Le contrôle juridictionnel des sanctions disciplinaires sportives : garanties procédurales et appréciation des faits
Le contentieux des sanctions disciplinaires prononcées par les fédérations sportives connaît un développement significatif devant les juridictions administratives. Trois décisions rendues en 2025 par les tribunaux administratifs de Paris, Melun et Rouen permettent d’analyser les exigences procédurales applicables à ces sanctions ainsi que le contrôle exercé par le juge sur l’appréciation des faits reprochés aux personnes sanctionnées. Ces décisions illustrent l’équilibre recherché entre le respect de l’autonomie des fédérations sportives dans l’organisation de leur discipline interne et la protection des droits fondamentaux des licenciés.
Le principe de la perte de qualité de licencié : une limite fondamentale au pouvoir disciplinaire
Le jugement rendu par le tribunal administratif de Melun le 12 juin 2025 dans l’affaire n° 2210519 pose un principe cardinal en matière de sanctions disciplinaires sportives. Cette affaire concernait un dirigeant et joueur de handball qui avait fait l’objet d’une sanction de quatre dates de suspension assortie d’une période probatoire pour des faits de surfacturation de frais d’arbitrage. La commission départementale de discipline l’avait initialement sanctionné d’un an de suspension, dont six mois avec sursis, le 4 mai 2022. Cette décision avait été réformée en appel le 23 septembre 2022 par le jury d’appel de la Fédération française de handball.
Le tribunal administratif a annulé la décision du jury d’appel en se fondant sur un motif d’une importance considérable pour l’ensemble du contentieux disciplinaire sportif. Il a énoncé qu’une fédération sportive n’est pas habilitée à prononcer une sanction disciplinaire à raison de faits qui, quelle que soit la date à laquelle ils ont été commis, l’ont été par une personne qui n’avait plus la qualité de licencié de cette fédération à la date à laquelle il est statué par l’organe compétent de la fédération. En l’espèce, il était constant qu’à la date à laquelle le jury d’appel avait statué, le 23 octobre 2022, l’intéressé n’était plus licencié de la Fédération française de handball.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui conditionne l’exercice du pouvoir disciplinaire fédéral à l’existence d’un lien actuel entre la personne sanctionnée et la fédération. Le tribunal considère que ce lien résulte de la qualité de licencié, qui doit subsister au moment où la sanction est prononcée. Cette exigence se justifie par la nature contractuelle du lien unissant le licencié à sa fédération. En perdant sa qualité de licencié, la personne concernée n’est plus soumise au pouvoir disciplinaire de la fédération, qui trouve son fondement dans l’adhésion volontaire aux règles édictées par celle-ci.
Cette jurisprudence a des implications pratiques importantes. Elle incite les fédérations sportives à diligenter rapidement leurs procédures disciplinaires afin d’éviter qu’un licencié ne se soustraie à toute sanction en renonçant à sa licence avant que l’instance disciplinaire ne statue. Elle soulève également la question de la portée temporelle des sanctions disciplinaires et de leur articulation avec les cycles de renouvellement des licences sportives.
Le tribunal a également examiné les conclusions indemnitaires présentées par le requérant, qui sollicitait la condamnation de la Fédération française de handball à lui verser la somme de 14 840 euros en réparation des préjudices qu’il estimait avoir subis. Sur ce point, le tribunal a rejeté ces conclusions en relevant que les fautes commises par le comité départemental de handball, titulaire de la personnalité morale, ne pouvaient être imputées à la fédération. Cette distinction entre la responsabilité des organes déconcentrés des fédérations et celle des fédérations elles-mêmes mérite d’être soulignée. Elle s’appuie sur les dispositions de l’article L. 131-11 du code du sport qui prévoient que les fédérations agréées peuvent confier à leurs organes régionaux ou départementaux une partie de leurs attributions. Le tribunal en déduit que ces organes, dotés de la personnalité morale propre, engagent leur propre responsabilité et non celle de la fédération dont ils relèvent.
Les irrégularités procédurales dans l’exercice du pouvoir disciplinaire
Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 3 octobre 2025 dans l’affaire n° 2501270 illustre l’importance des garanties procédurales dans l’exercice du pouvoir disciplinaire des fédérations sportives. Cette affaire concernait un membre de la commission départementale des jeunes du district de football de Seine-Maritime qui avait été relaxé en première instance puis condamné en appel à trois ans de suspension, dont un an avec sursis, pour des faits de falsification de procès-verbal.
