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IEF : Panorama 2024

Après une nouvelle période estivale agitée par les contentieux en matière de refus d’autorisation d’instruire en famille, le cabinet vous propose un nouveau point sur les décisions marquantes de la période. Précisons que les suspensions relevées ne sont pas exhaustives. L’idée est ici de présenter les décisions les plus marquantes et non toutes les décisions.

Ainsi, de nombreuses suspensions non motivées ont été obtenues mais ne présentent pas d’intérêt pour l’appréhension du régime de l’instruction en famille.

La traditionnelle erreur de droit sur le motif 4 que nous défendons et qui a été renforcée durant l’été et a fondé différentes suspensions en rappelant qu’aucune situation spécifique ou particulière n’avait à être mise en évidence. Le projet éducatif étant conforme, et proposant de surcroît des pédagogies alternatives à celles du service public, l’autorisation devait être délivrée :

« Il résulte de l’instruction qu’X. a bénéficié d’une instruction en famille depuis la classe de CM1 à la suite de troubles en CP et CE se manifestant notamment par des TICS, une hypersensibilité au bruit et une absence d’apprentissages dans ces deux classes. Il est constant que les comptes rendus d’évaluation y compris ceux de 2023 et 2024 versés au dossier ont conduit à la reconnaissance de la valeur pédagogique de l’enseignement dispensé par sa mère, éducatrice sportive. En outre, l’enseignement assuré à domicile et dispensé également à sa sœur aînée a mobilisé des méthodes relevant de la pédagogie alternative dite Montessori et de la pédagogie Freinet qui ne sont pas pratiquées au sein du service public de l’éducation nationale et qui ont été validées au cours de ces mêmes inspections. Enfin, l’organisation de l’instruction des enfants de la famille prévoit également des projets de manière collective ainsi que des cours de langues et des ateliers créatifs pour le frère et la sœur. Pour autant la décision attaquée est fondée sur l’absence de spécificité particulière permettant d’attester l’existence d’une situation propre à l’enfant et sur un projet éducatif reposant sur les ressources proposées par le CNED dont les contenus et l’organisation des enseignements sont identiques à ceux proposés en établissement scolaire. En conséquence, en l’état de l’instruction, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait entachée d’une erreur de droit est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. » (TA Besançon, Ord., 17 juillet 2024).

« Il résulte de l’instruction qu’X., âgée de cinq ans, a bénéficié d’une instruction en famille pendant deux ans au moyen des ressources pédagogiques élaborées par le Centre National d’Enseignement à Distance, conformes aux programmes définis par le ministère de l’Education Nationale avec un suivi individuel par un professeur titulaire, que les rapports d’évaluation du rectorat ont conclu à la valeur pédagogique de l’enseignement qui lui était ainsi dispensé, et que les requérants ont précisé les activités sportives et culturelles pratiquées par ailleurs par leur fille et fait valoir la circonstance particulière liée à l’éducation à domicile depuis quatre ans de l’ensemble de la fratrie. Alors que la décision contestée est fondée sur le fait que les éléments présentés ne permettent pas de caractériser la situation propre de l’enfant, que l’école est en mesure de prendre en compte ses spécificités, et que le dossier ne permet pas de constater que l’instruction en famille serait la meilleure modalité d’apprentissage et de sociabilisation pour elle, le moyen tiré de ce que la commission académique, qui n’a formulé aucun grief contre le projet éducatif, ne s’est pas limitée à vérifier que la demande expose la situation propre de l’enfant définie par les parents mais a procédé à une appréciation de cette dernière en remettant en cause son existence, en méconnaissance des dispositions du 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation est, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée » (TA Nancy, 25 juillet 2024).

 

Concernant l’appréciation d’un dossier, toujours sur le fondement du motif 4, le juge des référés a pu retenir différentes approches pour étayer un peu plus la grille de lecture de ce motif.

