Délibérations de jury : une vigilance accrue sur le respect des règles d’évaluation
Deux décisions récentes des tribunaux administratifs de Poitiers et Dijon révèlent l’exigence croissante du juge en matière de procédure d’examen universitaire
Le contentieux des examens universitaires connaît une évolution significative, marquée par un contrôle juridictionnel de plus en plus attentif au respect des règles procédurales. Les ordonnances rendues par les tribunaux administratifs de Poitiers le 13 octobre 2025 et de Dijon le 9 octobre 2025 illustrent parfaitement cette tendance et offrent des enseignements précieux pour les établissements d’enseignement supérieur comme pour les étudiants confrontés à une situation d’ajournement contestable.
La stricte application des règlements d’examen : un principe intangible
Les deux affaires présentent des similitudes frappantes dans leur fondement juridique. Dans chaque cas, le juge des référés a identifié un vice de procédure résultant du non-respect des modalités d’évaluation fixées par le règlement des études applicable. Cette convergence jurisprudentielle traduit une position ferme : les règles d’examen ne constituent pas de simples recommandations dont l’administration pourrait s’affranchir, mais des normes juridiquement contraignantes dont le respect conditionne la légalité de la délibération du jury.
Dans l’affaire jugée par le tribunal administratif de Poitiers, une étudiante en première année de master histoire s’est vue ajournée en raison d’une note éliminatoire de cinq sur vingt à l’unité d’enseignement « médiations de l’histoire 2 ». Le juge a constaté que cette unité avait été évaluée sur la base d’une seule note, alors que le règlement des études prévoyait expressément qu’en cas de contrôle continu intégral, les évaluations devaient comporter un minimum de trois notes. Cette irrégularité, quelle que soit la qualité du travail évalué ou les circonstances de l’épreuve, a suffi à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la délibération et à justifier sa suspension.
L’affaire dijonnaise présente une configuration similaire, bien que plus complexe en raison de son historique contentieux. Un étudiant en licence professionnelle, dont le parcours a fait l’objet de multiples annulations successives depuis 2021, a été de nouveau ajourné après un oral de soutenance organisé le 7 juillet 2025. Le juge a relevé que lors de cette épreuve, l’étudiant n’avait été évalué que sur son projet tutoré et non sur son stage, contrairement aux modalités d’examen définies dans un courriel du responsable pédagogique du 21 juillet 2022. Ce document prévoyait pourtant explicitement qu’une soutenance de stage notée devait contribuer à la validation de l’unité d’enseignement concernée. L’absence de cette évaluation a constitué un vice de procédure suffisant pour suspendre l’exécution de la décision d’ajournement.
L’urgence reconnue : la protection effective du parcours universitaire
Les deux décisions convergent également dans leur appréciation de la condition d’urgence, élément essentiel du référé-suspension prévu par l’article L. 521-1 du code de justice administrative. Le juge administratif reconnaît désormais sans ambiguïté que l’ajournement irrégulier d’un étudiant caractérise une atteinte grave et immédiate à ses intérêts, justifiant une intervention rapide du juge.
Dans l’affaire de Poitiers, le tribunal a souligné que l’étudiante, qui avait obtenu des moyennes honorables aux deux semestres (12,80 et 11,2 sur 20), se voyait contrainte de redoubler une année entière pour valider une seule unité d’enseignement. Cette disproportion entre la sanction et la situation académique réelle de l’intéressée a été considérée comme portant une atteinte grave et immédiate à ses intérêts. Le juge a par ailleurs écarté l’argument selon lequel l’étudiante aurait tardé à saisir la juridiction, relevant qu’elle avait immédiatement exercé un recours gracieux après avoir sollicité des explications, démontrant ainsi sa diligence.
À Dijon, l’urgence a été reconnue au motif que l’ajournement privait l’étudiant de la possibilité d’accéder au MBA Ingénierie d’affaires auquel il avait été admis sous réserve de l’obtention de sa licence professionnelle. Cette approche témoigne d’une vision pragmatique du juge, qui prend en considération les conséquences concrètes de la décision contestée sur le projet professionnel de l’étudiant.
Les enseignements pratiques pour les établissements et les étudiants
Ces deux décisions délivrent des messages clairs à destination des universités. En premier lieu, elles rappellent l’impératif de conformité scrupuleuse aux règlements d’examen. Toute dérogation, même justifiée par des considérations pratiques ou organisationnelles, expose la délibération du jury à une annulation contentieuse. Les établissements doivent donc veiller à ce que les modalités d’évaluation annoncées soient effectivement mises en œuvre, en documentant avec précision les épreuves organisées et les notes attribuées.
En second lieu, ces affaires illustrent l’importance de la traçabilité des décisions. Le juge examine avec attention la composition des jurys, la régularité de leur désignation et la conformité des évaluations aux règles prédéfinies. Les universités ont intérêt à formaliser clairement ces éléments pour prévenir tout contentieux.
Pour les étudiants confrontés à une situation d’ajournement qu’ils estiment irrégulière, ces décisions offrent un cadre d’action efficace. La procédure de référé-suspension permet d’obtenir rapidement, souvent en quelques semaines, la suspension d’une décision et une injonction de réexamen. Les deux affaires montrent également que le juge ne sanctionne pas systématiquement le délai de saisine, dès lors que l’étudiant peut justifier avoir d’abord tenté une résolution amiable par le biais du recours gracieux.
Une jurisprudence qui s’inscrit dans une dynamique protectrice
Ces ordonnances s’inscrivent dans un mouvement jurisprudentiel plus large qui tend à renforcer les droits procéduraux des étudiants et à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation des jurys universitaires. Si la souveraineté des jurys dans l’appréciation des connaissances demeure un principe cardinal du droit universitaire, elle trouve désormais une limite claire dans le respect des règles de procédure et d’évaluation préalablement définies.
Cette évolution présente un intérêt majeur pour les cabinets d’avocats spécialisés dans le droit de l’enseignement supérieur. Elle ouvre des perspectives contentieuses nouvelles pour les étudiants lésés, tout en incitant les établissements à solliciter un accompagnement juridique pour sécuriser leurs procédures d’examen et prévenir les contentieux.
Les établissements d’enseignement supérieur doivent désormais intégrer cette exigence accrue de régularité procédurale dans leur organisation des examens, tandis que les étudiants peuvent légitimement s’appuyer sur ces jurisprudences pour faire valoir leurs droits lorsque les règles n’ont pas été respectées. Dans ce contexte, l’accompagnement juridique, tant en conseil préventif qu’en contentieux, devient un élément déterminant de la sécurisation des parcours universitaires.
Nausica Avocats
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