements et la nécessité de les réserver à une autre association plus importante. Le tribunal a estimé que l’exclusivité d’usage accordée à une association au détriment d’une autre ne pouvait être justifiée par la seule différence de taille, dès lors que les deux associations poursuivaient des objets similaires et que rien n’établissait l’impossibilité d’un partage des créneaux.

Cette décision rappelle que les différences de traitement entre associations doivent reposer sur des différences de situation objectives et ne peuvent résulter de considérations purement subjectives ou d’arrangements de convenance. La commune a d’ailleurs été condamnée à réparer le préjudice causé, notamment le préjudice moral résultant de l’atteinte à l’image de l’association, évalué à 3 000 euros.

La question délicate des fermetures administratives et de leurs conséquences

L’arrêt du tribunal administratif de Caen du 17 octobre 2025 aborde une problématique plus complexe : celle de l’articulation entre la décision de fermeture prise par le préfet au titre de la police spéciale du sport et les mesures que peut prendre le maire en sa qualité d’autorité de police générale. Le préfet avait ordonné la fermeture du Fight Club d’Hérouville-Saint-Clair sur le fondement de l’article L. 322-5 du code du sport, et le maire avait en conséquence suspendu l’accès aux équipements municipaux.

Le tribunal a rappelé que le maire conserve son pouvoir d’appréciation autonome en matière de police générale. Il ne se trouve pas en situation de compétence liée à l’égard de la décision préfectorale et doit procéder à sa propre évaluation de la menace à l’ordre public. En l’espèce, le tribunal a constaté que la décision reposait sur une erreur de fait concernant la composition du conseil d’administration de l’association et que les éléments invoqués, tels que l’influence supposée d’un ancien dirigeant ou des informations vagues rapportées par des habitants, ne permettaient pas d’établir une menace caractérisée à l’ordre public.

Cette décision est importante car elle souligne que, même dans le cadre d’une procédure de fermeture administrative, les garanties procédurales et l’exigence d’une motivation précise demeurent. Les allégations générales ou les suspicions non étayées ne sauraient suffire à justifier une mesure aussi grave que la privation d’accès aux équipements sportifs municipaux.

Les conséquences pratiques pour les communes et les associations

Ces quatre décisions dessinent les contours d’une jurisprudence exigeante pour les collectivités territoriales. Elles rappellent que la mise à disposition des équipements publics aux associations n’est pas une simple faculté discrétionnaire, mais un exercice encadré de la compétence municipale, soumis au respect de plusieurs principes fondamentaux.

Pour les communes, la prudence s’impose dans la formulation des motifs de refus. Les considérations politiques, idéologiques ou tenant aux valeurs défendues par l’association ne constituent pas des motifs légaux de refus. Seuls les impératifs de gestion des équipements, de fonctionnement des services et de maintien de l’ordre public peuvent justifier une décision négative, à condition d’être étayés par des éléments précis et objectifs.

L’égalité de traitement constitue également une exigence forte. Les différences de traitement entre associations doivent reposer sur des critères objectifs, pertinents et vérifiables. La taille d’une association, son ancienneté ou sa notoriété ne sauraient à elles seules justifier qu’elle bénéficie d’un accès privilégié aux équipements au détriment d’autres associations poursuivant des activités similaires.

Pour les associations, ces décisions confirment l’existence de recours effectifs en cas de refus injustifié. Le référé suspension, voire le référé liberté lorsque l’urgence le justifie, permettent d’obtenir rapidement la suspension de décisions illégales. Par ailleurs, la possibilité d’obtenir réparation des préjudices subis, y compris des préjudices moraux, constitue une garantie supplémentaire.

Une vigilance particulière en période de tensions

Les affaires commentées s’inscrivent dans un contexte où les questions sociétales et sanitaires suscitent des débats passionnés. La tentation peut être grande pour les autorités locales de refuser l’accès aux équipements publics à des associations dont les positions heurtent les convictions de la majorité municipale ou suscitent la controverse. Les décisions analysées rappellent fermement que cette voie n’est pas juridiquement praticable.

Le juge administratif se montre particulièrement vigilant pour préserver le pluralisme des expressions et garantir que les équipements publics restent accessibles à l’ensemble des associations, quelles que soient leurs orientations, dès lors qu’elles respectent l’ordre public. Cette jurisprudence s’inscrit dans la continuité de la protection constitutionnelle de la liberté d’association et de la liberté de réunion, qui constituent des piliers de la démocratie.

La mise à disposition des équipements communaux aux associations demeure donc un sujet juridiquement sensible, où la marge d’appréciation des autorités locales, bien que réelle, doit s’exercer dans le strict respect des critères légaux et des principes fondamentaux du droit public français.

Louis le Foyer de Costil

Nausica Avocats 

12 Rue des Eaux, 75016 Paris

09 78 80 62 27

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