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Les enseignements du contentieux des élections municipales 2020 pour la campagne municipale 2026

Nous vous proposons une sélection de décisions particulièrement représentatives du contentieux né à l’occasion des élections municipales de 2020, illustrant la diversité des problématiques rencontrées (sincérité du scrutin, délais de recours, effets de la crise sanitaire, conditions de dépouillement, accès aux documents électoraux, etc.) lors des opérations électorales.

La première décision que nous commentons ici, inédite, est une rare décision se fondant, pour une partie significative, sur le taux d’abstention pour déclarer un scrutin comme étant vicié :

« Ni par [les] dispositions [applicables en droit électoral], ni par celles de la loi du 23 mars 2020 le législateur n’a subordonné à un taux de participation minimal la répartition des sièges au conseil municipal à l’issue du premier tour de scrutin dans les communes de mille habitants et plus, lorsqu’une liste a recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés. Le niveau de l’abstention n’est ainsi, par lui-même, pas de nature à remettre en cause les résultats du scrutin, à moins qu’il n’ait altéré, dans les circonstances de l’espèce, sa sincérité.

Il résulte de l’instruction que le taux d’abstention dans la commune d’Annemasse, lors des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020, s’est élevé à 72,21 %. Ce taux d’abstention est nettement supérieur à la moyenne nationale de 55,34 % enregistrée pour ce scrutin, ainsi qu’à celui des élections municipales de l’année 2014 qui était de 56,21 %. Ainsi, sur 15 527habitants inscrits sur les listes électorales, 4 315électeurs se sont déplacés pour participer au vote. Par ailleurs, la liste « Annemasse Ville d’Avenirs», conduite par M. A…, n’a obtenu la majorité absolue qu’avec une seule voix. Ainsi, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’importance de l’abstention constatée ne peut pas être regardée comme ayant été sans incidence sur la sincérité du scrutin compte tenu du très faible écart de voix ayant permis l’obtention de la majorité absolue. Par suite, elle est de nature à justifier l’annulation des élections qui se sont tenues le 15 mars 2020 dans la commune d’Annemasse, quel qu’ait pu être par ailleurs l’écart ayant séparé les listes en présence à l’issue du premier tour. » (Tribunal administratif de Grenoble, 31 décembre 2020, n° 2001860).

La motivation apparaît tout à fait inédite puisqu’elle retient que le taux d’abstention, pour lequel aucun seuil n’est fixé, peut être de nature à vicier une élection. Au cas d’espèce, naturellement l’écart de voix a lourdement pesé puisque le résultat de l’élection s’était joué à une voix près.

Ainsi, en présence d’un taux d’abstention inhabituel et très élevé (plus de 70% en l’espèce) et d’un très faible écart de voix, l’abstention est de nature à vicier les opérations électorales.

Cependant, le juge administratif rejette régulièrement les moyens fondés sur le taux d’abstention dès lors qu’il n’y a pas de démonstration que ce taux aurait porté une atteinte à la sincérité du scrutin, y compris lorsque l’abstention est provoquée, notamment, par des mesures de restrictions de liberté et atteint près de 70 % (Pour les mesures Covid : CE, 3ème chambre, 16 décembre 2020, n° 442351)

Dans une autre décision, le juge administratif a retenu que l’introduction de la protestation électorale d’un candidat malheureux était recevable, en dépit de son enregistrement tardif, car la date d’envoi était antérieure de deux jours à la date d’expiration du délai. Ce faisant, il a implicitement considéré qu’une telle hypothèse eût entrainé l’irrecevabilité de la protestation si les précautions avaient été moindres lors de l’expédition :

« La protestation de Mme C… a été enregistrée le 26 mai 2020 au greffe du tribunal administratif d’Amiens, soit après l’expiration du délai de recours. Il résulte néanmoins de l’instruction que la protestation de Mme C… a été déposée au bureau de poste le vendredi 22 mai 2020, soit plus de 48 heures avant l’expiration du délai imparti. En l’absence de circonstances particulières propres à la période considérée et de nature à rendre prévisible un allongement de la durée d’acheminement du courrier, cette protestation doit être regardée comme ayant été remise au service postal en temps utile pour parvenir dans le délai imparti pour contester les opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020. Par suite, il y a lieu d’annuler l’ordonnance attaquée, d’évoquer et de statuer immédiatement sur la protestation de Mme C…. » (CE, 29 décembre 2020, 441808 ; pour une irrecevabilité du fait de l’absence de diligences pour faire parvenir la protestation électorale postale en temps utile : CE, 25 novembre 2020, 442411).