Le tribunal a prononcé l’annulation de la décision de la commission d’appel en se fondant sur deux moyens distincts, révélant ainsi deux vices affectant la régularité de la procédure. Le premier moyen concernait la régularité de la saisine de la commission d’appel. Selon l’article 3.4.1.1 du règlement disciplinaire de la Fédération française de football, l’organe disciplinaire d’appel peut être saisi par le comité de direction de l’instance dont dépend l’organe disciplinaire de première instance, ou toute personne qu’il a dûment mandatée à cet effet. En l’espèce, l’appel avait été interjeté par un membre du comité de direction en vertu d’une nomination intervenue lors de la réunion du 28 août 2024.
Le tribunal a constaté, après examen du procès-verbal de cette réunion, que l’intéressé n’avait été habilité qu’à introduire un appel incident, et non un appel principal contre la décision de relaxe prononcée par la commission de première instance. Cette distinction entre appel principal et appel incident revêt une importance fondamentale en matière de contentieux disciplinaire. L’appel principal permet à l’instance dirigeante de contester une décision de relaxe ou une sanction jugée trop clémente, tandis que l’appel incident permet uniquement de répondre à un appel formé par la personne sanctionnée. En l’absence d’habilitation spécifique pour former un appel principal, la saisine de la commission d’appel était irrégulière, ce qui entachait d’illégalité la décision rendue à l’issue de cette procédure.
Le second moyen retenu par le tribunal concernait l’établissement matériel des faits reprochés. Le requérant était accusé d’avoir participé à la falsification d’un procès-verbal publié le 27 mars 2024 sur le site internet du district. La commission d’appel avait considéré qu’en l’absence de salarié présent ou en télétravail l’après-midi du 27 mars 2024, l’intéressé était la seule personne habilitée à avoir procédé à la modification du document. Le tribunal a jugé cette présomption insuffisante, relevant que le requérant soutenait, sans être contredit par le district qui n’avait pas produit d’écritures en défense, que d’autres membres du district pouvaient effectuer la publication litigieuse. Dans ces conditions, les faits reprochés ne pouvaient être regardés comme matériellement établis.
Cette solution illustre le contrôle exercé par le juge administratif sur la matérialité des faits fondant une sanction disciplinaire. Si les juridictions administratives font généralement preuve de retenue dans l’appréciation des faits commis dans le cadre d’activités sportives, relevant de la compétence technique des instances fédérales, elles n’en exercent pas moins un contrôle sur la réalité matérielle de ces faits. Ce contrôle implique que l’administration de la preuve incombe à l’instance disciplinaire et que les présomptions ou déductions doivent reposer sur des éléments suffisamment probants. En l’espèce, le tribunal a considéré qu’une simple déduction fondée sur l’absence alléguée d’autres personnes habilitées ne suffisait pas à établir la culpabilité du requérant.
L’appréciation de la gravité des faits et du respect du principe d’exemplarité
Le jugement du tribunal administratif de Paris du 5 juin 2025 dans l’affaire n° 2402490 aborde une problématique différente mais tout aussi importante : l’appréciation du manquement au principe d’exemplarité imposé aux dirigeants et éducateurs sportifs. Cette affaire concernait le directeur du football et entraîneur d’une équipe féminine de football qui avait été sanctionné pour avoir tardé à signaler des faits graves commis par un autre membre du club à l’encontre d’une joueuse et éducatrice.
La commission régionale de discipline de la Ligue de Paris Île-de-France avait initialement prononcé une suspension d’un an ferme pour complicité d’intimidation, d’acte de brutalité et de harcèlement. En appel, la commission supérieure d’appel de la Fédération française de football avait écarté ces qualifications mais avait retenu un manquement à l’obligation d’exemplarité en tant que dirigeant et éducateur, ramenant la sanction à six mois de suspension dont trois mois avec sursis. Selon la commission d’appel, l’intéressé, une fois informé des faits, n’avait pris aucune mesure et n’en avait pas non plus informé la direction du club, taisant ainsi les faits alors que l’une des premières missions d’un éducateur est la protection des licenciés qu’il encadre.
