ONIAM et subrogation : L’absence de faute neutralise le recours subrogatoire
Le cabinet vous propose un retour sur une décision rendue le 27 novembre 2025 par le Tribunal administratif de Rouen (n° 2403429) qui éclaire le mécanisme de subrogation de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) et rappelle l’exigence fondamentale de la preuve de la faute en matière de responsabilité médicale.
Cette décission offre l’occasion dde rappeler le régime juridique complexe de l’indemnisation des accidents médicaux et les limites du recours subrogatoire de l’Office.
Une complication post-opératoire aux conséquences dramatiques
Un patient présentant une obésité morbide sévère a bénéficié en novembre 2016 d’une chirurgie bariatrique (mini bypass gastrique) dans un établissement parisien. Malgré l’apparition de signes évocateurs d’une fistule anastomotique, le patient a quitté la clinique contre avis médical. Quelques jours plus tard, son état s’est brutalement dégradé, nécessitant son admission aux urgences du groupe hospitalier du Havre.
Face à un tableau clinique catastrophique (péritonite septique, abcès abdominal volumineux de 12 cm, polypnée, tachycardie), l’équipe médicale a procédé en urgence à un drainage de l’abcès. Une fistule anastomotique a été mise en évidence lors de cette première intervention. Le lendemain, une seconde intervention visant à convertir le bypass a été réalisée, mais l’état du patient s’est effondré, conduisant à son décès.
Le dispositif d’indemnisation : quand l’ONIAM se substitue à l’assureur
Le rôle de la Commission de conciliation et d’indemnisation
Les articles L. 1142-4 à L. 1142-8 du code de la santé publique organisent une procédure de règlement amiable confiée aux commissions de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CCI). Dans cette affaire, la CCI d’Île-de-France, après avoir confié une expertise au docteur J., a rendu deux avis en 2021 et 2023 retenant la responsabilité conjointe du chirurgien initial et du groupe hospitalier du Havre, à hauteur de 50 % chacun.
La substitution de l’ONIAM à l’assureur défaillant
L’article L. 1142-15 du code de la santé publique prévoit un mécanisme de substitution : en cas de silence ou de refus de l’assureur de faire une offre d’indemnisation, l’ONIAM se substitue à celui-ci pour indemniser les victimes. C’est précisément ce qui s’est produit dans cette affaire.
Entre août 2022 et août 2024, l’ONIAM a conclu neuf protocoles transactionnels avec les ayants droit du défunt, pour un montant global de 156 357,07 euros. Ces transactions couvraient les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux : perte de revenus du foyer, préjudice d’affection des proches, souffrences endurées par le patient.
Le mécanisme de subrogation et le recours contre le responsable
Une fois les victimes indemnisées, l’ONIAM est subrogé dans leurs droits. Il peut alors se retourner contre le responsable du dommage ou son assureur pour obtenir le remboursement des sommes versées. L’Office a ainsi émis cinq titres exécutoires entre octobre 2022 et août 2024 à l’encontre d’une Société, assureur d’un groupe hospitalier.
Le tribunal rappelle un principe essentiel : lorsque l’ONIAM émet un titre exécutoire en vue du recouvrement des sommes versées à la victime, le juge administratif doit se prononcer sur la responsabilité réelle du débiteur, sans être lié par le contenu de la transaction intervenue entre l’Office et la victime.
Cette règle prétorienne est fondamentale : elle signifie que l’avis de la CCI et les transactions conclues par l’ONIAM ne font pas obstacle à un contrôle juridictionnel complet sur le bien-fondé de la créance. Le juge conserve son entière liberté d’appréciation sur l’existence d’une faute et sur l’évaluation des préjudices, l’assureur n’étant pas soumis aux appréciations de l’ONIAM.
L’analyse médicale : la complexité de la prise en charge en urgence
Le tribunal s’est appuyé sur deux expertises contradictoires. Le docteur A., expert désigné par le tribunal administratif, a conclu à l’absence de faute dans la prise en charge hospitalière. Le docteur J., expert missionné par la CCI, estimait quant à lui que l’équipe médicale aurait dû procéder immédiatement à la conversion du bypass dès l’admission du patient.
