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Fermeture d’école hors contrat : un contrôle juridictionnel différencié selon les cycles d’enseignement

Le tribunal administratif de Lyon a rendu le 3 novembre 2025 une ordonnance de référé-liberté particulièrement nuancée concernant la fermeture administrative d’un établissement scolaire privé hors contrat. Cette décision illustre la manière dont le juge des référés concilie la liberté d’enseignement avec les exigences d’acquisition du socle commun de connaissances, tout en manifestant une rigueur remarquable dans l’examen des motifs justifiant une mesure aussi radicale qu’une fermeture définitive.

L’établissement l’Arrosoir, situé dans la commune d’Ucel en Ardèche, fonctionnait depuis septembre 2017 en mettant en œuvre la pédagogie alternative Steiner-Waldorf. Il accueillait des élèves de la maternelle au CM2, soit les cycles 1, 2 et 3 de la scolarité obligatoire. Après un premier contrôle effectué le 30 avril 2024 ayant révélé des insuffisances dans l’enseignement dispensé aux cycles 2 et 3, le préfet avait adressé une mise en demeure le 6 novembre 2024. Un second contrôle réalisé le 25 mars 2025 ayant confirmé la persistance de ces insuffisances, le préfet de l’Ardèche a prononcé par arrêté du 22 octobre 2025 la fermeture définitive de l’ensemble de l’établissement, toutes classes confondues.

Face à cette mesure radicale, l’établissement et plusieurs parents d’élèves ont saisi le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, qui permet d’obtenir en urgence des mesures de sauvegarde lorsqu’une autorité administrative porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Cette procédure, connue sous le nom de référé-liberté, impose au juge de statuer dans un délai de quarante-huit heures et requiert la démonstration cumulative de trois conditions : l’urgence particulière, l’existence d’une liberté fondamentale et une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté.

Le tribunal commence par admettre l’intervention de parents d’élèves au soutien de la requête, reconnaissant ainsi leur intérêt direct à contester une mesure qui affecte la scolarisation de leurs enfants. Cette admission témoigne de la dimension collective des enjeux soulevés par la fermeture d’un établissement scolaire, qui dépasse la seule situation de la personne morale gestionnaire.

Sur le cadre juridique applicable, l’ordonnance rappelle utilement les dispositions de l’article L. 442-2 du code de l’éducation qui organisent le contrôle des établissements privés hors contrat. Le juge souligne que le législateur a entendu concilier la liberté d’enseignement avec le droit à l’instruction et l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Les établissements hors contrat disposent d’une liberté dans le choix de leurs méthodes pédagogiques, mais celle-ci trouve sa limite dans l’obligation de permettre aux élèves l’acquisition progressive du socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini aux articles L. 122-1-1 et D. 122-1 du code de l’éducation.

Cette acquisition doit porter sur cinq domaines de formation : les langages pour penser et communiquer, les méthodes et outils pour apprendre, la formation de la personne et du citoyen, les systèmes naturels et techniques, et les représentations du monde et de l’activité humaine. Le tribunal rappelle également que la mesure de fermeture administrative constitue une mesure de police soumise à l’entier contrôle du juge administratif, ce qui lui permet d’examiner tant la régularité de la procédure que le bien-fondé de la décision.

Les requérants soutenaient d’abord que la procédure contradictoire n’avait pas été respectée, le rapport d’inspection du 25 mars 2025 ne leur ayant jamais été communiqué. Le tribunal rejette cet argument en relevant que l’établissement avait eu connaissance du premier rapport du 30 avril 2024, qu’il avait répondu à la mise en demeure du 6 novembre 2024, et qu’il avait pu présenter ses observations lors d’une réunion en préfecture le 17 octobre 2025. Le second rapport s’inscrivant dans la continuité du premier, le juge considère que l’établissement a été mis en mesure de répondre aux différents manquements relevés. Cette appréciation pragmatique de la procédure contradictoire témoigne d’une vision substantielle plutôt que formelle des droits de la défense.

