Établissements d’enseignement privés : clause abusive et remboursement des frais de scolarité
La relation contractuelle entre un établissement d’enseignement privé et les parents d’élèves est régie par le droit des contrats. Lorsqu’il intègre un établissement, l’élève signe alors un contrat d’enseignement et s’engage à régler des frais de scolarité parfois élevés. Généralement, l’établissement offre la possibilité de payer l’intégralité des frais dès l’inscription ou de les échelonner. Cependant, il est fréquent qu’une clause contractuelle prévoie que le montant total des frais soit considéré comme acquis dès la signature du contrat. Ainsi, même en cas d’interruption de la scolarité pour des raisons indépendantes de sa volonté (déménagement, problèmes de santé), l’élève reste contractuellement tenu de payer l’intégralité des frais, bien qu’il ne puisse profiter de tous les enseignements prévus sur l’année.
Toutefois, ces clauses relatives au remboursement des frais en cas de désistement ou d’interruption de la scolarité insérées dans les contrats de scolarité sont depuis longtemps qualifiés d’abusives au sens de l’article L. 212-1 du Code de la consommation car elles ont pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment du consommateur. Nous faisons le point sur l’état du droit en la matière.
I. Les clauses abusives dans les contrats d’enseignement
Les clauses insérées dans les contrats d’enseignement font depuis longtemps l’objet de litiges conduisant les élèves lésés devant les tribunaux, qui ont depuis longtemps pu juger le caractère abusif de certaines clauses.
En 1998 déjà, la Cour de cassation jugeait que c’est à bon droit que la cour d’appel qui relève que la clause d’un contrat de formation selon laquelle » aucun motif ne sera retenu pour une éventuelle annulation » procure un avantage excessif à l’établissement de formation en imposant à l’élève le paiement des frais de scolarité, même en cas d’inexécution du contrat imputable à l’établissement ou causé par un cas fortuit ou de force majeure, jugeant ladite clause abusive[1]. La cour précise d’ailleurs que l’arrêt de la cour d’appel rejoignait la recommandation n° 91-09 du 7 juillet 1989 de la Commission des clauses abusives relatives aux établissements d’enseignement.
Est ainsi régulièrement considéré comme abusive la clause qui fait du prix total de la scolarité un forfait intégralement acquis à l’école dès la signature du contrat sans réserver le cas d’une résiliation pour un cas de force majeur ou motif légitime et impérieux, c’est-à-dire un motif qui, sans rendre l’exécution impossible, justifie d’en libérer le débiteur (Civ. 1re, 13 déc. 2012, n° 11-27766 ; Civ. 1re, 11 janv. 2023, n° 21-16.859).
Ces décisions sanctionnent la pratique courante de certaines écoles ou établissements qui refusent de rembourser les frais de scolarité en cas d’interruption de la scolarité d’un élève en cours d’année.
A titre d’illustration, pour juger le caractère abusif d’une clause d’un contrat de formation et le remboursement intégral des frais de scolarité versés par d’un étudiant, le juge judiciaire adopte ce type de raisonnement (Cour d’appel de Paris – Pôle 4 – Chambre 9 – A 14 décembre 2023 / n° 22/03910) :
Elle souligne d’abord le manque de clarté dans les conditions de remboursement : les conditions dans lesquelles les frais de scolarité peuvent être remboursés figurent fort curieusement dans le règlement intérieur et non dans la partie relative aux modalités de règlement desdits frais. L’attention des contractants n’est ainsi nullement attirée sur le fait que pour l’école le contrat devient définitif sept jours après la réception du premier versement et de la fiche d’inscription, sauf force majeure ou motif légitime et impérieux.
En second lieu, elle pointe le déséquilibre significatif en faveur de l’établissement : le fait de ne pas prévoir de modulation de la conservation des frais de scolarité qui correspondent en principe au coût de la formation en fonction des dates d’inscription et de renoncement indépendamment du respect du délai de rétractation, crée au bénéfice de l’établissement d’enseignement un déséquilibre significatif en sa faveur puisqu’il va ainsi pouvoir bénéficier de la totalité des frais de scolarité pour un élève qui se sera désisté bien avant le début de l’année scolaire, alors même que les inscriptions ne sont pas terminées.
Enfin, elle conclut au caractère abusif de la cause, dès lors que cette dernière permettait à l’établissement de bénéficier indûment de deux paiements pour une seule place de formation (en cas de remplacement de l’étudiant désisté). La clause de non-remboursement total des frais de scolarité a donc été déclarée abusive et réputée non écrite.