Le tribunal a considéré, après avoir consulté les deux rapports d’expertise, que lors de son admission aux urgences, l’état du patient était « catastrophique » : péritonite septique, abcès abdominal massif, troubles de la vision, asthénie profonde, décompensation acido-cétosique. Cette dégradation résultait de l’évolution de la fistule depuis le départ contre avis médical du patient quatre jours plus tôt.
Des choix thérapeutiques justifiés
Face à cette situation, l’équipe médicale a dû arbitrer entre plusieurs contraintes :
- La cause de l’abcès n’était pas encore identifiée lors de l’admission
- L’état du patient nécessitait des soins en urgence immédiate
- L’équipe disponible n’était pas spécialisée en chirurgie bariatrique
- L’état du patient n’était pas nécessairement compatible avec une anesthésie prolongée
- L’inflammation probable des tissus rendait la conversion complexe
Le tribunal a également validé le choix d’une intervention chirurgicale plutôt qu’endoscopique ou par radiologie interventionnelle, cette dernière technique ayant été écartée par les radiologues eux-mêmes en raison de l’état de conscience du patient.
La décision de procéder à la conversion : un choix dans l’urgence vitale
Concernant la seconde intervention du 1er décembre, le tribunal a considéré que face à une fistule exposant le patient à des risques létaux et dans un contexte d’engagement du pronostic vital, l’équipe médicale devait évaluer les risques respectifs du report ou de la réalisation immédiate de l’intervention. Eu égard à la difficulté inhérente à cette appréciation en situation d’urgence, la décision prise ne caractérisait aucun manquement à l’obligation de prodiguer des soins consciencieux et attentifs. Rappelons que la faute s’apprécie in concreto, ce qui signifie que le contexte un élément majeur à prendre en considération.
La portée juridique : l’exigence irréductible de la faute
Le tribunal a rappelé le principe cardinal de la responsabilité médicale : aux termes de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, les professionnels et établissements de santé ne sont responsables qu’en cas de faute.
En l’absence de faute caractérisée imputable au groupe hospitalier , le tribunal a annulé l’intégralité des cinq titres exécutoires émis par l’ONIAM et déchargé la société Relyens de l’obligation de payer les 156 357,07 euros réclamés. Toutefois, les conclusions reconventionnelles de l’Office, qui sollicitait notamment le paiement d’intérêts et d’une pénalité de 15 % prévue par l’article L. 1142-15, ont également été rejetées.
Les enseignements pour les établissements de santé et leurs assureurs
Cette décision rappelle plusieurs principes essentiels :
La transaction de l’ONIAM n’emporte pas présomption de responsabilité. Le fait que l’Office ait indemnisé les victimes sur la base d’un avis de CCI ne lie pas le juge administratif. La responsabilité doit être démontrée selon les règles de droit commun.
L’appréciation des choix thérapeutiques en urgence obéit à un contrôle restreint. Le juge prend en compte la complexité inhérente aux situations d’urgence vitale où les équipes médicales doivent arbitrer entre des risques concurrents dans un temps contraint.
La spécialisation des équipes ne constitue pas en soi une faute. Le tribunal n’a pas retenu l’absence de spécialisation en chirurgie bariatrique de l’équipe du Havre comme un manquement, dès lors que les choix thérapeutiques étaient conformes aux règles de l’art et que la situation relevait de l’urgence.
Le comportement du patient peut influencer l’appréciation. Sans le dire explicitement, le tribunal a pris en compte le fait que la dégradation de l’état du patient résultait en partie de sa sortie contre avis médical, qui avait permis l’évolution de la fistule pendant quatre jours.
L’office du juge face aux titres exécutoires de l’ONIAM. Le tribunal a rappelé que lorsqu’un requérant présente à la fois des conclusions en annulation du titre et des conclusions en décharge, le juge doit examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre. Cette hiérarchisation procédurale protège les débiteurs d’une régularisation ultérieure par simple émission d’un nouveau titre formellement régulier.
Cette jurisprudence constitue un rappel salutaire : le système d’indemnisation des accidents médicaux vise à garantir une réparation rapide aux victimes, mais ne peut s’affranchir de l’exigence de preuve de la faute lorsque l’ONIAM exerce son recours subrogatoire. Notre cabinet accompagne les établissements de santé et leurs assureurs dans ces contentieux complexes où l’analyse médicale doit s’articuler avec la démonstration juridique.
Nausica Avocats
12 Rue des Eaux, 75016 Paris
09 78 80 62 27
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