
Le contentieux de l’Instruction En Famille
Après avoir jouit d’une liberté déclarative d’instruire son enfant en famille – ce que l’on appelle également l’école à la maison – la loi de 2021 a bouleversé le régime de l’instruction en famille (IEF). Ce dernier est à présent régi par les dispositions des articles L. 135-1 et suivants du Code de l’éducation.
Les familles devant désormais présenter des dossiers de demandes fondés sur un des quatre motifs se sont, majoritairement, heurtées à au moins un premier rejet de leur demande. Devant cette situation, les RAPO et les recours devant le tribunal administratif se sont multipliés.
A l’orée de la nouvelle saison de demande d’autorisation qui ouvrira le 1er mars prochain, un point sur le contentieux de l’IEF apparaît utile.
Concernant la phase précontentieuse, elle ne fait pas l’objet de cet article consacré au contentieux mais ce dernier peut naturellement éclairer la rédaction d’un recours administratif préalable obligatoire[1].
Au contentieux, deux voies sont possibles : le REP et le référé-suspension. L’office du juge n’y est pas le même et, en matière d’instruction en famille, on peut relever une différence d’approches. Il existe bien plus de victoires au fond, c’est-à-dire en REP, qu’en référé. Cela s’explique d’une part par la condition d’urgence nécessaire au référé et, d’autre part, que la majorité des juges préfèrent ne pas trancher en faveur de l’IEF seuls.
Les éléments qui vont être évoqués ici sont applicables à ces deux procédures.
Les moyens de forme
En matière d’instruction en famille, les moyens de forme sont à proscrire la plupart du temps. Les erreurs de date, de prénoms ou de lieu n’emportent aucune conséquence dans la jurisprudence administrative.
En revanche, les moyens tenant à la compétence de l’auteur de l’acte, puisqu’ils sont d’ordre publics, peuvent tout à fait aboutir lorsqu’ils sont fondés.
Ainsi, la Commission d’examen des RAPO doit être régulièrement composée[2] sous peine de voir la décision entachée d’incompétence. Cependant, si le quorum est atteint, le nombre supérieur de membre à celui prévu n’affecte pas la légalité de l’acte.
Si l’examen est soumis à un délai d’un mois et de cinq jours concernant la communication de la décision, le non-respect de ces dispositions[3] emporte seulement la naissance d’une décision implicite de rejet après deux mois sans retours (Conseil d’État, 13 décembre 2022, n° 462274). Cependant, une Cour administrative d’appel a pu retenir que :
« Ce recours, réceptionné le 4 mai 2022, bien que n’étant pas adressé à la commission compétente pour en connaître, devait, par application des dispositions précitées de l’article L. 114-2 du code des relations entre l’administration et le public, être transmis pour examen à la commission mentionnée à l’article D. 131-11-10 du code de l’éducation. Or en l’espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette commission, dont la saisine constitue une garantie pour les personnes s’étant vu refuser l’autorisation d’instruire leur enfant en famille, se soit réunie avant la naissance, le 4 juillet 2022, de la décision implicite de rejet du recours de M. et Mme A…. » (CAA Lyon, 6e ch., 3 juin 2024, n° 23LY02550)
Il est donc possible de retenir, en accord avec la décision du Conseil d’Etat, que la Commission doit au moins s’être réunie et avoir examiné le RAPO sous peine d’annulation pour incompétence de sa décision.
Cependant, à l’instar des autres moyens de forme, si cela permet d’obtenir l’annulation, cela ne permet en aucun cas d’obtenir l’autorisation puisque seul un réexamen est ordonné.
Il est donc nécessaire d’invoquer des moyens de fonds fondés.
Les moyens de légalité
Les erreurs de droit
Deux erreurs de droit sont invocables en IEF sur un refus d’instruction en famille sur le motif 4 et une pour les motifs 1 et 2.
Concernant le motif 4, la première erreur de droit invocable, soutenue depuis les premiers litiges sur le décret de l’instruction en famille, est celle tirée de ce que le Rectorat ne saurait s’arroger un pouvoir d’appréciation sur ce qui serait une « situation propre » au sens de l’article L. 131-5 du code de l’éducation.
