
Handicap et droit à l’éducation
L’accès à l’éducation pour tous et notamment les enfants en situation de handicap, s’enracine dans les principes fondamentaux du droit français. Le préambule de la Constitution de 1946, toujours en vigueur, affirme que : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État. »
Jusqu’à la loi du 30 juin 1975, les enfants en situation de handicap échappaient à l’obligation scolaire. Les choses ont évolué avec la loi de 2005 qui accorde la priorité à la scolarisation de l’enfant handicapé en milieu ordinaire. Depuis 2019[1], l’article L. 111-1 du code de l’éducation prévoit que le service public de l’éducation «veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction. » Une évolution similaire a eu lieu s’agissant des élèves de l’enseignement supérieur[2].
L’article L. 112-1 consacre quant à lui le droit à la scolarisation en milieu ordinaire comme priorité. Pourtant, le droit à l’éducation des élèves en situation de handicap reste un chantier encore largement inabouti[3]. Nous faisons le point sur les sujets les plus sensibles et qui cristallisent les contentieux.
- L’absence d’AESH
- Les refus d’aménagement des examens et concours
- Les difficultés liées à l’orientation scolaire et l’accès aux filières spécifiques
- Les litiges résultant de refus d’inscription ou d’affectation inadaptée au handicap
La carence en AESH : des condamnations répétées
Les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH), anciennement AVS, sont devenus des contractuels de droit public. Leur absence, malheureusement très fréquente, peut fonder une action en justice.
Le contentieux se divise en deux branches. Les parents peuvent engager un recours contre la MDPH, amiable puis contentieux, quand la notification est insuffisante au regard des demandes des familles et des avis des professionnels.
Ce contentieux obéit à une procédure spécifique portée devant le juge judiciaire. Les parents peuvent en outre engager des recours devant les tribunaux administratifs contre l’administration en raison de la carence dans la mise en œuvre des droits notifiés par la CDAPH (instance de la MDPH).
Des décisions de justice ont déjà pu juger que :
- Une AESH mutualisée ne peut remplacer une AESH individualisée si celle-ci a été accordée par la MDPH (TA Montreuil, 6 janvier 2023, n° 2217985)
- L’absence d’AESH est illégale même si elle n’entraine pas de déscolarisation (Tribunal administratif de Rennes, 29 décembre 2022, n° 2206312)
- L’absence de recrutement ou la promesse de recrutement ne suffit pas à justifier l’absence d’AESH aux côtés de l’élève (TA Nice, 22 décembre 2022, n° 2205933 ; TA Rennes, 16 janvier 2023, n° 2206503)
- L’accompagnement par une AESH doit démarrer immédiatement, et non progressivement.
- L’AESH doit être présente l’intégralité du temps prévu (TA Melun, 4e ch., 25 oct. 2024, n° 2410268)
Notons que La jurisprudence reconnaît le droit des AESH à intervenir dans les écoles privées sous contrat, sous le contrôle de l’État (TA Bordeaux, 10 novembre 2022, n° 2205778)
Les aménagements des concours et examens en cas de handicap
L’article L. 112-4 du Code de l’éducation impose la mise en place d’aménagements des examens pour garantir l’égalité des chances.
Ces derniers peuvent prendre de multiple forme : aide d’un « secrétaire », tiers-temps, format numérique, etc. Les tribunaux administratifs sanctionnent régulièrement les rectorats et les universités en raison de refus d’aménagement, ou de carence dans la mise en œuvre de l’aménagement accordé.
Le juge administratif a pu ainsi :
- Annuler un examen en raison de l’absence de secrétaire (CAA Bordeaux, 2e ch., 12 mai 2020, n° 18BX00051.)
- Obliger la mise à disposition numérique des épreuves (TA Marseille, 27 mars 2024, n° 2402160)
- Annuler un refus de dispense de LV2 pour un élève sourd (Tribunal administratif de Montpellier, 7 juin 2024, n° 2400195) • Annuler un refus de tiers-temps (TA Melun, Ord., 25 avril 2025)
- Annuler le refus de prévoir des sujets en caractères agrandis, des assistants pour reformulation des consignes et une salle avec un nombre réduit de candidats (TA Lille, 11 juin 2024, n° 2405730)
Ce type de contentieux vaut tant pour les universités, les BTS (TA Melun, 4e ch., 10 mai 2024, n° 2313801), le baccalauréat, et même le brevet des collèges (TA Melun, 4e ch., 13 déc. 2024, n° 2307023.)
