Le rejet d’accréditation d’un établissement d’enseignement doit être motivée
La Cour administrative d’appel de Bordeaux a rendu une décision intéressante sur le contrôle par le juge administratif des refus d’accréditation d’écoles privées.
L’association Théâtre École d’Aquitaine, établissement d’enseignement de l’art dramatique, avait obtenu en 2016 l’accréditation pour délivrer un diplôme national supérieur professionnel de comédien, valable pour trois ans. En vue du renouvellement de cette accréditation pour l’année universitaire 2019/2020, l’établissement a fait l’objet d’une évaluation par un groupe d’experts qui a formulé plusieurs préconisations.
Le 25 juin 2019, le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche artistique a rendu un avis défavorable. Par décision du 9 juillet 2019, la ministre de la culture a rejeté la demande de renouvellement d’accréditation en se bornant à faire référence à cet avis défavorable, sans autre explication. L’association a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Bordeaux, qui a rejeté sa demande par un jugement dont elle a interjeté appel.
Par un arrêt du 31 octobre 2024, la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé tant le jugement du tribunal administratif que la décision ministérielle du 9 juillet 2019, pour défaut de motivation en droit.
Le principe : l’obligation de motivation des décisions de refus d’accréditation
La cour rappelle d’abord le cadre juridique applicable. Selon l’article L. 759-2 du code de l’éducation, les établissements d’enseignement supérieur de la création artistique sont accrédités par arrêté du ministre de la culture, après avis du Conseil national compétent. Cette accréditation emporte habilitation à délivrer des diplômes nationaux.
L’article 5 du décret du 27 novembre 2007 fixe les conditions à remplir pour obtenir cette accréditation, portant notamment sur :
- La qualité de la formation proposée
- L’existence d’un partenariat universitaire
- La qualification des enseignants
- La mise en œuvre de stages professionnels
Point déterminant : La cour juge que la décision refusant le renouvellement d’une accréditation constitue une décision administrative individuelle défavorable refusant un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir.
Cette qualification est essentielle car elle entraîne l’application de l’article L. 211-2, 6° du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), qui impose la motivation des décisions refusant un avantage constituant un droit.
L’exigence d’une motivation en droit
L’article L. 211-5 du CRPA précise que la motivation doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision.
En l’espèce, la décision du 9 juillet 2019 se bornait à faire référence à l’avis défavorable du Conseil national du 25 juin 2019, sans aucune autre explication. La cour relève qu’elle était « dépourvue de toute motivation en droit ».
Cette insuffisance de motivation constitue un vice substantiel justifiant l’annulation de la décision.
La portée de l’arrêt : une exigence formelle stricte
Cette décision est remarquable à plusieurs égards :
1. La simple référence à un avis ne suffit pas
La cour affirme clairement qu’une décision ne peut se contenter de renvoyer à un avis consultatif, même émanant d’une instance spécialisée. L’autorité administrative doit elle-même énoncer les motifs de droit qui fondent son refus.
Cette exigence implique que le ministre doit :
- Expliciter le cadre juridique applicable
- Indiquer quelles conditions légales ou réglementaires ne sont pas remplies
- Établir le lien entre les constats factuels et les dispositions juridiques
2. Une décision sur le fond qui reste en suspens
Il est notable que la cour n’examine pas les autres moyens soulevés par l’association, qui étaient pourtant nombreux et portaient sur le fond :
- Vice de procédure lié à la communication tardive des préconisations
- Erreurs de fait et d’appréciation
- Contestation des motifs relatifs à la gouvernance, à l’enclavement géographique, à l’ouverture sur les réseaux culturels, etc.
En retenant uniquement le vice de forme, la cour précise explicitement que ce motif est « seul susceptible de l’être au vu des moyens soulevés ». Cette formulation laisse entendre que les autres moyens n’auraient probablement pas prospéré sur le fond.
3. Une injonction de réexamen, non d’acceptation
La cour enjoint à la ministre de réexaminer la demande dans un délai de deux mois, mais refuse d’enjoindre l’octroi de l’accréditation ou d’assortir cette injonction d’une astreinte.
Cette solution s’explique par la nature du vice constaté : seul le défaut de motivation en droit est retenu. L’administration conserve donc son pouvoir d’appréciation sur le fond du dossier, à condition cette fois de motiver correctement sa décision.
Conclusion
Cet arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux constitue un rappel salutaire des exigences formelles en matière de motivation des actes administratifs. Dans un domaine aussi technique que l’accréditation des établissements d’enseignement supérieur artistique, où les appréciations sont largement discrétionnaires, le respect des garanties procédurales revêt une importance particulière.
Cette décision illustre également les limites de l’annulation pour vice de forme : elle oblige à un réexamen, mais ne garantit pas une issue favorable sur le fond. Elle offre néanmoins une seconde chance au demandeur de compléter son dossier et de répondre aux objections formulées.
Dans un contexte où les établissements d’enseignement supérieur privés sont soumis à des procédures d’accréditation de plus en plus exigeantes, cette jurisprudence rappelle que la rigueur procédurale s’impose autant à l’administration qu’aux établissements candidats.
Décision commentée: CAA Bordeaux, 31 octobre 2024, n° 22BX00723.