Au titre du motif 4, le Conseil d’Etat exige de démontrer l’articulation du projet éducatif à la situation décrite et étayée et d’effectuer une balance des intérêts entre les deux voies d’instruction possibles : scolarisation et instruction en famille. La situation propre doit être décrite pour pouvoir démontrer l’articulation selon les mots du rapporteur public.
Toutefois, rien n’est dit explicitement concernant le contrôle du Rectorat sur la notion, laquelle, au demeurant, n’a jamais été définie.
Différentes juridictions ont pu retenir ce moyen (par ex : TA Rouen, 16 juillet 2024, n° 2303172) mais son accueil reste contrasté chez les juges du fond. Le Conseil d’Etat n’a pas, lui, formellement trancher ce point.
Outre cette erreur de droit, un autre moyen peut être tiré quant au contrôle que peut exercer le Rectorat sur le projet éducatif. Le Conseil d’Etat jugeant que seuls les éléments essentiels de la pédagogie doivent être contrôlées mais exigeant une balance des intérêts, supposant un contrôle, au moins a minima, du contenu du projet éducatif.
Cependant, souvent les Rectorats vont loin et dénombres les heures d’instruction formelle, exigent les éléments précis de suivi de la progression ou encore, remettent en cause la qualité pédagogique du projet.
Aucun tribunal n’a encore l’occasion de trancher cette deuxième question mais l’été prochain devrait y apporter son lot de réponse.
Enfin, une troisième question devrait prendre de l’ampleur. A savoir, la mise en demeure de scolariser à la suite d’un défaut d’inscription dans un établissement scolaire entraine t elle de facto les effets de celles faisant suite à une mise en demeure, et donc empêche tout autorisation d’instruire en famille pour l’année concernée et l’année suivante ? La juridiction administrative n’a eu l’occasion d’y répondre qu’une seule fois, par la négative, en censurant l’administration (TA Rouen, Ord., 14 novembre 2024, n° 2404320).
Sur le motif 1, l’erreur de droit est tirée de ce que le Rectorat considère que la situation médicale, ou le handicap, ne fait pas obstacle à la scolarisation, qu’il puisse être pris en charge ou non. En la matière, le Conseil d’Etat s’est montré limpide :
« appartient à l’autorité administrative, régulièrement saisie d’une demande en ce sens, d’autoriser l’instruction d’un enfant dans sa famille lorsqu’il est établi que son état de santé rend impossible sa scolarisation dans un établissement d’enseignement public ou privé ou lorsque l’instruction dans sa famille est, en raison de cet état de santé, la plus conforme à son intérêt » (Conseil d’Etat, 13 décembre 2022, n° 466623).
En la matière, les certificats médicaux suffisamment étayés font loi (par ex : TA Limoges, 28 août 2023, n° 2301433) et les juges suivent les préconisations médicales.
Sur le motif 2, le moyen tiré de ce que l’instruction en famille n’a pas à nécessairement se dérouler dans la famille a pu être admis par les juridictions administratives, permettant ainsi à des enfants pratiquant une activité sportive ou culturelle intensive d’intégrer des pensionnats spécialisés et de recevoir l’instruction en famille à distance (par ex : TA Montpellier, Ord., 5 juillet 2024, n° 2403496 ; TA Rouen, Ord., 14 novembre 2024, n° 2404320).
Là encore, les juges administratifs se montrent finalistes et dès lors que le volume horaire de l’activité
L’erreur d’appréciation
Ensuite, il y a l’erreur d’appréciation – et non l’erreur manifeste d’appréciation. Les juges exercent un contrôle entier sur le dossier et ne doivent pas se limiter à l’erreur manifeste (par ex : NANTES, 1ère chambre, 09/06/2023, 22NT03860).
L’actualité jurisprudentielle de l’instruction en famille a été enrichie récemment par différentes juridictions ce qui permet de tracer un début de sillon jurisprudentiel, à défaut de disposer d’une notion sérieusement définie.
