
Libre circulation : Pas de remise en cause de la valeur des diplômes d’un autre Etat membre pour refuser une autorisation d’exercice !
Le Tribunal administratif de Dijon a rendu une décision (19 mars 2024, n° 2201193)très dense et relativement intéressante, tant sur des points procéduraux propres à la procédure administrative que sur l’appréciation des candidatures des professionnelles de santé diplômé d’un pays communautaire. En l’espèce, il s’agissait d’un masseur-kinésithérapeute qui avait vu sa candidature refusée.
Dans cette affaire, le Tribunal explicite l’office de l’administration dans la procédure d’autorisation d’exercice prévue par l’article L. 4321-4 du code de la santé publique.
Avant cela, il rappelle le devoir de requalification des écritures du tribunal administratif en considérant que :
« Il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l’encontre d’une décision administrative un recours gracieux devant l’auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté. L’exercice du recours gracieux n’ayant d’autre objet que d’inviter l’auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d’un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l’autorité administrative. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, s’il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d’interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale.
Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d’annulation de M. B doivent être regardées comme dirigées, non contre les seules décisions, par lesquelles le préfet de la région Bourgogne-Franche-Comté a rejeté son recours gracieux, et la ministre son recours hiérarchique, mais également contre la décision implicite de rejet initiale […]
[…] En soutenant que « l’administration ne fait référence à aucune base légale », le requérant, nonobstant sa représentation par un conseil, doit être regardé comme ayant entendu soulever un moyen tiré du défaut de motivation en droit de la décision attaquée du 4 janvier 2022 […] ».
Par cette décision, particulièrement les trois considérants qui viennent d’être cités, le tribunal administratif rappelle l’étendue de l’office du juge administratif qui doit non seulement requalifier les moyens mal formulés – ici l’insuffisance de motivation – mais également rechercher quelle décision est véritablement attaquée en dépit des insuffisances de la requête à cet égard.
Ce faisant, il affirme son rôle protecteur des administrés et assure leur droit au recours.
Précisons, faits relativement rares, que le tribunal exerce cet office « nonobstant sa représentation » ; habituellement, le juge administratif n’applique ce double secours des écritures qu’aux requérants dépourvus de représentation.
Après ce point procédural, le tribunal a rendu une décision très intéressante sur le fond de l’appréciation des candidatures des masseurs-kinésithérapeutes originaire d’un autre Etat membre en vue d’obtenir l’autorisation d’exercer en France.
Après avoir rappelé les dispositions de la Directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 et les dispositions de l’article L. L. 4321-4 du code de la santé publique précité, il a explicité le cadre légal applicable à cette procédure et a précisé les pouvoirs de l’administration en la matière.
Il a commencé par relever, conformément au cadre légal en vigueur, que :
« 8. D’une part, il résulte de la combinaison des dispositions précitées que, lorsque la profession de masseur-kinésithérapeute est réglementée dans l’État membre d’origine, son exercice en France n’est subordonné qu’à la seule justification de titres de formations permettant d’exercer légalement celle-ci dans l’État d’origine. En revanche, lorsque la profession n’est pas réglementée dans l’État membre d’origine, l’exercice en France peut être admis à la condition, pour la personne intéressée, de justifier à la fois de titres de formations ou d’attestations de compétences délivrés dans l’État membre d’origine, et d’une pratique de la discipline dans cet Etat membre, à temps plein pendant un an au moins au cours des dix dernières années, ou à temps partiel pendant une durée correspondante au cours de la même période ».
Après avoir rappelé ce point procédural, il a précisé le pouvoir d’appréciation dont dispose l’administration pour porter une appréciation sur la valeur du diplôme communautaire présenté est encadré par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne :
« D’autre part, par son arrêt C-577/20 du 16 juin 2022, Sosiaali- ja terveysalan lupa- ja valvontavirasto, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit, que les articles 45 et 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, lus en combinaison avec l’article 4, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens que l’autorité compétente de l’État membre d’accueil, saisie d’une demande d’autorisation d’exercer une profession réglementée dans cet État membre, est tenue de considérer comme véridique un diplôme délivré par l’autorité d’un autre État membre et ne saurait, en principe, remettre en cause le degré des connaissances et des qualifications que ce diplôme permet de présumer acquis par le demandeur. »
Ainsi, une présomption permet à tout détenteur d’un diplôme d’une profession règlementée d’un pays membre de l’Union Européenne de se voir réputer disposer des connaissances et compétences attendues, en France, pour un tel diplôme.
