Droit des élèves en situation de handicap dans les établissement d’enseignement privé
Les établissements d’enseignement privés, qu’ils soient sous ou hors contrat avec l’État, sont soumis à des obligations légales en matière d’accueil, de prise en charge et d’adaptation pour les élèves en situation de handicap. Ces obligations découlent des principes fondamentaux de non-discrimination, de droit à l’éducation et d’égalité des chances, garantis par plusieurs textes nationaux[1] et internationaux[2]. Nous faisons le point sur les cas de refus d’admission des élèves, de radiation et de refus d’aménagements spécifiques. L’article s’intéresse en particulier aux écoles primaires, aux collèges et aux lycées, même si l’essentiel des règles serait applicable également dans le supérieur.
I. Refus d’admission des élèves en situation de handicap par les écoles privées
L’inscription d’un élève, en situation de handicap ou non – est une prérogative du chef d’établissement de l’école privée, qui dispose en la matière d’une grande marge d’appréciation. Toutefois, cette faculté doit être exercée sans discrimination et dans le respect de la liberté de conscience[3] ainsi que des dispositions sur l’orientation[4].
C’est ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme a précisé que l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantissant le droit à la non-discrimination devait être lu au regard des aménagements raisonnables[5] que les personnes en situation de handicap sont en droit d’attendre, aux fins de se voir assurer « la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales »[6]. Ainsi les établissements privés ne peuvent refuser l’inscription d’un élève handicapé en raison de son handicap que ce soit dans le primaire, le secondaire[7], ou dans l’enseignement supérieur sauf à justifier de l’impossibilité de les scolariser.[8]
Le juge judiciaire, compétent pour les litiges entre élèves et écoles privées, rappelle que si l’école privée dispose de la faculté d’admettre les élèves qu’elle souhaite, ce pouvoir de décision ne l’autorise pas à refuser une admission de manière discriminatoire. Il juge que constitue une discrimination le refus d’admission dans une école privée opposé à un enfant atteint de trisomie 21 au motif que le nombre d’enfants en situation de handicap accueillis à l’école ne permettait pas l’inscription de l’enfant petite section pour la rentrée 2021. A l’occasion du même litige, le tribunal judiciaire précise que dans cette hypothèse, il incombe à l’école d’établir que les conséquences de cette admission seraient dommageables pour le bon fonctionnement de l’établissement et/ou que les conditions de l’admission de l’enfant du fait de son handicap, sont très difficiles à mettre en œuvre, voir insurmontables (par exemple, un établissement scolaire ne disposant pas de locaux aménageables ou compatibles avec des appareillages importants concernant des handicaps physiques lourds)[11].
Le défenseur des Droits est régulièrement saisie par des parents dont un refus d’admission de leur enfant leur a été opposé en raison de son handicap. A l’occasion d’une telle réclamation, l’institution estime que le refus d’inscription en classe de 6ème opposé à l’enfant atteint de troubles du spectre autistique par le collège constitue une discrimination fondée sur le handicap de l’enfant dans son droit à l’éducation. Elle conclut également que les circonstances entourant ce refus ont porté atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi qu’à son droit d’être protégé contre toutes les formes de violence[9]. Dans une autre affaire, le Défenseur des Droits a considéré que constituait une discrimination le refus opposé à un candidat en situation de cécité pour le passage des tests de présélection en mastère eu égard à l’impossibilité pratique de l’établissement d’adapter la formation à son handicap[10].
II. Radiation ou exclusion d’un élève en situation de handicap
De même que, si un établissement d’enseignement privé ne peut fonder le refus d’admission d’un élève en raison de son handicap, il ne peut non plus le radier pour ce motif. Ces cas sont plus rares, mais le Défenseur des droits estime que constitue une discrimination fondée sur la situation de handicap de l’enfant la radiation définitive d’un élève autiste âgé de douze ans, d’un établissement privé sous contrat d’association avec l’État trois jours après la rentrée scolaire [12].
III. Les aménagements pédagogiques au bénéfice des élèves en situation de handicap
Les établissements doivent prévoir des aménagements personnalisés pour garantir l’accès à l’enseignement des personnes handicapés et l’égalité des chances.
Selon l’article 2 de la CIDPH, la discrimination fondée sur le handicap comprend toutes les formes de discrimination, y compris le refus d’aménagements raisonnables.
Les aménagements raisonnables sont ainsi définis comme « les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales » [13].