Par deux décisions rendues par le même tribunal, le juge administratif a rappelé à l’administration son obligation d’examen sérieux des dossiers. Cette dernière ne peut se contenter de simples allégations afférentes à des manques du dossier de demandes et lorsque ces dernières s’avèrent infondées, la décision encourt l’annulation :
« Il ressort des pièces du dossier que M A a sollicité le 1er juin 2023 la délivrance pour l’année scolaire 2023-2024 d’une autorisation d’instruction dans la famille en raison de l’existence d’une situation propre à son fils E, né le 13 juin 2012. Elle a exercé le 20 juin 2023 le recours préalable obligatoire à l’encontre du refus de la directrice académique des services de l’éducation nationale de lui accorder cette autorisation. Il résulte des termes de la décision de la commission qu’elle comporte une erreur sur la date de naissance de l’enfant, une erreur sur la date du dépôt de la demande et une erreur sur la date du recours préalable. La décision mentionne également à tort que l’enfant n’est plus soumis à l’instruction obligatoire et que la demande d’instruction dans la famille a été faite au titre de l’itinérance de la famille, alors que l’enfant réside à Boulogne- Billancourt et que cette demande a été faite au titre de l’existence d’une situation propre à l’enfant. Ces erreurs réitérées sur la nature de la demande et sur la personne de l’enfant révèlent un défaut d’examen de la demande d’autorisation de M A. Par suite, cette dernière est fondée à en demander l’annulation.
Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, qu’il y a lieu d’annuler la décision de la commission de l’académie de Versailles du 18 juillet 2023. » (TA Cergy-Pontoise, 6 février 2024, n° 2311251).« Pour refuser la demande d’instruction dans la famille des requérants, la commission a considéré que « la partie pédagogique du projet éducatif se contente d’utiliser la plaquette commerciale d’un organisme d’enseignement à distance sans adaptation à la situation de l’enfant ». Il ressort toutefois des pièces du dossier que la demande déposée le 25 avril 2022 auprès du recteur comportait en annexe 10 une pièce intitulée « projet éducatif » de 8 pages qui comportait les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant et correspondait aux rubriques à précitées. Cette pièce était assortie du diplôme de la personne chargée d’instruire l’enfant. La demande d’autorisation d’instruction dans la famille était ainsi conforme aux dispositions précitées. Dès lors les requérants sont fondés à soutenir que la commission a entaché sa décision d’une erreur de fait » (TA Cergy-Pontoise, 6 février 2024, n° 2213603).
Tout d’abord une première décision du Tribunal administratif de Nancy se fonde sur des éléments médicaux (certificats de psychologue) et traite une question plus courante qu’il n’y paraît, celle de la gémellité.
La décision retient que les liens existants entre les jumeaux et les subséquences potentielles en cas de séparation non préparée inclinent à retenir que l’instruction en famille est la voie d’instruction la plus conforme à l’intérêt de l’enfant.
Dans le détail, le tribunal juge que :
« Il ressort des pièces du dossier et notamment de l’attestation établie par une psychologue du centre hospitalier régional universitaire de Nancy le 29 juillet 2024 que X. a besoin d’un temps conséquent pour communiquer avec des personnes non familières et qu’il réagit mal à toute tentative de forçage pouvant générer des épisodes de violence pendant plusieurs jours. Cette professionnelle de santé ajoute que l’entrée à l’école pourrait se révéler déstabilisante pour X., au regard de ses particularités comportementales et relationnelles observées lors de la consultation, l’instruction dans la famille pouvant répondre à un besoin temporaire de cet enfant. La psychologue précise enfin que X. et sa sœur, nés grands prématurés, ont, en raison de leur gémellité, développé des liens forts les unissant, si bien que toute séparation non programmée ou imposée est source d’angoisse massive. Au regard de ces éléments, du comportement de X. et des liens unissant ce dernier à sa sœur, les requérants sont fondés à soutenir que le service a commis une erreur d’appréciation au regard des dispositions précitées en estimant que ces éléments ne permettaient pas d’établir la réalité d’une situation propre des enfants des requérants, de nature à fonder la délivrance d’une autorisation de les instruire dans la famille solution qui, en l’absence de précision apportée par le recteur quant à la nature des aménagements spécifiques pouvant être mis en œuvre, apparait comme étant, de manière au moins temporaire, la solution la plus conforme aux intérêts de X. et de Y.. » (TA Nancy, 13 février 2025, n° 2402426 et 2402428).