Des décisions ont rappelé l’impact des éléments médicaux pour démontrer l’articulation du projet éducatif et son intérêt pour l’enfant :

« 9. Si le rectorat de l’académie de Poitiers soutient que, s’agissant de la situation propre de X., liée à son hypersensibilité sensorielle, son besoin de rituels marqué et son impulsivité, ses parents ne font pas état d’une situation particulière au point de déroger au principe de la scolarisation en établissement scolaire, il résulte toutefois du certificat établi le 17 mai 2024 par la psychologue qui assure le suivi de l’enfant depuis le mois de janvier 2023 que son hypersensibilité sensorielle est « très prononcée » et « pour le moment, incompatible avec un milieu scolaire classique », que son besoin de rituels est « beaucoup plus marqué que la plupart des enfants » et qu’elle se montre « très perturbée par le changement ». En outre, il ressort du contrôle de son instruction dans la famille par une inspectrice de l’Education nationale, réalisé le16 février 2024, que l’instruction de X., effectuée quotidiennement et associée à des activités extrascolaires sportives et culturelles lui permettant de fréquenter d’autres enfants, a permis à X., dont le langage est structuré et la mobilité fine maîtrisée, de développer les compétences attendues à la fin du cycle 1. Aussi, eu égard à la situation propre de X., attestée par sa psychologue qui la suit au long cours, et au contenu très détaillé du projet éducatif répondant à cette situation propre et détaillant les méthodes et outils pédagogiques mobilisés, le moyen tiré de ce que la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation est, en l’état de l’instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à sa légalité » (TA Poitiers, Ord., 26 juillet 2024).

 

« En l’état de l’instruction, eu égard aux éléments circonstanciés produits au débat attestant de la situation psychologique de X., des difficultés rencontrées par l’enfant dans le cadre de sa scolarité passée malgré les aides qui ont pu être mises en oeuvre, eu égard aussi au projet éducatif sur la base duquel les requérants ont présenté leur demande d’autorisation d’instruction en famille exposant de manière détaillée les besoins spécifiques de l’enfant et les modalités envisagées pour lui assurer dans son milieu familial, à travers des méthodes et moyens pédagogiques élaborés, la meilleure éducation possible dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, eu égard, enfin, aux activités sportives et artistiques pratiquées par Nolan en dehors du milieu familial favorisant la socialisation, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée » (TA Poitiers, Ord., 26 août 2024).

 

« Toutefois, la substitution de motifs demandée est sans incidence sur le moyen retenu, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, tiré de l’erreur manifeste d’appréciation car l’état de santé psychique de l’enfant E est, à ce jour, gravement menacé par sa scolarisation au sein d’une école » (TA Toulon, Ord., 30 août 2024).

 

Mais de plus en plus de juge prennent en considérations d’autres éléments pour apprécier la légalité des refus. Ainsi, l’historique de l’enfant au regard de l’instruction ou même la qualité du projet éducatif et sa précision, en dépit des allégations du Rectorat selon lesquelles le projet éducatif serait insuffisant, sont analysés par les juges :

« En l’état de l’instruction, le moyen tiré de ce que la commission académique de Bordeaux a commis une erreur manifeste d’appréciation est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige. En effet, le projet pédagogique produit comporte les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de X., les requérants ayant justifié que leur fille se trouvait dans une situation propre établissant que l’éducation dans la famille est la plus conforme à l’intérêt de l’enfant.

L’instruction de X. a débuté en milieu scolaire, avant qu’elle soit déscolarisée en raison d’une scolarisation très délicate pour elle ainsi qu’en atteste alors la directrice de l’établissement, avant de retourner en instruction en famille au cours de la précédente année scolaire, instruction qui, même si elle a permis des progrès de l’enfant en la rassurant, présente toujours beaucoup de difficultés à rester concentrée car elle est très sensible aux bruits, aux tensions et aux émotions des personnes qui l’entourent. La rectrice qui ne conteste pas par ailleurs le projet éducatif présenté, n’apporte pas en défense, d’éléments permettant de dire que ce projet ne serait pas élaboré conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant. Par suite, alors au demeurant que les enquêtes et bilans réalisés suite à la mise en oeuvre de cette instruction en famille sont positifs, il y a lieu d’ordonner la suspension de l’exécution de la décision du 19 juillet 2024 par laquelle la commission académique de Bordeaux a rejeté le recours administratif préalable obligatoire » (TA Pau, Ord., 2 septembre 2024).