Quand le litige est contre une école privée, les règles sont similaires mais le litige est porté devant le juge judiciaire. Ce dernier a eu l’occasion de juger que commet une faute, l’école privée qui n’a pas mis en œuvre les aménagements d’épreuves indispensables à l’élève déficient auditif (TGI Paris, 5e ch. 1re sect., 18 avril 2017, n° 15/09342). Le tribunal a estimé l’élève n’avait pas bénéficié de tous les aménagements rendus nécessaires par son handicap de nature à lui garantir l’égalité de ses chances par rapport aux autres étudiants
Le litige peut également se porter contre la MDPH, en cas de projet personnalisé de scolarisation (PPS) insuffisant, par exemple en ce qu’il ne prévoit pas d’aménagement suffisant des études ou des examens (TJ Paris, 11 septembre 2024, n° RG 24-01.456).
L’orientation scolaire des élèves en situation de handicap
Le handicap justifie parfois des décisions orientations spécifiques adaptées aux besoins de l’enfant. Cela peut être un redoublement supplémentaire, comme une orientation en Institut Médico-Educatif (IME[4]) ou en Unités localisées pour l’inclusion scolaire (dites classes ULIS)[5]. En matière d’orientation d’un enfant en matière de handicap, le juge procède à un contrôle plus poussé.
Le contentieux est partagé entre juge administratif et judiciaire, celles prises par les chefs d’établissement public relevant du public ; les décisions d’orientation prises par la MDPH et les établissements privés relevant du tribunal judiciaire
Ce dernier a pu ordonner à la MDPH l’orientation d’un élève en situation de handicap en classe ULIS (TJ Paris, référé, 1ᵉʳ septembre 2022, MDPH de Paris, n°2202162 ; CA Rouen, ch. soc., 22 juin 2022, n° 20/00621).
Le juge administratif censure également régulièrement les refus opposés aux parents, soit en enjoignant au rectorat de suivre la décision d’orientation requise par le handicap, soit en condamnant à indemniser l’enfant et les parents pour les fautes commises par l’administration en raison d’une carence dans l’orientation.
Les décisions suivantes ont par exemple été rendues :
- condamnation de l’Etat pour faute en raison de l’absence de place en IME ayant gravement préjudice l’enfant dans ses apprentissages
- Condamnation de l’administration car l’absence de place en ULIS a contraint l’élève au redoublement (CAA Douai, 2e ch. 29 novembre 2022, n° 21DA00378.)
- Condamnation du rectorat pour défaut d’affectation en classe ULIS et injonction d’y affecter l’enfant (TA de Melun 03 octobre 2024 n° 2411430)
- Annulation d’un refus d’accueil dans un centre spécialisé (EREA) (TA Paris, 3 juillet 2024, n° 2216923.
- Annulation d’un refus d’orientation en ULIS (TA Lyon, 10 oct. 2023, n° 2308122 ; TA Marseille, 1er oct. 2024, n° 2409269)
Les refus d’inscription et les affectations scolaires inadaptées
Le handicap justifie parfois des affectations dans des établissements plus proches ou accessibles à l’élève. Cette question est distincte de celle de l’orientation scolaire qui concerne non l’établissement mais une voie ou une filière particulière. Les rectorats prévoient d’ailleurs souvent que le handicap est un motif prioritaire de dérogation à la carte scolaire. Mais des contentieux se forment que le handicap n’est pas pris en compte.
Un tribunal administratif a par exemple annulé la décision d’affectation d’un élève autiste dans un collège trop éloigné de son domicile (TA Marseille, 30 juillet 2024, n° 2406930 et 2406932). Une même décision a été prise s’agissant d’un élève souffrant de pieds plats et d’un œdème aux jambes (TA Paris, 19 août 2011, n° 1113984)
Le juge peut plus occasionnellement prendre en compte le handicap des parents comme ce fut le cas pour l’annulation du refus de dérogation scolaire à la fille d’une mère malvoyante (Tribunal administratif de Toulon, 18 septembre 2024, n° 2402995.)