Le juge a également pu accueillir la structure familiale pour retenir l’existence d’une situation propre. Ainsi, la pratique de l’instruction en famille par les ainés de la fratrie est de nature à justifier l’autorisation : Le tribunal administratif de Poitiers a en effet retenu que la situation propre de l’enfant, au sens des dispositions précitées, était constituée en cas de pratique de l’instruction en famille par ses ainés :
« Il ressort des pièces du dossier que la circonstance particulière liée à l’éducation à domicile de l’ensemble de la fratrie du jeune X. est exposée dans le dossier de demande, qui fait également état des résultats de contrôles positifs obtenus sur cette éducation, qui ne sont pas contestés. Les requérants établissent ainsi l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif. » (TA Poitiers, 30 mai 2024, n° 2202583 ; TA Cergy-Pontoise, Ord., 10 octobre 2023).
Il a également été jugé qu’une situation bilingue et binationale justifiait une pratique de l’instruction en famille puisque seule cette dernière pouvait répondre opportunément à la situation de l’enfant, surtout lorsque l’ainée de l’enfant était autorisée à recevoir l’instruction en famille :
« Toutefois, il ressort des pièces du dossier, en particulier du projet pédagogique élaboré pour l’enfant, que A. dispose d’une double nationalité, française et américaine, et qu’une partie de sa famille maternelle vit aux États-Unis, pays dans lequel il se rend régulièrement avec ses parents. À cet égard, les requérants font valoir que leur projet pédagogique inclut une part significative d’apprentissages en anglais des différentes matières scolaires, afin que A. développe, outre sa pratique de l’anglais américain, une double culture, notamment dans la perspective d’une future installation de la famille aux États-Unis et partant, d’une scolarisation et d’une socialisation dans une école américaine. Il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard à la situation personnelle et professionnelle des requérants, que ce projet présenterait un caractère purement hypothétique ou éventuel. Si, ainsi que le soutient le rectorat en défense, la scolarisation en établissement public ou privé ne saurait avoir pour objet ni pour effet d’empêcher leur fils de bénéficier du bilinguisme de sa mère et de continuer à apprendre l’anglais, il n’est toutefois pas contesté que A. ne peut y bénéficier d’un enseignement des matières scolaires en partie en anglais américain et d’un enseignement comparable de la culture américaine. Au surplus, il ressort des pièces du dossier que la sœur de A., B., âgée de quatre ans, a été autorisée à être instruite dans la famille pour l’année scolaire 2024/2025 sans que le rectorat n’apporte aucun élément permettant de comprendre l’appréciation distincte portée sur la situation des deux membres de la fratrie. Ainsi, dans les circonstances de l’espèce, les requérants sont fondés à soutenir que la commission académique, qui n’a d’ailleurs pas contesté l’existence d’une situation propre à A. motivant le projet éducatif d’enseignement, ni le fait que ce projet pédagogique répondait à la situation particulière de l’enfant, ainsi qu’aux exigences pédagogiques rappelées au point 2, a commis une erreur d’appréciation en considérant que l’instruction en famille n’était pas en l’espèce, au regard de ces éléments, la solution la plus conforme à l’intérêt de leur enfant. » (TA Nancy, 13 février 2025, n° 2401617).
Sur la question du bilinguisme, notons que la Cour administrative d’appel de Versailles est venue confirmer cette approche (CAA Versailles, 12 février 2025).
Souvent, les enfants atteints de troubles ont besoin d’aménagements. Toutefois, les jeunes enfants sont souvent trop jeunes pour un diagnostic. A cet égard, le juge administratif est venu préciser que l’absence de diagnostic formel n’était pas un obstacle lorsqu’il y a suffisamment d’éléments concordant (TA Dijon, 29 novembre 2024, n° 2402741).
La situation propre à l’enfant n’étant, naturellement, pas seulement d’ordre médical, la continuité pédagogique est reconnue comme fondant une situation propre justifiant un projet éducatif sérieux (car contrôlé les années précédentes) :
Par une décision récente, le Tribunal administratif de Limoges a pu reconnaître qu’un enfant ayant bénéficié, lors des deux années précédentes, d’une autorisation d’instruction en famille devait se voir délivrer, sauf circonstances nouvelles le justifiant, une nouvelle autorisation d’instruction en famille.