Sur le fond, le tribunal procède à un examen minutieux des insuffisances constatées lors du contrôle du 25 mars 2025 concernant les cycles 2 et 3. Les inspecteurs avaient relevé des manquements graves dans tous les domaines du socle commun : absence de progressivité dans l’apprentissage du français, usage d’une terminologie grammaticale inadaptée installant des connaissances erronées, absence de place accordée au numérique et à l’éducation aux médias, défaut de programmation dans l’enseignement des arts et de l’éducation physique, insuffisances dans l’approche scientifique et technique.

Le juge estime que les requérants ne produisent aucun élément suffisamment convaincant pour contredire ces constats. Il écarte notamment l’argument selon lequel l’existence d’un référentiel expliquant l’organisation de la pédagogie Steiner-Waldorf au regard du socle commun suffirait à démontrer que cet enseignement permet effectivement aux élèves de maîtriser les exigences de ce socle. De même, le simple écoulement de plusieurs mois entre le contrôle et l’arrêté de fermeture ne prouve pas que les insuffisances auraient été corrigées. Enfin, le fait que des élèves ayant quitté l’établissement auraient montré un niveau adapté dans d’autres écoles n’est pas probant, ces élèves n’ayant pas effectué une scolarité complète à l’Arrosoir.

C’est sur un point précis que le raisonnement du tribunal opère un revirement décisif. Le juge constate que le rapport du 25 mars 2025 ne concernait que les cycles 2 et 3, aucune insuffisance n’ayant été relevée pour le cycle 1 correspondant à la maternelle. L’arrêté de fermeture, qui renvoie à la mise en demeure du 6 novembre 2024 ne visant que les cycles 2 et 3, ne mentionne lui-même aucun manquement dans le fonctionnement de la classe maternelle.

Cette constatation conduit le tribunal à une solution différenciée d’une grande finesse juridique. Il juge que la fermeture des cycles 2 et 3 ne constitue pas une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées, les insuffisances constatées justifiant cette mesure au regard du droit des enfants à l’instruction. En revanche, la fermeture du cycle 1, alors qu’aucune insuffisance n’a été relevée à ce niveau depuis le rapport du 30 avril 2024, constitue une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’enseignement.

Cette distinction permet au juge de reconnaître que la condition d’urgence est satisfaite s’agissant du cycle 1, compte tenu des effets immédiats de la fermeture sur l’établissement, ses salariés, les parents et les élèves. Le tribunal écarte l’argument de la préfecture selon lequel la réouverture serait contraire à l’intérêt public, cet argument ne pouvant valoir pour un cycle d’enseignement où aucun dysfonctionnement n’a été établi.

Cette ordonnance appelle plusieurs observations. Elle témoigne d’abord de la rigueur avec laquelle le juge des référés examine les motifs d’une mesure de fermeture administrative, même dans le cadre contraint du référé-liberté. Le contrôle opéré, qualifié d’entier contrôle, permet au juge de vérifier l’exactitude matérielle des faits reprochés et l’adéquation de la sanction aux manquements constatés.

L’ordonnance illustre ensuite la nécessité pour l’administration de proportionner strictement ses mesures aux manquements effectivement établis. La fermeture globale d’un établissement ne peut se justifier que si tous les cycles d’enseignement présentent des insuffisances caractérisées. Une fermeture qui excède ce qui est strictement nécessaire devient manifestement illégale.

Enfin, cette décision rappelle que la liberté pédagogique des établissements hors contrat, aussi large soit-elle, trouve sa limite dans l’obligation de permettre aux élèves l’acquisition effective du socle commun. L’adhésion à une pédagogie alternative reconnue ne dispense pas de démontrer concrètement que les enfants sont mis en mesure d’atteindre les objectifs fixés par le législateur pour garantir leur droit à l’instruction.

TA Lyon, 3 nov. 2025, n° 2513613 

Louis le Foyer de Costil

Nausica Avocats 

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