IEF : Quand Rouen répond, Rouen répond !
Une décision importante a été rendue en matière d’instruction en famille par le TA de Rouen (TA Rouen, Ord., 14 novembre 2024, n° 2404320).
Le juge était saisi d’un dossier posant une triple question relative au respect du calendrier de dépôt des demandes, à l’appréciation du bien-fondé d’une demande fondée sur le 2° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation (pratique sportive intensive) et à la légalité de la position du Ministère quant aux effets des mises en demeure de scolarisation.
Dans les faits, un jeune enfant, prodige de son sport (padel) souhaitait être instruit en famille du fait de l’impossibilité d’aménagements suffisants proposés par l’établissement pour affermir sa pratique. Sa demande était tardive (septembre) en raison de la fermeture soudaine de l’établissement hors contrat où il était scolarisé et qui, lui, permettait ces aménagements.
La demande refusée, nous nous tournions immédiatement vers le tribunal administratif.
Ce dernier accueilli notre requête en rendant une décision particulièrement motivée.
Sur l’urgence, l’ordonnance retient ainsi que :
« Il est constant que l’établissement privé hors contrat dénommé A. dans lequel était scolarisé le jeune X. a fait l’objet d’un arrêté de fermeture administrative à effet immédiat prononcé le 5 septembre 2024 par le préfet de l’Eure. Il est établi que les parents ont recherché une solution de scolarisation pour remédier à cette situation dont ils ne sont pas responsables. Si la solution proposée par les services rectoraux, consistant en un accueil au sein du collège Y., comporte des aménagement horaires significatifs, ces facilités, compte tenu des justifications apportées par les requérants quant au caractère nombreux des déplacements et compétitions de padel et du rythme des entraînements, ne permettent pas de concilier la pratique sportive intensive du collégien avec une présence régulière dans cet établissement, ni dans un autre. Il apparaît au contraire que l’instruction en famille, en l’occurrence avec le concours d’un organisme d’enseignement à distance dont les garanties de sérieux ne sont pas contestées par l’administration, se prête davantage à des enseignements plus nombreux dispensés de manière compatible avec la pratique sportive d’un élève figurant dans le classement de tête de sa discipline. Enfin, aucune obligation prévue par un texte de portée égale ou supérieure à l’article L. 131-5 du code de l’éducation n’impose aux parents d’un élève ne pouvant plus être accueilli dans un établissement sous le coup d’une fermeture administrative de le scolariser dans un autre établissement et de renoncer à l’instruire dans la famille. Dans ces conditions, la décision de refus attaquée crée une atteinte grave et immédiate à la situation du collégien. Par suite, la condition tenant à l’urgence à intervenir sans attendre le règlement de l’affaire au fond est remplie ».
Ce considérant est très dense dans la mesure où il rappelle que :
– la seule possibilité d’aménagements conséquents (2 journées et demies par semaine de présence) ne permet pas de refuser une demande d’autorisation justifiée par une pratique sportive intensive ;
– l’Administration est mal venue de critiquer des éléments pédagogiques (non nécessaires au demeurant sur le motif 2) d’un établissement privé à distance régulièrement déclaré et non sanctionné ;
– Seul l’intérêt de l’enfant, ici résidant dans sa pratique intensive en vue de devenir professionnel, permet d’apprécier la suite à donner à une demande ;
– Les mises en demeure de scolarisation subséquentes à une absence de scolarisation ne peuvent se voir appliquer le même régime que les mises en demeure subséquentes à deux contrôles académiques négatifs prévues par l’article L. 131-10 du code de l’éducation.
Sur la légalité, le juge des référés a retenu que :
« En l’état de l’instruction, les deux moyens visés ci-dessus, tirés d’une part, de l’erreur de droit à avoir opposé, dans les circonstances particulières de la fermeture administrative d’un établissement le 5 septembre 2024, la date butoir antérieure du 31 mai 2024 pour le dépôt de la demande d’autorisation d’instruction en famille et, d’autre part, de l’erreur d’appréciation de la situation du jeune X. sont propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision du 20 septembre 2024 attaquée ».
Ici, après avoir déjà mis en exergue les différents points mentionnés sur l’urgence, le juge retient que le Rectorat ne peut reprocher une tardiveté à une demande formulée hors délais dès lors que cela s’explique par des considérations étrangères à une absence de diligences des parents. Cette appréciation se tient dans la droite ligne des décisions rendues en référé, au fond et en cassation et renforce ce point jurisprudentiel.
Le juge retient également qu’eu égard aux intérêts de l’enfant et à ses perspectives, son intérêt est de pouvoir aller au bout de son potentiel. En outre, il a retenu notre argumentaire selon lequel une scolarisation à tout prix n’avait pas de sens. Ici le collège proposait une scolarisation le lundi matin, le mardi et le mercredi et un suivi pédagogique à distance. Une telle proposition alors même que l’enfant serait amené à manquer plus de jours encore et qu’il était prévu qu’il rattrape les évaluations manquées les jours de présence apparaissent incohérente au regard de son droit à l’instruction.
Enfin, précisons le point concernant le refus du juge de considérer la note interne du Ministère indiquant que dans le cas où un enfant est visé par une mise en demeure de scolarisation, seule une scolarisation apparaît possible sans recours à un autre mode d’instruction. Si l’article L. 131-10 du code de l’éducation prévoit bien une telle impossibilité à l’issue de contrôles académiques négatifs, aucun autre texte ne prévoit de tels effets pour les mises en demeure. Dès lors, et c’est ce que rappelle le juge, les autres mises en demeure n’emportent aucune possibilité d’instruction en famille si la demande est admise ; le Rectorat ne peut donc rejeter la demande pour ce motif.
C’est donc une décision très favorable qui a été rendue et qui a permis une chose inédite : l’invocation de l’article L. 131-5 au bénéfice des familles !