Précisons que ce dernier moyen est également accueilli au titre de l’urgence pour fonder l’introduction d’un référé-suspension.
En effet, sauf à se retrancher derrière une appréciation erratique, les mêmes causes doivent produire les mêmes effets. C’est ce qu’a rappelé le juge administratif récemment :
« […] D’autre part, il résulte de l’instruction que l’enfant des requérants a bénéficié d’une autorisation de recevoir l’instruction de la famille à compter de l’année scolaire 2022-2023, renouvelée pour l’année 2023-2024. Ces autorisations ont toutes été délivrées pour le motif visé par le 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation, soit l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif. Par ailleurs, les enquêtes et bilans réalisés suite à la mise en œuvre de cette instruction en famille sont positifs. […] Ainsi, en l’état de l’instruction, le moyen tiré de ce que le rectorat de Limoges a commis une erreur d’appréciation est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision » (TA Limoges, 25 sept. 2024, n° 2401667 ; TA Rouen, Ord., TA, 11 juillet 2023, n° 2302053 ; TA Rouen, 15 juillet 2023, n° 2202626).
Le juge administratif retient également qu’une pédagogie alternative à celle de l’instruction publique dispensée dans les établissements scolaires, dont la qualité est corroborée par les résultats des contrôles académiques des ainés fonde la demande d’autorisation (TA Cergy-Pontoise, Ord., 10 octobre 2023).
En outre, aucune situation spécifique ou particulière n’a à être mise en évidence ; elle n’a qu’à être « propre ». Ainsi, lorsque le projet éducatif conforme, et proposant de surcroît des pédagogies alternatives à celles du service public, l’autorisation doit être délivrée :
« Il résulte de l’instruction qu’X. a bénéficié d’une instruction en famille depuis la classe de CM1 à la suite de troubles en CP et CE se manifestant notamment par des TICS, une hypersensibilité au bruit et une absence d’apprentissages dans ces deux classes. Il est constant que les comptes rendus d’évaluation y compris ceux de 2023 et 2024 versés au dossier ont conduit à la reconnaissance de la valeur pédagogique de l’enseignement dispensé par sa mère, éducatrice sportive. En outre, l’enseignement assuré à domicile et dispensé également à sa sœur aînée a mobilisé des méthodes relevant de la pédagogie alternative dite Montessori et de la pédagogie Freinet qui ne sont pas pratiquées au sein du service public de l’éducation nationale et qui ont été validées au cours de ces mêmes inspections. Enfin, l’organisation de l’instruction des enfants de la famille prévoit également des projets de manière collective ainsi que des cours de langues et des ateliers créatifs pour le frère et la sœur. Pour autant la décision attaquée est fondée sur l’absence de spécificité particulière permettant d’attester l’existence d’une situation propre à l’enfant et sur un projet éducatif reposant sur les ressources proposées par le CNED dont les contenus et l’organisation des enseignements sont identiques à ceux proposés en établissement scolaire. En conséquence, en l’état de l’instruction, le moyen tiré de ce que la décision en litige serait entachée d’une erreur de droit est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée. » (TA Besançon, Ord., 17 juillet 2024).
« Il résulte de l’instruction qu’X., âgée de cinq ans, a bénéficié d’une instruction en famille pendant deux ans au moyen des ressources pédagogiques élaborées par le Centre National d’Enseignement à Distance, conformes aux programmes définis par le ministère de l’Education Nationale avec un suivi individuel par un professeur titulaire, que les rapports d’évaluation du rectorat ont conclu à la valeur pédagogique de l’enseignement qui lui était ainsi dispensé, et que les requérants ont précisé les activités sportives et culturelles pratiquées par ailleurs par leur fille et fait valoir la circonstance particulière liée à l’éducation à domicile depuis quatre ans de l’ensemble de la fratrie. Alors que la décision contestée est fondée sur le fait que les éléments présentés ne permettent pas de caractériser la situation propre de l’enfant, que l’école est en mesure de prendre en compte ses spécificités, et que le dossier ne permet pas de constater que l’instruction en famille serait la meilleure modalité d’apprentissage et de sociabilisation pour elle, le moyen tiré de ce que la commission académique, qui n’a formulé aucun grief contre le projet éducatif, ne s’est pas limitée à vérifier que la demande expose la situation propre de l’enfant définie par les parents mais a procédé à une appréciation de cette dernière en remettant en cause son existence, en méconnaissance des dispositions du 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation est, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée » (TA Nancy, 25 juillet 2024).