« En l’état de l’instruction, le moyen tiré de ce que la commission académique de Paris a commis une erreur manifeste d’appréciation dès lors que l’instruction dans la famille, sur la base du projet pédagogique produit comportant les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant, est la plus conforme à l’intérêt des enfants des requérants, sont dans les circonstances de l’espèce, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige. Par suite, il y a lieu d’ordonner la suspension de l’exécution des décisions du 18 juin 2024 par laquelle la commission académique de Paris a rejeté les recours administratifs préalables obligatoires formé par M. et Mme Portier contre la décision du 22 mai 2024 du recteur de l’Académie de Paris rejetant les demandes d’autorisation d’instruction dans la famille qu’ils ont formées pour leurs fils Gabriel et Raphaël au titre de l’année scolaire 2024-2025. » (TA Paris, Ord., 27 août 2024). Précisons que le projet éducatif présentait l’âge de l’enfant (15 ans), un historique récent en instruction en famille, une scolarisation ancienne problématique et une précocité intellectuelle, outre un projet éducatif varié et complet.

 

« Pour rejeter l’autorisation sollicitée, la décision en litige retient que « … la situation propre de l’enfant n’est pas démontrée. En effet, le projet pédagogique est insuffisant. De plus, la mention du contexte, du lieu d’apprentissage et des modalités d’évaluation ne sont pas précisés. Il n’est nullement indiqué qu’il est dans l’intérêt de l’enfant de poursuivre l’instruction en famille en comparaison avec une scolarisation en établissement scolaire… ». Il résulte, toutefois, de l’instruction que les requérants ont présenté à l’administration des pièces précises sur la situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif mis en place, lequel projet détaille son contexte, ses méthodes et son rythme (pièce 4 annexé à la requête). Il résulte également de l’instruction que les contrôles de l’instruction dans la famille par l’académie de Nice ont été favorables. Par suite, les moyens tirés de l’erreur de droit et de l’erreur manifeste d’appréciation sont de nature à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. » (TA Nice, Ord., 5 septembre 2024).

 

« Il résulte des pièces du dossier, que les enfants B C, née le 31 janvier 2019 et G C né le 16 novembre 2017, qui bénéficient de la scolarisation au sein de leur famille, ont fait l’objet de contrôles par l’académie de Nice ayant donné lieu à des rapports favorables concernant leur niveau scolaire au cours des années précédentes pour lesquelles M. et Mme C ont obtenu l’autorisation de poursuivre cette scolarisation à domicile. L’enfant A C né le 4 août 2021 ne doit être scolarisé qu’à partir de la rentrée prochaine. Les dossiers de demande d’autorisation d’instruire leurs enfants à domicile déposés par M. et Mme C ne paraissent pas présenter les insuffisances qui ont motivé les décisions de rejet de leurs demandes. Par suite, il existe un doute sérieux quant à la légalité de ces décisions dont il y a lieu de suspendre l’exécution » (TA Nice, Ord., 22 août 2024).

« Le projet éducatif sur la base duquel M. C a présenté sa demande d’autorisation d’instruction en famille expose de manière détaillée la situation propre de l’enfant B, ses besoins spécifiques et les modalités envisagées pour lui assurer dans son milieu familial, à travers des méthodes et moyens pédagogiques décrits avec précision, la meilleure éducation possible dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. En l’état de l’instruction, le moyen tiré de l’inexacte application des dispositions du 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision du recteur refusant l’autorisation d’instruction en famille sollicitée par le requérant. » (TA Strasbourg, Ord., 5 août 2024).

Les juges ont également pu retenir le bilinguisme natal et son impact important dans le développement de l’enfant, justifiant qu’une scolarisation ordinaire prodigue moins de bénéfices à l’enfant qu’une instruction en famille qualitative.

« En l’espèce, X., qui dispose de la double nationalité franco-italienne, a été initiée dès sa naissance aux langues étrangères grâce à une éducation bilingue de la part de sa mère et voyage fréquemment en Italie, à Turin, où réside la branche maternelle de sa famille qui parle, pour la quasi-totalité de ses membres, uniquement l’italien. Cette identité multilingue a suscité chez l’enfant une forte curiosité intellectuelle et le goût d’apprendre les langues étrangères. Il ressort des pièces du dossier qu’elle possède ainsi, grâce à un enseignement et des lectures quotidiens, un niveau avancé pour son jeune âge, dans l’apprentissage de l’italien d’une part, et de l’anglais, d’autre part. Compte tenu de la situation propre à l’enfant motivant un projet éducatif doté d’un enseignement de deux langues étrangères en petite section de maternelle et alors que l’école maternelle publique de Y, à proximité de la petite commune de M. où se situe le domicile de la famille, est une école à classe unique regroupant trois niveaux différents, le moyen tiré de ce que la décision attaquée est entachée d’erreur d’appréciation est, par suite, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux sur sa légalité » (TA Grenoble, 23 août 2024).