Dans ce sens, la CEDH a condamné l’Italie, pour avoir refusé à une élève autiste une aide spécialisée en raison d’un manque de ressources financières, sans chercher à ménager un juste équilibre entre les besoins éducatifs et la capacité de l’administration à y répondre, en violation ’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme[14].
En France, ces aménagements peuvent prendre plusieurs formes selon les besoins de l’élève, tels que la mise en place de plans d’accompagnement personnalisé pour les élèves ayant des besoins éducatifs particuliers (ex. : troubles DYS), ou de projets personnalisés de scolarisation (PPS) pour les élèves en situation de handicap plus complexe, en lien avec la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH).
D’ailleurs, la mise en place d’un accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH) est obligatoire si le PPS (octroyé par la MDPH) le prévoit.
En outre, l’étudiant au sein d’un établissement d’enseignement privé doit pouvoir bénéficier des aménagements d’examens en raison de son état de santé, tel que du temps supplémentaire, des supports adaptés, ou bien des locaux spécifiques. A cet égard, le juge a eu l’occasion de préciser que commet donc une faute, l’école privée qui n’a pas mis en œuvre les aménagements d’épreuves indispensables à l’élève déficient auditif[15]. En l’espèce, un avis la commission des droits de l’autonomie des personnes handicapées préconisait pour l’élève déficiente auditive le bénéfice d’une majoration d’un tiers de temps pour toutes les épreuves écrites pratiques ou orales, ainsi que la faculté d’utiliser son micro-ordinateur équipé de logiciels habituels de traitement de texte. Le médecin préconisait également la dispense de l’ensemble de l’épreuve de langue vivante, la mise en place d’un système de réponses données par écrit lors des épreuves orales et la présence d’un interprète. Toutefois, l’école a seulement octroyé au cas présent un tiers de temps supplémentaire pour les examens finaux et dispensé son étudiante des cours de chinois et d’anglais. Le tribunal a alors estimé l’élève n’avait pas bénéficié de tous les aménagements rendus nécessaires par son handicap de nature à lui garantir l’égalité de ses chances par rapport aux autres étudiants
IV Voyages scolaires des élèves en situation de handicap
Les établissements doivent également prévoir des aménagements personnalisés pour garantir l’accès à aux évènements de la vie scolaire aux personnes handicapées.
Le juge judiciaire a notamment pu juger que constitue une discrimination l’exclusion d’un élève handicapé d’un voyage scolaire en raison de son handicap ( TGI Toulouse, pôle civil, fil 3, 16 juin 2017, n° 16/01340).
Il précise notamment que l’établissement a évalué de manière unilatérale les besoins en accompagnement de l’élève et l’a exclue du voyage, alors qu’une solution alternative aurait pu être trouvée.
Dans le même sens, le Défenseur de droit considère qu’est une atteinte discriminatoire au droit à l’éducation l’exclusion d’un voyage scolaire d’une élève fondée sur son état de santé au sens de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 et à une atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant. (Décision du Défenseur des droits n° 2019-098, 19 juillet 2019).
[1] Constitution 1958, Al.13 du préambule de la Const.1946 ; Code de l’éducation (Article L. 111-1 et L.111-2) ; Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ((art. L.112-2 du code de l’éducation).
[2] Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (ONU, 2006) ; 1er protocole additionnel CESDH.
[3] Art. L442‑1 du Code de l’Éducation
[4] Art. D331-39 du Code de l’Éducation
[5] article 2 de la CIDPH
[6] CEDH, CAM c. Turquie, 23 mai 2016, n°51500/08
[7] Article L. 131-1-1 du Code de l’éducation.
[8] Article L.123-4-2.
[9] Décision du Défenseur des droits n°2021-249 du 19 novembre 2021 – 2021-249.
[10]Décision 2023-033 du 5 avril 2023 relative au refus d’un établissement d’enseignement supérieur d’inscrire un étudiant en situation de cécité aux tests de présélection d’entrée à une formation en raison de l’inadaptation de celle-ci pour les personnes en situation de handicap visuel.
[11] TJ Marseille, 2e ch. cab4, 14 mai 2024, n° 22/10592.
[12] décision 2018-046 du 26 février 2018 relative à la radiation d’un enfant porteur de handicap scolarisé au sein d’un établissement privé sous contrat d’association avec l’État
[13] art. 2 de la CIDPH
[14] CEDH, Cour (première section), AFFAIRE G.L. c. ITALIE, 10 septembre 2020, 59751/15
[15] TGI Paris, 5e ch. 1re sect., 18 avril 2017, n° 15/09342