Le tribunal administratif de Paris a procédé à un examen approfondi de la chronologie des faits et des actions entreprises par le requérant. Il a constaté que celui-ci avait pris connaissance des faits le soir du 9 novembre 2022 et que, dès le lendemain, il avait reçu l’auteur présumé pour lui demander des explications. Le 12 novembre, soit le premier jour ouvré suivant le week-end, il avait reçu la victime présumée en présence d’un témoin et lui avait conseillé de déposer une main courante ou une plainte si elle estimait avoir été victime d’une séquestration, ainsi que de contacter le directeur de l’association. Le 15 novembre, il avait lui-même informé le directeur de l’association des incidents survenus.
Le tribunal a jugé que ces éléments démontraient que l’intéressé n’était pas resté inactif face aux faits qui lui avaient été rapportés. Contrairement à ce qu’avait retenu la commission supérieure d’appel, il avait cherché à établir les faits en recevant successivement les différents protagonistes et en orientant la victime présumée vers les démarches appropriées. Le délai de six jours avant d’informer la direction du club s’expliquait par la nécessité de recueillir au préalable les versions des différentes parties et par la présence d’un jour férié et d’un week-end dans ce laps de temps. Le tribunal a également relevé que la victime présumée elle-même n’avait pas estimé utile de contacter la direction avant le 15 novembre 2022.
De manière particulièrement significative, le tribunal a pris en compte l’enquête administrative diligentée par le service départemental à la jeunesse, à l’engagement et aux sports de Paris, saisi d’un signalement le 27 février 2023. Cette enquête approfondie visait à apprécier si l’intéressé avait pu avoir un comportement inapproprié dans le cadre de son activité d’éducateur sportif. Par décision du 10 janvier 2024, ce service avait conclu qu’aucun comportement de nature à mettre en péril la santé morale ou la sécurité physique des pratiquants n’avait été caractérisé et qu’il n’y avait pas lieu de donner suite administrativement au dossier.
Le tribunal en a déduit qu’en sanctionnant l’intéressé au motif qu’il n’aurait pris aucune mesure et n’aurait pas informé suffisamment rapidement la direction du club des faits survenus, la commission supérieure d’appel avait commis une erreur dans l’appréciation des faits. Cette solution témoigne du contrôle approfondi exercé par le juge administratif sur les sanctions disciplinaires prononcées par les instances sportives. Si le principe d’exemplarité imposé aux dirigeants et éducateurs constitue un fondement légitime pour des sanctions disciplinaires, encore faut-il que le manquement à ce principe soit établi par des faits précis et que l’appréciation portée sur le comportement du licencié ne soit pas entachée d’erreur manifeste.
Cette décision illustre également l’importance de la prise en compte par le juge de l’ensemble du contexte factuel. Le tribunal ne s’est pas contenté d’examiner la chronologie des faits, mais a également considéré les circonstances dans lesquelles l’intéressé avait dû agir, notamment la présence d’un week-end et d’un jour férié, ainsi que le fait que la victime présumée elle-même n’avait pas contacté plus rapidement la direction de l’association. Cette approche contextuelle permet d’éviter que des sanctions ne soient prononcées sur la base d’une appréciation abstraite du comportement attendu, sans tenir compte des contraintes réelles auxquelles était confrontée la personne sanctionnée.
Conclusion
L’analyse de ces trois décisions permet de dégager plusieurs enseignements sur le contrôle juridictionnel des sanctions disciplinaires sportives. En premier lieu, ce contrôle s’exerce avec rigueur sur les conditions de compétence des instances disciplinaires, notamment en ce qui concerne l’exigence de la qualité de licencié au moment où la sanction est prononcée. En deuxième lieu, le juge vérifie strictement le respect des garanties procédurales, qu’il s’agisse de la régularité de la saisine de l’instance d’appel ou de l’administration de la preuve des faits reprochés. En troisième lieu, le juge exerce un contrôle approfondi sur l’appréciation des faits, particulièrement lorsqu’il s’agit de sanctionner un manquement à une obligation aussi générale que le principe d’exemplarité.
Ces décisions témoignent de l’équilibre recherché par les juridictions administratives entre le respect de l’autonomie des fédérations sportives dans l’organisation de leur discipline interne et la protection des droits des licenciés. Si le juge reconnaît aux instances fédérales une large marge d’appréciation dans la définition des comportements répréhensibles et dans la graduation des sanctions, il n’en contrôle pas moins rigoureusement la régularité de la procédure suivie et la réalité des faits reprochés. Ce contrôle constitue une garantie essentielle pour les licenciés, qui peuvent ainsi s’assurer que les sanctions prononcées à leur encontre reposent sur des bases juridiques et factuelles solides.
Nausica Avocats
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