On constate également de nombreuses décisions censurant les refus d’inscription. Le cas le plus classique est le refus opposé pour les demandes de participation aux voyages scolaire (Défenseur des droits, Décision 2022-087 du 11 mai 2022 relative à un refus discriminatoire de participation d’un mineur à un voyage scolaire en Espagne en raison de son handicap, de la part de son établissement scolaire ; Décision 2021-056 du 2 avril 2021 relative au refus discriminatoire d’un enfant au voyage scolaire organisé par son établissement).
Le juge judiciaire a notamment pu juger que constitue une discrimination l’exclusion d’un élève handicapé d’un voyage scolaire en raison de son handicap ( TGI Toulouse, pôle civil, fil 3, 16 juin 2017, n° 16/01340).
C’est également le cas des refus d’inscription à la cantine, également très fréquents (TA Poitiers, 3 octobre 2022, n° 2002208). S’agissant des écoles privées, le juge rappelle que si elles disposent de la faculté d’admettre les élèves qu’elle souhaite, ce pouvoir de décision ne l’autorise pas à refuser une admission de manière discriminatoire. Il est jugé que constitue une discrimination le refus d’admission dans une école privée opposé à un enfant atteint de trisomie 21 au motif que le nombre d’enfants en situation de handicap accueillis à l’école ne permettait pas l’inscription de l’enfant petite section pour la rentrée 2021. A l’occasion du même litige, le tribunal judiciaire précise qu’il incombe à l’école d’établir que les conséquences de cette admission seraient dommageables pour le bon fonctionnement de l’établissement et/ou que les conditions de l’admission de l’enfant du fait de son handicap, sont très difficiles à mettre en œuvre, voire insurmontables (TJ Marseille, 2e ch. cab4, 14 mai 2024, n° 22/10592.).
Conclusion
Malgré les avancées juridiques considérables en faveur d’une école inclusive, le droit à l’éducation des élèves en situation de handicap reste encore trop souvent théorique. Les textes sont clairs : la scolarisation en milieu ordinaire est un droit, les aménagements d’examens une exigence, et la prise en compte des besoins spécifiques une priorité. Pourtant, dans la pratique, les carences sont nombreuses et les atteintes à ce droit persistent, comme en témoignent les décisions de justice rendues ces dernières années. L’absence d’AESH, les refus d’aménagements, les orientations inadaptées ou les affectations déconnectées des besoins de l’élève traduisent un système encore trop fragile, où le contentieux devient un outil de réparation faute d’une mise en œuvre effective des droits.
L’accumulation des litiges révèle non seulement un dysfonctionnement structurel, mais aussi une méconnaissance ou une négligence persistante de la part des institutions. Face à cela, le rôle du juge – administratif comme judiciaire – se révèle fondamental pour rappeler les exigences légales, garantir l’effectivité des droits et, plus largement, rappeler que l’inclusion scolaire ne peut être une promesse sans garantie.
Nausica Avocats est un cabinet d’avocats en droit de l’éducation. Il défend les élèves en situation de handicap dans leurs problématiques juridiques. N’hésitez pas à nous contacter ou à prendre rendez-vous si vous souhaitez être conseillé ou défendu.
Notes de bas de page
[1] Loi de 2019 pour une école de la confiance avec service public de l’école inclusive
[2] Circulaire n°2015-127 du 3 août 2015
[3] Voir en ce sens : « L’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap » – Cour des Comptes, 2024 ; « Rapport d’information sur l’instruction des enfants en situation de handicap, n° 1856, déposé le mardi 14 novembre 2023 – Assemblée Nationale, 2023
[4] Voir l’arrêté du 2 avril 2009 précisant les modalités de création et d’organisation d’unités d’enseignement dans les établissements et services médico-sociaux ou de santé pris pour l’application des articles D. 351-17 à D. 351-20 du code de l’éducation ; Décret n° 2009-378 du 2 avril 2009 relatif à la scolarisation des enfants, des adolescents et des jeunes adultes handicapés et à la coopération entre les établissements mentionnés à l’article L. 351-1 du code de l’éducation et les établissements et services médico-sociaux mentionnés aux 2° et 3° de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles.
[5] Circulaire n° 2015-129 du 21-8-2015 relative aux unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis), dispositifs pour la scolarisation des élèves en situation de handicap dans le premier et le second degrés