Cependant, ce genre d’hypothèse ne devrait plus pouvoir avoir à se produire dans l’avenir, notamment lors des élections municipales de 2026, puisque Télérecours est désormais tout à fait démocratisé.

Sur les délais pour introduire une protestation électorale, le juge administratif a également rappelé le délai de recours en la matière qui est de cinq jours et qui se calcule en jours francs (V. CE, 25 novembre 2020, précité). Ainsi, c’est le vendredi suivant l’élection, dix-huit heures, qui marque la limite pour le dépôt d’une protestation électorale (article R 119 du code électoral).

Enfin, le Conseil d’Etat a jugé, par une décision très ferme, que tous les griefs que le requérant souhaite invoquer soit présents ab initio dans le délai contentieux de 5 jours, à peine d’irrecevabilité des moyens soulevés postérieurement :

« Dans le délai de protestation prévu à l’article R. 119 du code électoral ainsi prorogé par les dispositions précitées, M. C… s’était borné à soulever le grief relatif à la distribution dans les boites aux lettres des électeurs d’un bulletin similaire au bulletin d’information de la commune constituant une campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion de la collectivité en méconnaissance de l’article L. 52-1 du code de justice, qui vient d’être examiné. Le grief soulevé en première instance et repris devant le Conseil d’Etat concernant la réalisation, antérieurement aux opérations électorales, par le maire sortant, de travaux et d’achats en méconnaissance des dispositions de l’article L. 52-1 du code électoral, a été présenté devant le tribunal administratif par un mémoire enregistré postérieurement à l’expiration de ce délai le 25 mai 2020. Par suite, ce nouveau grief était irrecevable. Il en va également ainsi s’agissant des griefs présentés pour la première fois en appel tirés, d’une part, de la distribution de divers tracts durant la campagne électorale, et, d’autre part de l’usage des locaux communaux par la liste conduite par M. B…, et enfin, de la promotion du maire sortant sur la page Facebook de la commune. » (CE, 24 décembre 2020, n° 443317).

La juridiction administrative s’est naturellement prononcée sur le comportement de nombreux candidats élus et a eu l’occasion de rappeler que certains manquements aux règles régissant l’élection sont de nature à entrainer une annulation des opérations électorales.

Ainsi, il a été jugé, de manière traditionnelle, qu’un Maire sortant peut tout à fait être candidat ou soutenir une liste mais qu’il ne peut pas agir avec les moyens de la collectivité pour ce faire. Le fait de réaliser, de manière exceptionnelle, un bulletin d’information quelques jours avant les élections et vantant les réalisations de la Mairie sont de nature à vicier les opérations électorales :

« il résulte des dispositions citées ci-dessus que la maire de cette commune ne pouvait organiser une campagne de promotion publicitaire ni consentir un avantage à la liste qu’elle soutenait en utilisant les moyens de la commune. Il résulte de l’instruction qu’un bulletin municipal a été diffusé en avril 2025 auprès des habitants et il n’est pas contesté que cette diffusion présentait un caractère exceptionnel, le précédent bulletin municipal ayant été distribué en 2021, tandis qu’un bulletin d’information était distribué en juillet 2022. Dans son éditorial, la maire du Chautay, avant de rappeler aux habitants qu’une élection de nouveaux conseillers municipaux aura lieu « dans quelques jours», fait état du choix de la municipalité de ne pas augmenter les impôts locaux malgré l’augmentation des charges. Ce bulletin municipal mentionne également la liste des maires de la commune depuis 1797 et fait apparaître qu’entre 1911 et 2014, les aïeux de M. O de P, tête de la liste « Pour un Chautay apaisé» dont tous les membres ont été élus, ont été maire de la commune. Il est en outre fait la promotion d’un projet de création d’un parc agrivoltaïque, voté par le conseil municipal en juillet 2024, et porté par un membre de la famille M, sans que la commune ne fasse état du caractère utile et urgent de cette information à porter à la connaissance des habitants du Chautay à « quelques jours» des élections. Enfin, le bulletin municipal accorde la parole à M. N M, ancien maire de 1983 à 2014, et père de la tête de liste « Pour un Chautay apaisé», pour, d’une part, promouvoir le cadre de vie du village, en sa qualité d’ancien urbaniste, et d’autre part, rendre hommage à un ancien premier adjoint décédé, en sa qualité de maire honoraire. Ainsi, eu égard au caractère exceptionnel de la publication de ce bulletin municipal, à sa diffusion auprès des habitants peu de temps avant les élections municipales partielles, et à son contenu qui met en avant la famille du candidat tête de la liste dont tous les membres ont été élus dès le premier tour du scrutin, Mme F est fondée à soutenir que ce bulletin municipal présente le caractère d’une campagne de promotion publicitaire et d’un avantage consenti à l’une des listes au sens des dispositions citées au point 4 du présent jugement. Compte tenu notamment de l’écart entre le nombre de voix recueillies par les candidats élus dès le premier tour de scrutin et la majorité absolue des suffrages exprimés, Mme F est fondée à soutenir que la diffusion de ce bulletin municipal au cours de la campagne électorale a été de nature à altérer la sincérité du scrutin. » (TA Orléans, 10 juillet 2025, n° 2502572).