Beaucoup de décisions rappellent l’impact des éléments médicaux pour démontrer l’articulation du projet éducatif et son intérêt pour l’enfant :
« 9. Si le rectorat de l’académie de Poitiers soutient que, s’agissant de la situation propre de X., liée à son hypersensibilité sensorielle, son besoin de rituels marqué et son impulsivité, ses parents ne font pas état d’une situation particulière au point de déroger au principe de la scolarisation en établissement scolaire, il résulte toutefois du certificat établi le 17 mai 2024 par la psychologue qui assure le suivi de l’enfant depuis le mois de janvier 2023 que son hypersensibilité sensorielle est « très prononcée » et « pour le moment, incompatible avec un milieu scolaire classique », que son besoin de rituels est « beaucoup plus marqué que la plupart des enfants » et qu’elle se montre « très perturbée par le changement ». En outre, il ressort du contrôle de son instruction dans la famille par une inspectrice de l’Education nationale, réalisé le16 février 2024, que l’instruction de X., effectuée quotidiennement et associée à des activités extrascolaires sportives et culturelles lui permettant de fréquenter d’autres enfants, a permis à X., dont le langage est structuré et la mobilité fine maîtrisée, de développer les compétences attendues à la fin du cycle 1. Aussi, eu égard à la situation propre de X., attestée par sa psychologue qui la suit au long cours, et au contenu très détaillé du projet éducatif répondant à cette situation propre et détaillant les méthodes et outils pédagogiques mobilisés, le moyen tiré de ce que la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation est, en l’état de l’instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à sa légalité » (TA Poitiers, Ord., 26 juillet 2024).
« En l’état de l’instruction, eu égard aux éléments circonstanciés produits au débat attestant de la situation psychologique de X., des difficultés rencontrées par l’enfant dans le cadre de sa scolarité passée malgré les aides qui ont pu être mises en oeuvre, eu égard aussi au projet éducatif sur la base duquel les requérants ont présenté leur demande d’autorisation d’instruction en famille exposant de manière détaillée les besoins spécifiques de l’enfant et les modalités envisagées pour lui assurer dans son milieu familial, à travers des méthodes et moyens pédagogiques élaborés, la meilleure éducation possible dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, eu égard, enfin, aux activités sportives et artistiques pratiquées par Nolan en dehors du milieu familial favorisant la socialisation, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée » (TA Poitiers, Ord., 26 août 2024).
« Toutefois, la substitution de motifs demandée est sans incidence sur le moyen retenu, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, tiré de l’erreur manifeste d’appréciation car l’état de santé psychique de l’enfant E est, à ce jour, gravement menacé par sa scolarisation au sein d’une école » (TA Toulon, Ord., 30 août 2024).
Mais de plus en plus de juge prennent en considérations d’autres éléments pour apprécier la légalité des refus. Ainsi, l’historique de l’enfant au regard de l’instruction ou même la qualité du projet éducatif et sa précision, en dépit des allégations du Rectorat selon lesquelles le projet éducatif serait insuffisant, sont analysés par les juges :
« L’instruction de X. a débuté en milieu scolaire, avant qu’elle soit déscolarisée en raison d’une scolarisation très délicate pour elle ainsi qu’en atteste alors la directrice de l’établissement, avant de retourner en instruction en famille au cours de la précédente année scolaire, instruction qui, même si elle a permis des progrès de l’enfant en la rassurant, présente toujours beaucoup de difficultés à rester concentrée car elle est très sensible aux bruits, aux tensions et aux émotions des personnes qui l’entourent. La rectrice qui ne conteste pas par ailleurs le projet éducatif présenté, n’apporte pas en défense, d’éléments permettant de dire que ce projet ne serait pas élaboré conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant. Par suite, alors au demeurant que les enquêtes et bilans réalisés suite à la mise en oeuvre de cette instruction en famille sont positifs, il y a lieu d’ordonner la suspension de l’exécution de la décision du 19 juillet 2024 par laquelle la commission académique de Bordeaux a rejeté le recours administratif préalable obligatoire » (TA Pau, Ord., 2 septembre 2024, n° 2402087).