Précisons que cette dernière décision verra son dénouement au fond à la fin du mois.

 

Concernant le motif lié à la situation médicale ou le handicap de l’enfant, deux décisions méritent d’être mentionnées, bien qu’elles n’innovent pas particulièrement, la jurisprudence étant assez favorable sur ce motif.

Aux fins d’illustration, deux décisions illustrant la condition d’urgence et celle tenant au doute sérieux :

« Eu égard à la proximité de la rentrée scolaire, au fait qu’X. bénéficie d’une instruction dans sa famille depuis le mois de février 2022, aux multiples troubles dys dont est atteint cet adolescent, au fait qu’il ne pourrait pas bénéficier d’un accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH) dès la rentrée scolaire prochaine et au contexte de harcèlement qui a été décrit par les requérants à l’audience, la condition relative à l’urgence exigée à l’article L. 521-1 du code de justice administrative doit, en l’espèce, être regardée comme remplie. » (TA Clermont-Ferrand, Ord., 1er août 2024).

 « Pour rejeter la demande d’autorisation d’instruction en famille présentée par Mme C pour son enfant A en raison de son état de santé, sur le fondement des disposition du 1° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation, le recteur de l’académie de Toulouse, qui s’est approprié l’avis défavorable émis à l’unanimité par la commission académique, a estimé qu’une reprise de la scolarisation de l’enfant à l’école maternelle, progressive et aménagée, était conforme à son intérêt dès lors que ses besoins particuliers, attestés par les pièces produites, peuvent être pris en charge dans le cadre d’un projet d’accueil individualisé en lien avec le médecin de l’éducation nationale et l’équipe de soin assurant sa prise en charge. Toutefois, il résulte des éléments versés à l’instruction, notamment de nature médicale, d’une part, qu’X. présente des troubles alimentaires sévères, à l’origine d’un retard de croissance et de carences multiples, associés à des reflux gastro-œsophagiens et à des troubles de l’oralité, à raison desquels il bénéficie de soins et d’un suivi médical, qui impliquent notamment de le nourrir, sous surveillance et assistance constante, de manière adaptée et fractionnée tout au long de la journée et requiert ainsi un suivi et une prise en charge individuelle quotidienne. Dans ce contexte, le certificat médical établi le 25/06/2024 par le médecin généraliste suivant l’enfant conclut que l’octroi d’une autorisation d’instruction en famille, permettant une surveillance parentale de ces troubles, lui serait bénéfique. D’autre part, le jeune A présente des troubles anxieux massifs, résultant d’un état de stress post-traumatique consécutif à des violences subies en milieu scolaire scolaires, qui ont conduit au développement d’une phobie scolaire. Dans ce contexte, le certificat médical établi les 6 mars 2024 par la psychologue clinicienne suivant l’enfant conclut qu’un retour en milieu scolaire serait préjudiciable à sa santé psychologique et à son suivi engagé depuis le mois de janvier 2024 et celui établi le 30 juin 2024 par sa pédopsychiatre conclut à la nécessité d’une scolarité à domicile. Dans ces conditions, et alors qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’état de santé de l’enfant serait compatible avec sa scolarisation dans un établissement dans le cadre de la seule mise en œuvre d’un projet d’accueil individualisé ni, à la supposée possible, que cette scolarisation serait conforme à son intérêt, le moyen tiré de ce que la décision attaquée est entachée d’erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions de l’article L. 131-5 du code de l’éducation est de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux quant à sa légalité. Il s’ensuit Mme C est fondée à en demander la suspension » (TA Toulouse, Ord., 27 août 2024).

 

Une vaste approche a donc pu être retenue par les différents juges, certains allant sur l’erreur de droit, d’autres sur l’erreur manifeste d’appréciation. Les multiples décisions favorables pour des dossiers dépourvus d’éléments médicaux représentent un bon signal même si trop de refus ne sont pas encore censurés par les juridictions. Toutefois, au regard de l’évolution de la jurisprudence depuis l’été 2022, des signaux positifs sont à retenir, confirmés par les dernières décisions au fond.

Si vous rencontrez une difficulté en droit de l’instruction en famille, n’hésitez pas à contacter le cabinet.