Enfin, et très récemment, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que même en l’absence de déséquilibre significatif, l’application par les parties de la clause d’un contrat d’enseignement prévoyant une faculté de résiliation unilatérale en cas de motif légitime et impérieux invoqué par l’élève et apprécié par la direction de l’école, n’échappe pas, en cas de litige, au contrôle du juge (Civ. 1re, 31 janv. 2024, n° 21-23.233).
II. Recours aux fins d’obtenir le remboursement des frais de scolarité
L’étudiant lésé ou ses représentants légaux disposent de plusieurs moyens pour contester les clauses abusives dans leurs contrats.
En premier lieu, ils peuvent intenter une action en nullité de la clause sur le fondement de l’article 1171 du Code civil, qui dispose qu’une clause abusive est réputée non écrite. Le consommateur peut ainsi saisir le tribunal pour demander l’annulation de cette clause dans le contrat, ce qui conduira au remboursement des frais de scolarité.
Outre, ce recours, et dans le cas où clause abusive a causé un préjudice au consommateur, celui-ci peut engager une action en réparation pour obtenir une indemnisation correspondant aux dommages subis.
Dans le cadre de clauses reconnues comme abusives au sein d’un contrat d’enseignement, est ainsi admis par le juge judiciaire comme motif recevable à obtenir le remboursement d’une partie ou l’intégralité des frais de scolarité :
- les parents qui retirent leurs enfants inscrit dans un établissement d’enseignement privé du premier degré au cours de l’année en raison de difficultés financières les contraignant à déménager (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 2 avril 2009 n° 08-11.596)
- des problèmes de santé rencontrés par l’élève (Cour de cassation, 12 octobre 2016, 15-25.468) ;
- l’étudiant qui interrompt son contrat au motif que les enseignements dispensés ne correspondent pas à ses attentes ( 1re, 13 déc. 2012, n° 11-27766) ;
- l’étudiant qui s’est inscrit à une préparation au concours d’entrée aux écoles de commerce qui a renoncé à cette préparation et demande la restitution du coût de l’inscription ( 1re, 11 janv. 2023, n° 21-16.859) ;
- l’étudiant qui s’est désisté au-delà du délai de rétractation de 7 jours mais a renoncé à son inscription dans l’établissement alors que les inscriptions étaient encore ouvertes et que l’année scolaire n’avait pas commencé (Cour d’appel de Paris – Pôle 4 – Chambre 9 – A 14 décembre 2023 / n° 22/03910).
- Le contrat a été validé le 10 mars 2021 à une époque où les v’ux d’orientation formulés sur la plateforme Parcours Sup n’étaient pas encore clos, étant acquis que [M] [B] a finalement privilégié son inscription dans un autre cursus validée en juin 2021 et ne s’est pas présenté à la « prépa sciences po » pour laquelle il avait postulé. (CA Paris, pôle 4 ch. 9 a, 19 sept. 2024, n° 23/00327)
- l’étudiant ayant obtenu validation de son inscription dans un autre cursus en Roumanie, ce qui constitue un motif légitime et impérieux rendant la formation proposée par la société Cours de France sans objet. CA Paris, pôle 4 ch. 9 a, 19 sept. 2024, n° 23/00647) ;
- l’élève atteint de handicap réduisant de manière importante et durable sa capacité et son autonomie de déplacement à pied et impose qu’elle soit accompagnée par une tierce personne dans ses déplacements, tel que cela résulte de la notification de la MDPH du 14 avril 2020 lui attribuant une carte mobilité inclusion. Cela constitue un motif parfaitement légitime de résiliation du contrat dans la mesure où il est acquis qu’elle ne peut remplir les conditions physiques requises pour intégrer des postes au sein de l’armée. (CA Paris, pôle 4 ch. 9 a, 19 sept. 2024, n° 23/03667) ;
- insuffisance de l’établissement « clause abusive contrat d’enseignement Frais de scolarité (CA Colmar, ch. 2 a, 12 janv. 2023, n° 20/03408) ;
A noter que, dans le contentieux des clauses abusives, l’action visant à éradiquer en elle-même la clause abusive est imprescriptible (CJUE 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19).
[1] Cass. 1re civ., 10 févr. 1998, n° 96-13.316, Bull. 1998 I N° 53 p. 34