« En l’état de l’instruction, le moyen tiré de ce que la commission académique de Paris a commis une erreur manifeste d’appréciation dès lors que l’instruction dans la famille, sur la base du projet pédagogique produit comportant les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant, est la plus conforme à l’intérêt des enfants des requérants, sont dans les circonstances de l’espèce, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige. Par suite, il y a lieu d’ordonner la suspension de l’exécution des décisions du 18 juin 2024 par laquelle la commission académique de Paris a rejeté les recours administratifs préalables obligatoires formé par M. et Mme Portier contre la décision du 22 mai 2024 du recteur de l’Académie de Paris rejetant les demandes d’autorisation d’instruction dans la famille qu’ils ont formées pour leurs fils Gabriel et Raphaël au titre de l’année scolaire 2024-2025. » (TA Paris, Ord., 27 août 2024, n° 2421774).
« Pour rejeter l’autorisation sollicitée, la décision en litige retient que « … la situation propre de l’enfant n’est pas démontrée. En effet, le projet pédagogique est insuffisant. De plus, la mention du contexte, du lieu d’apprentissage et des modalités d’évaluation ne sont pas précisés. Il n’est nullement indiqué qu’il est dans l’intérêt de l’enfant de poursuivre l’instruction en famille en comparaison avec une scolarisation en établissement scolaire… ». Il résulte, toutefois, de l’instruction que les requérants ont présenté à l’administration des pièces précises sur la situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif mis en place, lequel projet détaille son contexte, ses méthodes et son rythme (pièce 4 annexé à la requête). Il résulte également de l’instruction que les contrôles de l’instruction dans la famille par l’académie de Nice ont été favorables. Par suite, les moyens tirés de l’erreur de droit et de l’erreur manifeste d’appréciation sont de nature à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. » (TA Nice, Ord., 5 septembre 2024).
« Il résulte des pièces du dossier, que les enfants B C, née le 31 janvier 2019 et G C né le 16 novembre 2017, qui bénéficient de la scolarisation au sein de leur famille, ont fait l’objet de contrôles par l’académie de Nice ayant donné lieu à des rapports favorables concernant leur niveau scolaire au cours des années précédentes pour lesquelles M. et Mme C ont obtenu l’autorisation de poursuivre cette scolarisation à domicile. L’enfant A C né le 4 août 2021 ne doit être scolarisé qu’à partir de la rentrée prochaine. Les dossiers de demande d’autorisation d’instruire leurs enfants à domicile déposés par M. et Mme C ne paraissent pas présenter les insuffisances qui ont motivé les décisions de rejet de leurs demandes. Par suite, il existe un doute sérieux quant à la légalité de ces décisions dont il y a lieu de suspendre l’exécution » (TA Nice, Ord., 22 août 2024).
« Le projet éducatif sur la base duquel M. C a présenté sa demande d’autorisation d’instruction en famille expose de manière détaillée la situation propre de l’enfant B, ses besoins spécifiques et les modalités envisagées pour lui assurer dans son milieu familial, à travers des méthodes et moyens pédagogiques décrits avec précision, la meilleure éducation possible dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. En l’état de l’instruction, le moyen tiré de l’inexacte application des dispositions du 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision du recteur refusant l’autorisation d’instruction en famille sollicitée par le requérant. » (TA Strasbourg, Ord., 5 août 2024).
Les juges ont également pu retenir le bilinguisme natal et son impact important dans le développement de l’enfant, justifiant qu’une scolarisation ordinaire prodigue moins de bénéfices à l’enfant qu’une instruction en famille qualitative.
Concernant le motif lié à la situation médicale ou le handicap de l’enfant (Motif 1), deux décisions méritent d’être mentionnées, bien qu’elles n’innovent pas particulièrement, la jurisprudence étant assez favorable sur ce motif.