Rappelons en effet que les dispositions de l’article L. 52-1 du code électoral prohibe toute promotion par publicité commerciale dès lors qu’une volonté de propagande électorale la soutient, ce durant les six mois précédant l’élection, et l’article L. 52-8 du même code prohibe quant à lui les dons des personnes morales.

Un Maire doit agir comme un candidat sans avantage lié à sa fonction sous peine de voir les opérations électorales annulées et, selon les cas, de voir prononcer son inéligibilité, surtout que ces infractions sont requalifiées dans les comptes de campagne, contentieux donnant lieu à de lourdes sanctions en termes d’éligibilité.

En revanche, le candidat n’empêche pas le Maire de réaliser pleinement son rôle, notamment en communiquant, lorsque cela est pertinent et habituel, en période électorale des réalisations de la collectivité :

« Toutefois, il résulte de l’instruction que le document litigieux constitue une lettre d’information à destination des habitants de la commune, relatif aux modalités de distribution de masques cofinancés par les deux collectivités en cause, dans la perspective du déconfinement qui était alors imminent. Dans ces conditions, même si elle comporte les photographies de M. C, en sa qualité de président de la communauté d’agglomération, et de la maire sortante et candidate sur la liste de ce dernier, la diffusion de cette lettre d’information ne peut être regardée comme un avantage accordé à la liste conduite par M. C en méconnaissance de l’article L. 52-8 du code électoral. Par suite, le requérant est fondé à soutenir que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a fait une inexacte application des dispositions précitées en retenant qu’il avait bénéficié d’un concours en nature d’une personne morale » (TA Paris, 16 mars 2023, n° 2105704 ; dans le même sens : Tribunal administratif d’Amiens, 12 juillet 2022, n° 2201959).

Si le Maire candidat doit prendre ses précautions, le risque est bien moindre pour les opposants. En effet, ces derniers conservent leur droit à l’expression dans le bulletin d’information, y compris pendant la période officielle des six mois. Naturellement des limites sont posées par le juge administratif mais le principe reste l’absence de contrôle, par la Collectivité, du contenu de ces encarts. En revanche, en aucun cas, ces publications seraient de nature à constituer un don prohibé d’une personne morale au sens de l’article L. 52-8 du code électoral (Tribunal administratif de Strasbourg, 17 février 2025, n° 2207591).

Les candidats ont naturellement le droit d’avoir un rapport de confrontation entre eux, polémiques électorales oblige, mais ne doivent pas excéder ce qui est normalement admis au titre des limites de la polémique électorale.

Des propos racistes ou injurieux, sont naturellement de nature à dépasser ces limites et à entrainer une annulation des opérations de vote ; toutefois, l’écart de voix trop important fera obstacle à la sanction des opérations électorales (TA Grenoble, 23 novembre 2020, n° 2001814).

L’article R. 49 du code électoral imposant un silence de la propagande électorale la veille du scrutin à 00h00 (samedi 00h00), les poursuites de propagande passé le délai posé sont de nature à vicier une élection.

Comme à l’accoutumée, le juge administratif adopte une attitude et doit vérifier si la propagande a été de nature à influer sur la sincérité du scrutin. Pour ce faire, il se fait finaliste et sans seuil comptable en retenant que :

« les photographies de ces affichages et tracts sont nombreuses et prises en de multiples endroits de la commune, incluant notamment les entrées du métro, les abords du marché, les arrêts de bus et les parebrises de voitures en stationnement, et sont corroborées par un échange SMS contemporain faisant état de ces affichages le samedi 27 juin 2020, ainsi que par plusieurs témoignages concordants, faisant notamment état de l’affichage de ces supports dans des halls d’immeubles de copropriétés. Elles sont également corroborées par le témoignage d’une colistière élue de la liste de M. I… relatant l’impression en grand nombre de tracts le samedi matin 27 juin 2020 ainsi que par les copies d’écran d’une boucle Whatsapp, associant plusieurs membres de l’équipe de M. I…, mentionnant la distribution et le tractage de ces supports. L’ensemble de ces éléments suffit en l’espèce à établir le caractère massif de la diffusion de ces éléments nouveaux de propagande. » (TA Montreuil, 12 février 2021, n° 2006201).