Cependant, la Cour communautaire a naturellement prévu un garde-fou, comme le rappelle le juge administratif, lorsque des indices concordants laissent penser que le diplôme ne reflète pas le degré des connaissances et des qualifications qu’il permet de présumer acquis, :
« Ce n’est que lorsqu’elle éprouve des doutes sérieux, fondés sur des éléments concrets constitutifs d’un faisceau concordant d’indices qui donnent à penser que le diplôme dont se prévaut ce demandeur ne reflète pas le degré des connaissances et des qualifications qu’il permet de présumer acquis par celui-ci, que cette autorité peut demander à l’autorité émettrice de réexaminer, à la lumière de ces éléments, le bien-fondé de la délivrance dudit diplôme, cette dernière autorité devant, le cas échéant, le retirer. Au nombre desdits éléments concrets, peuvent figurer, le cas échéant, notamment, des informations transmises tant par des personnes autres que les organisateurs de la formation concernée que par les autorités d’un autre État membre agissant dans le cadre de leurs fonctions. Lorsque l’autorité émettrice a réexaminé, à la lumière desdits éléments, le bien-fondé de la délivrance de celui-ci, sans le retirer, ce n’est qu’à titre exceptionnel, au cas où les circonstances de l’espèce révéleraient de manière manifeste l’absence de véracité du diplôme concerné, que l’autorité de l’État membre d’accueil peut remettre en cause le bien-fondé de la délivrance dudit diplôme ».
Dans l’espèce que jugeait le tribunal, le Préfet avait refusé l’autorisation d’exercer d’un diplômé du Portugal en raison d’un faisceau d’indices, alors même que les autorités portugaises n’avaient ni répondu au réexamen, ni retiré le diplôme.
Surtout, les autorités françaises n’avaient pas tant sollicité le réexamen de la diplomation du masseur-kinésithérapeutes que des informations sur la formation délivrée par l’organisme ayant délivré le diplôme.
Or, en l’absence de l’une de ces deux hypothèses, le Préfet ne disposait d’aucun pouvoir pour apprécier le bien-fondé de la délivrance du diplôme à l’intéressé et, par suite, a refuser sa candidature.
Il a donc censuré la décision du Préfet en retenant que :
« les autorités françaises, eu égard à l’ensemble des circonstances que fait valoir le préfet de la région Bourgogne-Franche-Comté et rappelées au point 10 du présent jugement, susceptibles de constituer des éléments concrets constitutifs d’un faisceau concordant d’indices donnant à penser que le diplôme dont se prévaut M. B ne reflète pas le degré des connaissances et des qualifications qu’il permet de présumer acquis, étaient fondées à demander aux autorités portugaises de réexaminer à la lumière de ces éléments, le bien-fondé de la délivrance de ce diplôme. Néanmoins, les autorités françaises se sont bornées dans leur communication aux autorités portugaises par l’intermédiaire de l’Internal Market information system (IMI), après avoir rappelé succinctement la situation en France du CLESI et l’obtention par M. B de « 90 % de ses notes » dans cet établissement, à demander « des éléments de précision sur le contenu de la formation d’Essalta », sans demander explicitement aux autorités portugaises de réexaminer le bien-fondé de la délivrance du diplôme obtenu par l’intéressé. En l’absence d’une telle demande et d’un refus des autorités portugaises de retrait de ce diplôme, les autorités françaises ne pouvaient remettre en cause le degré des connaissances et qualifications que le diplôme litigieux permet de présumer et opposer comme unique motif des décisions attaquées la circonstance que « les études suivies au centre libre d’enseignement supérieur international (CLESI) ne seraient pas reconnues par les autorités françaises », comme le soutient à juste titre le requérant. Par suite, M. B est fondé à soutenir que le préfet de la région Bourgogne-Franche-Comté a commis une erreur de droit et à demander l’annulation de la décision implicite de rejet par ce préfet de la demande de l’intéressé de délivrance de l’autorisation d’exercer la profession de masseur-kinésithérapeute en France, de la décision du 4 janvier 2022, par laquelle ce préfet a rejeté son recours gracieux et de la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique. »
Le Préfet ne dispose que du pouvoir de demander le réexamen du bien-fondé de la délivrance du diplôme et, dans des cas très exceptionnel, en dépit d’un retrait de la diplomation de refuser l’autorisation d’exercice.
En revanche, il ne dispose d’aucun pouvoir pour apprécier la formation délivrée par un organisme d’un autre Etat membre sous peine d’erreur de droit.
Le tribunal a donc censuré le refus d’autorisation et fait droit aux demandes du requérant.
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