Aux fins d’illustration, deux décisions illustrant la condition d’urgence et celle tenant au doute sérieux :
« Eu égard à la proximité de la rentrée scolaire, au fait qu’X. bénéficie d’une instruction dans sa famille depuis le mois de février 2022, aux multiples troubles dys dont est atteint cet adolescent, au fait qu’il ne pourrait pas bénéficier d’un accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH) dès la rentrée scolaire prochaine et au contexte de harcèlement qui a été décrit par les requérants à l’audience, la condition relative à l’urgence exigée à l’article L. 521-1 du code de justice administrative doit, en l’espèce, être regardée comme remplie. » (TA Clermont-Ferrand, Ord., 1er août 2024).
« 7. Le refus du 19 septembre 2024 est motivé par le fait que l’état de santé du fils C et Mme E ne permet pas de justifier la dérogation. Les requérants produisent un certificat médical du 24 juillet 2024, établi dans le cadre de l’établissement d’un dossier de demande à la maison départementale des personnes handicapées qui indique que leur fils ne peut être scolarisé, ses troubles de l’attention étant trop importants. Il résulte tant de ce certificat que de l’attestation du psychologue en date du 24 avril 2024 qui a évalué les troubles de l’attention de l’enfant que l’enfant a une agitation motrice inhabituelle, le médecin notant aussi une plainte douloureuse lors de la position statique et un besoin impérieux de se lever. La circonstance que ces éléments n’aient pas été relevés par un psychiatre est sans incidence sur l’appréciation de l’état de santé de l’enfant. Le certificat établi par un neuropédiatre le 5 novembre 2024, postérieurement à la décision mais faisant état d’éléments antérieurs confirment d’ailleurs les difficultés importantes de l’enfant attestant de troubles déficitaires de l’attention caractérisés notamment par une impulsivité et une hyper activité. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l’article L. 131-5 du code de l’éducation est de nature en l’état de l’instruction à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision du 19 septembre 2024 » (TA Lille, 10 décembre 2024, n° 2411586).
Ainsi, conformément à la position traditionnelle concernant l’appréciation d’une autorisation d’instruction en famille relative à l’état de santé de l’enfant, le juge retient que dès lors que les éléments médicaux font état d’une situation justifiant la demande, l’autorisation est due.
Surtout, le juge précise, d’une part, que l’absence de certificat établi par un psychiatre (concernant des difficultés neurologiques) n’est pas de nature à remettre en cause les autres appréciations médicales et, d’autre part, que les éléments médicaux postérieurs mais témoignant d’une situation antérieure doivent bien être pris en compte.
Enfin, le Conseil d’Etat est venu rappeler que le juge qui retient l’absence de scolarisation pour rejeter un référé critiquant une mise en demeure commet une erreur de droit, ce qui vient renforcer la présomption de fait d’urgence dans de telles situations.
« Pour rejeter la demande dont elle était saisie pour défaut d’urgence, la juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a relevé que les requérants, qui invoquaient les risques de traumatismes auxquels une scolarisation ordinaire exposerait leurs enfants, n’alléguaient pas avoir procédé à l’inscription de ces derniers dans un établissement. En se fondant ainsi, pour juger que la condition d’urgence n’était pas remplie, sur la seule circonstance que les requérants n’avaient pas encore déféré aux mises en demeure dont ils demandaient la suspension de l’exécution à l’approche de la rentrée scolaire, alors que ces mises en demeure, qui valent, comme le prévoit l’article L. 131-10 du code de l’éducation jusqu’à la fin de l’année scolaire suivant celle au cours de laquelle elles avaient été notifiées, étaient exécutoires – leur inobservation étant d’ailleurs passible de sanctions pénales -, la juge des référés a commis une erreur de droit » (Conseil d’Etat, 6 février 2024, n° 487634).
En cas de difficulté en lien avec le droit de l’instruction en famille, n’hésitez pas à contacter nos avocats IEF !
Article publié également sur Village de la Justice
[1] Article D131-11-10 du code de l’éducation
[2] Article D131-11-11 du code de l’éducation
[3] Article D131-11-12 du code de l’éducation.