S’agissant des résultats électoraux, la Haute Juridiction a eu l’occasion de rappeler le droit des électeurs à assister aux opérations de dépouillements des scrutins électoraux. Dans cette décision, il a confirmé l’annulation des opérations électorales pour lesquelles la présence d’électeurs pour assister au dépouillement avaient été refusée :

« Il résulte de l’instruction, d’une part, que la pièce dans laquelle se sont déroulées les opérations de dépouillement était d’une surface suffisante pour que, même dans le contexte sanitaire de l’épidémie de covid-19, quelques électeurs puissent y être présents et, d’autre part, que la maire sortante n’a pas choisi de solliciter du préfet, comme il lui était loisible de le faire, l’installation du bureau de vote dans un local moins exigu. Dans ces conditions, il n’apparaît pas que les contraintes liées au contexte sanitaire étaient de nature à justifier que tous les électeurs soient empêchés d’accéder à la salle de dépouillement. Dès lors, et même si deux observateurs représentant la liste menée par Mme AE… ont été présents dans la salle au cours du dépouillement, si une fenêtre a été, ainsi qu’il a été dit, laissée ouverte pour permettre une observation depuis l’extérieur et si le libre accès au bureau de vote a été rétabli vers 22h30, les électeurs ont été irrégulièrement privés de la possibilité d’exercer le droit de contrôle sur le dépouillement, qui a été effectué en méconnaissance des dispositions précitées de l’article R 63 du code électoral, l’absence de réclamation au procès-verbal étant à cet égard sans incidence. » (CE, 11 décembre 2020, n° 445424 ; même sens : Conseil d’Etat, 18 février 2002).

Cette décision est emblématique de la protection du droit des électeurs d’assister au dépouillement afin de garantir la sincérité du résultat du scrutin.

Concernant le contrôle de compte de campagne des candidats, précisons que les dépenses doivent, par principe, être effectuées par le mandataire financier du candidat ou de la liste depuis le compte de campagne ouvert spécifiquement. « Le règlement direct de menues dépenses par le candidat ou par toute autre personne participant à sa campagne, y compris son mandataire financier sur ses fonds propres, ne peut être admis qu’à la double condition que leur montant soit faible par rapport au total des dépenses du compte de campagne et négligeable au regard du plafond de dépenses autorisées fixé par l’article L. 52-11 du code électoral » (CE, 1er juin 2023, n° 469179).

Enfin, outre le financement par une personne morale, autre qu’un parti politique, le grief tiré de la réception de dons en espèce excédent le plafond fixé (150 euros) est de nature à entrainer non seulement l’annulation des résultats des opérations électorales mais également l’inéligibilité du candidat élu sauf à ce que le manquement apparaisse négligeable et commis de bonne foi (TA de la Guadeloupe, 19 mars 2021, n° 2001183) :

« Considérant qu’il est constant que M. Z a reçu et inscrit en recette de sa campagne électorale pour les élections municipales de Capesterre-Belle-Eau organisées les 9 et 16 mars 2008, trois dons en espèces respectivement de 200 euros, de 425 euros et de 950 euros ; qu’ainsi, les dons susvisés, en tant qu’ils sont supérieurs à la somme de 150 euros, constituent un concours irrégulier au titre des recettes du compte de campagne et contreviennent aux dispositions précitées de l’article L.52-8 alinéa 3 du code électoral ; que par suite, c’est à bon droit que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a rejeté le compte de campagne de M. Z et saisi le juge de l’élection ;

Considérant que les dons concernés représentent 48 % des dons reçus, 20 % du total des recettes et 31 % du total des dépenses ; que dans ces conditions, et eu égard au caractère substantiel de la formalité ainsi méconnue, M. Z saurait utilement se prévaloir des dispositions de l’article L.118-3 du code électoral pour invoquer sa bonne foi ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède, qu’il y a lieu en conséquence de prononcer l’inéligibilité de M. Z aux fonctions de conseiller municipal pour une durée d’un an à compter de la date à laquelle le présent jugement sera devenu définitif » (TA Guadeloupe, 26 mars 2009, n° 081044).

Il s’agit d’autant d’éléments qu’il s’agit de bien avoir en tête eu égard à la proximité des élections municipales 2026. Si vous avez une problématique en lien avec le droit électoral, notamment en vue des élections municipales 2026, n’hésitez pas à contacter nos avocats !

Antoine Fouret - Avocat Associé

Nausica Avocats 

12 Rue des Eaux, 75016 Paris
09 78 80 62 27

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